Blog

Dans JAPON

VOYAGE AU JAPON

Par Le 05/01/2024

 

Ce voyage au Japon a été effectué en été 2010

 

Quand je suis arrivée au Japon, j’ai jeté un regard par-dessus le hublot de l’avion et j’ai vu des montagnes couvertes d’un duvet sombre, puis des champs de riz d’un vert tendre. A l’aéroport, ma première impression du pays n’a pas été agréable : je me suis perdue, il fallait obligatoirement remplir des papiers sur l’immigration, la plupart des employés ne parlaient pas anglais et quand je suis passée au guichet j’ai eu droit à l’inspection paranoïaque d’une employée peu sympathique qui me dit :

         « Vous avez noté que vous avez une amie au Japon, Eiko Nasu, et vous ne savez pas son adresse ?

  • Non.
  • Et son numéro de téléphone ?
  • Non plus.
  • Comment est-ce possible ?
  • Je ne m’en souviens plus. »

         Pète-sec, elle prit mon passeport et m’envoya dans une pièce spéciale d’où je fus finalement relâchée sans un mot d’explication. Voici une heure depuis l’atterrissage que je courais de tous les côtés, et Eiko, mon ancienne professeur de japonais que je n’avais pas vue depuis douze ans, devait m’attendre, je ne savais où ; quand je sortis, la foule compacte et immense de ceux qui patientaient pour recevoir des voyageurs me découragea. Finalement, au bout de quelques allées et venues, j’eus la chance de croiser Eiko par hasard. Nous nous sommes embrassées chaleureusement. Elle me dit que l’aéroport de Narita était à cent kilomètres de Tokyo et qu’il fallait prendre le bus.

         Quand j’étais adolescente et qu’Eiko m’apprenait le japonais, je la considérais, bien qu’elle fût catholique, attirée par la France et célibataire, comme une Nippone typique, par sa douceur et sa réserve. Or il s’avère que chez elle, la voilà dotée d’un tempérament robuste qui lui fait dire : « Je suis très forte pour vivre seule. J’aime ça, car je suis égoïste. » Elle fume beaucoup, adore boire (elle avait d’ailleurs commandé un plein caisson de vins français) ; moi aussi j’aime beaucoup l’alcool doux, mais j’en ai honte alors qu’elle l’assume parfaitement. Elle ne veut pas laisser d’héritage mais tout dilapider jusqu’au moment de sa mort. Elle déverse son instinct maternel sur ses chats, dont le volumineux Taro, un pépère de quinze ans, si gros que, si on l’ouvrait en deux, il en sortirait trois oreillers. Quand ses amis le voient, ils s’exclament : « Mais, c’est Totoro ! » Eiko, elle, est capable d’une franchise un peu brutale, et d’une haute exigence, ainsi m’a-t-elle dit que je devais me plier aux manières de manger japonaises car me voir conserver mes manières françaises lui était pénible.

         Ce qui m’a le plus frappé, c’est son incroyable propreté. Tout chez elle est absolument net. Au bout de trois jours elle nettoyait déjà mes draps, qui étaient parfaitement propres. Elle voulait que je me relave le matin car selon elle la nuit durant j’avais dû faire des suées. Sur la cuvette de ses WC était posé de la moquette, changée régulièrement. Mais cette maniaquerie, qui m’intimidait et me faisait me sentir sale, fait du Japon l’un des pays les plus propres du monde industrialisé. Ainsi peu de Japonais, dans la rue, portent-ils le masque, contrairement à ce qu’on raconte dans nos médias. Cela se faisait dans les années cinquante, soixante, mais depuis beaucoup d’efforts ont été faits pour améliorer la qualité de l’air. Il n’y a pas de poubelles dans les rues, sauf auprès des nombreux distributeurs de boissons automatiques, et aucune ordure par terre : les Japonais jettent leurs déchets chez eux, et encore de façon triée. Ainsi Eiko avait-elle une poubelle intérieure pour le papier, une plus grosse pour le plastique, et se bornait à de tout petits sacs fermés pour la nourriture.

         Sa salle de bain était exquise. En passant une porte vitrée, on marchait sur un sol en bois troué et c’est là qu’il fallait se doucher ; ensuite, une fois propre et sans savon, on pouvait prendre un bain ; une minuterie automatique, avec un bouton violet, le remplissait entièrement d’une température de quarante et un degrés, et il y avait possibilité de conserver cette chaleur en rajoutant un capot. La volupté de ce bain, après des heures de marche, était extraordinaire.

         Ce qui rend là-bas la vie crispante, pour un Français, est l’extrême politesse des Japonais. Vous ne serez pas étonnés si je vous dis que dans les restaurants, par exemple, entre un et trois employés sont placés à l’entrée pour saluer et remercier les nouveaux arrivants. Leur langue est consacrée pour un tiers à des formules de politesse qui n’en terminent plus, les arigatoo gozaimasu, les onegai shimasu, auxquels on se doit de répondre. Moi qui n’aime pas la saleté et la grossièreté des Parisiens, je me sentais grossière à mon tour. Lorsque l’on sort du bus, le conducteur remercie tous les passagers un à un !

         Pour monter dans les transports, les Japonais font la queue-leu-leu de façon disciplinée. On quitte le bus par devant, et quand tout le monde est sorti, la porte de derrière s’ouvre pour laisser entrer les nouveaux passagers. La plupart des citadins ont une carte de transport, mais je devais acheter des billets ; pour cela, nul besoin de contact humain : il me suffisait de tirer, sorti d’une machine, un ticket à l’entrée du bus ; puis, en sortant, je n’avais qu’à le glisser, avec la somme exacte, dans une boite métallique ; si je n’avais pas de monnaie, la machine transformait mon billet de mille yens en pièces. Fait automatique dans un pays où la carte bancaire est peu utilisée.

         Je raconte tout ceci car nous connaissons très mal le Japon. Eiko m’a dit que, lorsqu’elle était en France, tous les reportages qu’elle y a vus sur son pays étaient faux. Cela me fait songer à Israël sur lequel les médias déversent régulièrement leur poubelle, en ne parlant jamais que des aspects négatifs de ce pays, et en ayant fait la nation la plus impopulaire de la planète. Eiko m’a dit que c’est parce que les Occidentaux n’aiment pas les Juifs.

         Ce qui m’a immédiatement frappée quand je suis arrivée au Japon, c’est à quel point la nature, au lieu d’être sèche en été comme chez nous, y est généreuse. Des arbres gigantesques, des feuilles grasses, de l’herbe haute, des lotus immenses, tout cela à cause de l’humidité. On comprend mieux Miyazaki après avoir vu une nature aussi riche.

         Eiko habite dans la banlieue de Tokyo, à Tachikawa, petite ville tranquille. Les habitations sont de petite hauteur, aérées, et le bâtiment où réside mon amie, s’il parait quelconque, renferme en fait un petit appartement très agréable, avec des portes coulissantes partout et la climatisation.

         Près de Tokyo, on voit comme dans les dessins animés d’innombrables pavillons résidentiels cintrés de petits jardins et de rues. Ils semblent parfois si proches les uns des autres que leurs fenêtres ouvertes pourraient se toucher. Ce sont des maisons modernes typiques, avec des balcons, des toits irréguliers, des étages de grosseur différente, de nombreuses fenêtres, une allure discrète. Souvent, un immeuble de moins de cinq étages vient crever le paysage, avec ses balconnets, ses escaliers en coude et ses corridors extérieurs saillants. Tout croule sous d’épais et nombreux fils électriques.

         Dans les quartiers approchant du centre de Tokyo comme Nakano ou Shinjuku, c’est une overdose de couleurs multiples, des enseignes énormes recouvertes de lettres immenses, des écrans géants qui diffusent leurs publicités et leur musique, des magasins entassant des milliers de produits : c’est le pays des néons. J’adore. A Nakano, il suffit de bifurquer soudain vers de petites rues perpendiculaires pour se retrouver dans un coin désert tout en restaurants traditionnels, discrets, la devanture en bois sombre, exhibant sous des vitrines des assiettes pleines de vraie nourriture pour donner un exemple de ce qui peut se commander à l’intérieur. Malheureusement, j’étais trop timide pour y entrer seule, ne lisant pas les kanji, d’autant plus qu’on ne peut se fier à la vue pour savoir quoi manger. Prenons un légume rouge, on croit qu’il s’agit de la betterave et on tombe sur un légume inconnu. Il n’y a pas de correspondances entre la cuisine japonaise, beaucoup plus diversifiée qu’il n’y parait chez nous, et la française, de sorte que chaque ingrédient étrange que l’on goûte est une surprise pour le palais.

         Quant au centre ville de Tokyo, il est oppressant de building immenses, de routes qui s’élèvent et se chevauchent ; je comprends mieux comment, dans cet univers impénétrable, ont pu fleurir des œuvres cinématographiques aussi génialement tarabiscotées que celles de ce cher Mamoru Oshi.

         Vendredi, Eiko m’a présenté mon ancienne correspondante de japonais, Sayako, âgée de trente ans, très jolie, avec des traits fins, de beaux yeux, un nez aux narines saillantes, la bouche assez pulpeuse, un teint très blanc, ce qui est rare au Japon. Lorsqu’il y a du soleil, ces dames prennent des parapluies, voire des chapeaux, pour se protéger la peau. Sayako était avec son fiancé, un garçon très sympathique et drôle aux yeux toujours plissés. Nous sommes allés dans la montagne et ce fut l’occasion pour moi d’essayer mon japonais. Eiko m’aidait dans la traduction et leur raconta mes déboires à l’aéroport :

         « Comme elle avait un tampon pour Israël sur son passeport, ils l’ont prise pour une terroriste !

  • Bonne première impression du Japon ! Elle ne ressemble pas à une terroriste, dit le fiancé en riant.
  • En fait, dis-je, aux Etats-Unis, ils ont arrêté une terroriste islamiste blonde aux yeux bleus ! »

         On marcha sous l’arc des arbres, qui nous protégeait de la chaleur suffocante. Nous arrivâmes à un temple bouddhiste, et alors qu’en France, sawaremasen, on ne peut pas toucher les monuments, ici personne ne se gêne pour tâter le bois de la porte, qui tient sans vis aucune, par un simple emboitement des poutres. Plus haut, il y avait un temple shintoïste dédié au renard, et des coups de gong très impressionnants appellent à l’office ; se succèdent alors de jeunes hommes non tondus en kimono blanc qui viennent s’asseoir pour prier.

         Dans tous les temples que j’ai vus, il y avait la possibilité de faire brûler l’encens, de jeter des pièces pour émettre un vœu, et beaucoup de Japonais, debout, sans fausse pudeur, les mains jointes, les yeux fermés, se mettent en prière devant le monument. Dans le quartier d’Asakura, au bout de deux allées de marché pour touristes, il y a un grand temple bouddhiste rouge dont la luxuriance rappelle les offices orthodoxes de la chrétienté. Dans la ville provinciale de Kamakura, ancienne capitale du Japon, se tient un immense Bouddha gris construit il y a sept cent ans, dont la paupière mesure jusqu’à un mètre !

         C’est dans un petit restaurant de la montagne que nous avons pris le déjeuner avec Sayako et son fiancé. Nous avons mangé des nouilles au sarazin. Le temps que mon professeur s’en aille fumer, j’ai pu apprendre quelques mots de français au fiancé qui n’en revenait pas de la difficulté de nos chiffres.

« Je m’appelle Suiji, fit-il enfin.

  • Hajimemashite », répondis-je, ce qui signifiait : heureuse de faire votre connaissance, et les fit rire tous les deux.

         Le plus difficile était l’absence totale de connaissances linguistiques chez eux. Les Japonais apprennent l’anglais durant six ans à l’école, mais ont un très mauvais accent et ne le parlent en fait quasiment pas. C’est pourquoi, même dans les gares, il est difficile de se repérer pour un étranger. Ce fut un peu fatigant pour moi car je m’attendais à une conversation franco-anglo-nippone toute coulante.

         Eiko revenue dit qu’autrefois j’étais une fille mignonne et toute menue, que j’étais toujours mignonne même si mon visage s’était élargi, et que cela était lié à la maladie. « Et aux médicaments pour dormir, ajoutai-je. Watashi wa maru maru (je suis rondelette) ». Après avoir fait un signe de dénégation, Sayako me demanda si je faisais de l’exercice (undo undo), à quoi elle ajouta que cela me serait bénéfique pour réussir à dormir.

         Le soir tomba et nous sommes repartis diner dans la nature. Eiko avait réservé un restaurant merveilleux. On y est accueilli par trois femmes en kimono, qui nous proposent d’abord la visite d’une maison en bordure. C’est une résidence de paysans riches vieille de quatre-cents ans, qui a été démontée et remontée pièce par pièce pour être déménagée dans cet endroit. Portes coulissantes, sol vert tissé de petites mailles, tables basses, grenier plein de vieux ustensiles rouillés, de cahiers calligraphiés, et escaliers très raides. Le jardin est splendide. De la végétation partout, à la fois contenue et omniprésente, des statues taillées en pierre, des chemins dallés, un portail, un bassin d’eau secouée par une grosse roue de bois. Nous reprenons notre trajet. Une serveuse nous amène tout au long d’un petit chemin, dans ce même décor paradisiaque, la plus belle chose que j’aie jamais vue : arbres, petites ponts, bassins miniatures, chemins intimes, son persistant des cigales et, partout autour de nous, de minuscules temples qui sont en fait des salles de restauration réservées. On nous guide presque tout au fond du jardin, vers une petite maison où nous allons nous installer. Nous enlevons nos chaussures à l’entrée, et, derrière la porte coulissante, trouvons quatre coussins ainsi qu’une table enfoncée dans le sol sous laquelle glisser nos pieds. Une jeune fille très polie, gracieuse, stylisée, en kimono vert tendre, va venir nous apporter dix plats d’affilée, de la pomme de terre gluante, de la carpe, du poisson frit, des brochettes de poulet – selon Sayako, « des plats simples qui rappellent la cuisine de la région ».

         A la fin du repas je leur ai dit à tous que mon rêve serait de parler japonais couramment et que je les enviais de maitriser une langue aussi belle, à quoi très étonnés ils me répondirent : « Le français est beaucoup plus beau que le japonais ! »

         Enfin on se leva pour aller voir les lucioles, désormais peu nombreuses dans la nature, mais toujours attraction touristique ; nous en avons aperçues quelques unes, minuscules, qui clignotaient pareilles à des satellites dans la nuit.

         Je n’ai pas osé parler à Sayako et Suiji de ma passion pour les dessins animés car celle-ci peut être mal vue au Japon, moins à cause des œuvres en elles-mêmes que de l’otakisme, ce phénomène social regroupant des jeunes gens qui refusent la vie extérieure et s’enferment dans un univers de mangas. J’ai dit à mon professeur, qui ne comprenait pas mon engouement, qu’en France ceux qui achetaient des produits relatifs aux dessins animés n’étaient pas des otaku mais des fans, qu’ils avaient des amis et d’autres centres d’intérêt et étaient bien intégrés socialement. Pour ne pas dire qu’ils sont même désormais à la page.

         La dernière journée, nous sommes allées sur ma requête dans un établissement de bains chauds. On entre dans une grande maison au sol en parquet lissé et abandonnons nos chaussures dans des casiers avec numéro et clef. On longe ensuite un restaurant très grand et haut de plafond, saluées par des Japonaises courtoises, et on arrive au vestiaire dans lequel il faut se déshabiller complètement, en gardant avec soi une petite serviette. J’étais intimidée surtout par la présence d’Eiko. A cinquante sept ans elle est mince comme un fil, un vrai corps de jeune fille, sans forme mais avec une peau parfaite. On entre ensuite dans la salle des bains en commençant par s’asperger avec un petit seau à manche que l’on plonge dans une cuve d’eau chaude. Puis on va à la douche, en s’asseyant devant un miroir, avec cuvette, soins pour la peau et les cheveux mis en bouteille ; on se frotte le corps savonné avec la petite serviette puis on passe de l’eau dessus. Une fois scrupuleusement nettoyées, on se rend aux différents bains. Il y en avait un, de couleur ocre, mais en eau minérale, avec des jacuzzis. Une vieille dame, voyant que mes cheveux tombaient, prit ma clef autour de mon poignet et m’en fit un chignon. Eiko a relevé ce fait rare car d’après elle les Japonais n’aident pas spontanément et il faut les solliciter pour cela. Il y avait aussi un bassin d’eau chaude, un sonna (pas pour moi !), des cuves dans lesquelles se recroqueviller, des lits de pierre recouverts d’eau sur lesquels dormir, un bain blanc comme du lait, sans compter le plus naturel de tous, avec des roches et de petites sources.

         En ville, j’avais vu beaucoup de jeunes Japonaises aux jambes superbes, rehaussées de chaussures à talons, et mises en valeur par des robes légères et coquettes. Beaucoup d’entre elles se font teindre les cheveux en brun clair. Pourtant, je l’ai vu aux bains, les Occidentales n’ont rien à leur envier. La plupart ont du ventre et de la cellulite, et si le corps est bien fait, ce sont parfois des fesses plates ou des seins pointant sans grâce. Moi, je n’échangerais pour rien au monde ma superbe paire de nibards. J’ai perdu huit kilos sur les dix que j’avais pris on ne sait comment, mais cela ne se voit pas encore assez.

         La veille du départ, Eiko me dit : « Je n’ai pas compris ton attitude par rapport au voyage. Je pensais que tu t’intéressais au Japon et quand je t’ai écrit deux fois pour te demander ce que tu voulais visiter, tu ne m’as rien répondu. Quand je voyage je me renseigne sur le pays où je vais. Nous sommes différentes. J’ai été déçue. » J’en aurais presque eu les larmes aux yeux. Elle reprit : « Le Japon que tu imaginais est sans doute différent du vrai Japon. » – « Je n’avais pas d’image du Japon en arrivant, me défendis-je. C’est justement parce que je n’avais pas de connaissance que j’ai voulu aller découvrir sur place. » – « Ah c’est pour ça ! D’accord je comprends mieux. Désolée. » Nous avons descendu deux bouteilles de vin et écouté des chansons japonaises comme deux bonnes amies malgré l’heure qui tournait. A l’heure de se coucher elle m’a dit : « J’aime bien te parler comme ça. Excuse-moi pour tout à l’heure, je t’ai dit des choses très dures ».

         Voici déjà trois jours que je suis rentrée chez moi, mais, malgré un voyage en avion de douze heures qui m’a semblé aisé, je suis tellement décalée que je n’ai que deux passions : dormir et me souvenir.

LA CHAMBRE DU MYSTERE

Par Le 24/07/2023

LA CHAMBRE DU MYSTERE

 

 

 

Croyez-vous aux expériences paranormales ?

Je n’en ai connu qu’une – si du moins c’en est une.

J’avais quatorze ans, c’était l’été et je venais en vacances en Bretagne avec ma mère et mon beau-père. Nous avions loué une maison à étage. C’était une bâtisse un peu sombre et relativement vieille.

Un soir, dans ma chambre à part, j’éteignis ma lampe de chevet. Soudain, j’entendis des bruits de pas très nets qui semblaient se rapprocher de mon lit. Mon cœur se glaça dans ma poitrine. Je fis la morte. J’étais épouvantée. Des bruits de main fouillant dans je ne sais quoi, comme dans un sac en plastique, se firent entendre. Je m’étais tournée, montrant le dos aux bruits. Un temps et tout s’arrêta. Puis, deux ou trois pas reprirent. C’était tout contre moi !

Je crus mourir.

Heureusement, les bruits étranges cessèrent complètement.

Je ne sus jamais ce qu’il s’était passé. Il était évident que les sons entendus n’étaient pas ceux d’un rongeur.

Je ne peux m’empêcher de penser que, ce jour-là, j’ai été en contact avec un fantôme qui a eu pitié de moi.

Et vous, qu’avez-vous vécu de similaire ?

UNE LECTURE DE NAISSANCES A LA MACHETTE

Par Le 03/01/2023

Vous trouverez ci-dessous une critique de mon premier roman "Naissances à la machette" par Joel Conte-Taillasson , le président de l'association d'art et de poésie EUROPOESIES.

L'accent est mis sur les enjeux bioéthiques de ce livre, qui sont en effet considérables. 

Merci à Joel. 

Marie pra naissance a la machette article de joel conte taillasson 1marie-pra-naissance-a-la-machette-article-de-joel-conte-taillasson-1.docx (20.74 Ko)

Tout le monde se fout de toi, Gene Tierney

Par Le 26/11/2020

TOUT LE MONDE SE FOUT DE TOI, GENE TIERNEY

 

 

 

 

En 2016, les gens étaient particulièrement impolis et j’entendais souvent balancer, au détour d’une phrase : « Tout le monde se fout de toi ! » Je subissais beaucoup de ces moqueries, prononcées d’un ton froid et dépréciateur, mais, pour moi, le « Tout le monde se fout de toi ! » était souvent complété par le nom : « Gene Tierney », car on m’avait associée à cette actrice, ce qu’à l’évidence mon physique ne méritait pas.

La scène la plus violente et la plus évidente de ces mouvements de foule fut celle d’Hérouville-Saint-Clair, à une conférence de Michel Onfray, où toute la salle, des centaines de personnes, se retourna vers moi et me dit : « Gene Tierney, tout le monde se fout de toi ! Tu es juste venue faire une fellation ! » Puis, comme je levais le visage : « Regardez comme elle lève le cou ! On dirait une truie ! » Je ne sus jamais ce que j’avais fait pour mériter cela, j’étais juste un visage que l’on distinguait beaucoup.

A Paris, je faisais souvent l’objet d’interpellations et de brutalités dans la rue. Une fois n’est pas coutume, une femme me remercia dans le métro en me disant : « Merci Gene Tierney ». Mais, la plupart du temps, j’avais une mauvaise image. J’étais, je crois, décrite comme une mythomane et une fille à privilèges, comme si c’était moi qui avais réclamé le surnom de l’actrice. Un jour où je passais un concours de bibliothécaire, la vieille surveillante trépigna violemment derrière moi : « Tout le monde se fout de toi, Gene ! » Et, quand je quittai un wagon, une femme résuma fort bien ce qui m’arrivait en disant : « Quand on ne l’aime pas, on la surnomme Gene Tierney ; quand on l’aime, on la surnomme Jean ».

Je ressentais du verre coupant sous ma peau quand on invoquait le nom de la star pour me rejeter ; c’était extrêmement violent et injuste, un véritable racisme à la tête et au nom.

Il me semblait à l’époque que Gene Tierney était tenue pour une star rubbish et qu’on avait tout oublié de son modèle, l’actrice hollywoodienne merveilleusement belle et aimée des cinéphiles. Celle-ci n’avait jamais eu de problèmes d’impopularité ni fait preuve de ridicule. Son nom était associé à des grandes réussites cinématographiques. De fait, aucun forum cinéphile ne mentionna le détournement qui était fait de son nom, et qui me scandalisait comme une évidente preuve de grave inculture.

Parfois, à la longue, j’étais blessée même quand ce n’est pas moi qu’on visait directement. Un après-midi, à la Fnac, une vendeuse s’exclama : « Pour lire, il faut avoir du temps ! », puis elle rajouta haineusement : « Tout le monde se fout de toi, Gene Tierney ! » Cette star était vraiment un bouc-émissaire… Ma mère, alors que j’étais de passage à Talant chez elle, voulut me mettre dans la confidence : « Cette Gene Tierney qui essaie d’être publiée mais qui n’y arrive pas (juste mon histoire, fichtre !), nous, les vraies gens, les petites gens, qu’est-ce qu’on en rit ! »

Ses vraies gens, ses petites gens, juste des lepénistes !

Puis, avec l’année, la mode d’insulter Gene Tierney, et moi avec, est passée. Je ne sus jamais ce qui expliquait ce mouvement de psychose collective. Je ne vis jamais un reportage, ne lus jamais un encart dans le journal dénonçant ce phénomène de société. Aujourd’hui je me demande si je n’ai pas eu d’hallucinations. Si vous, parmi mes lecteurs, avez des souvenirs concernant cette expression, merci de m’en tenir informée.

LA BULLE DE SAVON

Par Le 23/11/2020

LA BULLE DE SAVON

 

 

« Si est-il difficile de forcer les propensions naturelles. » (Montaigne)

 

Cet été, j’allai avec mon compagnon au zoo du Jardin des Plantes.

Nous passâmes devant un petit enclos transparent qui était celui des singes. Un gardien était entré et tentait de divertir les minuscules animaux qui couraient sur les branches. Il avait choisi l’un d’entre eux, le plus proche, et portait son attention sur lui. Il avait sur le bout des lèvres un bâton et se mit à faire des bulles. De jolies bulles transparentes, de taille modeste, qui volaient au-dessus des branches et partaient dans les airs. Il tentait de les diriger sur son singe, pour le faire jouer avec.

Comment réagit le petit mammifère ? Allait-il tenter de saisir la boule de ses mains ? De la faire éclater d’un coup de pattes ? Telle était sans doute l’intention du gardien. Créer un atelier d’éveil. Mais ce n’est pas ce qu’il se passa.

Non, le mignon petit singe avait peur ! Devant la bulle qui s’échappait du bâton, il recula et s’enfuit. « Viens ici, pépère ! » lui dit en riant le gardien. Les bulles se succédèrent avec toujours le même effet, le même échec. Le singe les craignait trop.

Cette anecdote m’amusa beaucoup. Elle montre à quel point les petits primates sont des êtres douillets. Avoir peur d’une bulle de savon, il faut vraiment le faire. On ne peut rêver plus doux, plus inoffensif. C’est pourtant ce qui panique un animal.

Suis-je le singe de quelqu’un ? Mon compagnon m’assure qu’il n’y a rien, que j’ai peur pour rien les jours où je dois me rendre en cours. Les bavardages des élèves qui devraient se taire en classe me semblent plus du gravier que des bulles. Angoissée, je voudrais me convaincre que je n’ai, comme le gardien de but, que des bulles à arrêter. Mais peut-être leur nombre rend-t-il ce défi difficile. Nous paraissons tous assiégés par des bulles, car notre poste d’homme nous commande de ne pas souffrir à la place d’autrui, et ce qui résonne gravement en autrui ne fait que rebondir sur notre propre surface. Cependant, il se pourrait que l’anecdote du singe soit juste : il n’y a pas de danger à vivre. Il nous manque sans doute, dans une langue que nous pourrions comprendre, l’affectueux : « Viens ici, pépère ! » qui nous rassurerait sur notre chemin. Qu’est-ce qu’une bulle après tout, à hauteur d’homme ?

CONTRE-PAROLE

Par Le 12/10/2020

CONTRE-PAROLE

 

 

 

       J’ai connu ta mère quand j’étais enfant, un petit peu. Elle partageait la location d’une grande maison avec des amies. Je ne savais rien de toi, mais, à l’aube de l’adolescence, nous avons fait du karaté ensemble. Tu avais le teint blanc, l’air d’un petit gringalet souffreteux.

Thomas, quelques années plus tard, j’ai appelé une amie de ta mère. Elle m’a dit que tu avais de très gros problèmes d’identité. Que tu étais depuis ton plus jeune âge un gamin dur.

A son tour, ma mère a rencontré la tienne. Elle habitait, je crois, près de chez nous. « Je déménage, a dit ta mère. Thomas passe son temps à inviter des copains, tous les jours la maison est pleine et ils mettent le bazar partout. Je n’en peux plus. »

Au téléphone, l’amie de ta mère m’a tout raconté. Que ta mère ne t’avait jamais, durant l’enfance, parlé de ton père. Que tu lui téléphonais depuis peu, mais que c’était un homme marié et qu’il ne pouvait pas te recevoir, ce qui te faisait mal. Tous les soirs, ta mère devait aller te chercher au commissariat de police, car tu étais impliqué dans des affaires de drogue.

Statistiquement, tu as passé ton enfance seul avec ta mère, puis celle-ci a vécu en couple avec une femme, puis elles se sont séparées. Une cousine éloignée, qui a beaucoup minimisé ton mal-être, disait que tu avais l’air « un peu rebelle ». Tu étais entre la famille monoparentale et la famille homoparentale. Comme moi, tu as vécu cette absence de père comme un fléau. Je ne sais pas ce que cela aurait donné si tu en avais parlé en articulant.

J’écris cela pour apporter une contradiction à des discours diamétralement opposés, dont je connais l’influence. Il y a peu, les Inrockuptibles ont publié cinq ou six témoignages d’enfants de mères célibataires et de lesbiennes qui pètent tous la forme de grandir sans père, et qui se moquent comme d’une guigne du paternel. Les journalistes vont dans le même sens que ceux qui nous gouvernent, c’est une tendance que j’ai déjà noté. Je ne prétends pas que ces situations de bien-être et de réussite n’existent pas. Mais, pour ceux qui souffrent et ont souffert, la chape de silence est profonde. Ce n’est pas si normal.

Des mères célibataires, des parents proches des associations LGBT éduquent leurs enfants à ne pas sentir le manque, cela semble possible. Tout irait bien pour eux car on leur enseigne très tôt la différence entre géniteur et père !... Or, selon le dictionnaire, donc selon notre culture, les deux mots sont synonymes. Il y a donc, chez ces parents, une réécriture du sens qui fait de la filiation une fiction. Peut-on s’appuyer toute sa vie sur cela ? Le chemin qui mène à notre généalogie complète n’est-il pas plus profond ?

Plusieurs associations LGBT, terroristes, ont même été jusqu’à interdire, comme chacun le sait, une conférence de la philosophe Sylviane Agacinski, opposée aux dérives de la procréation médicalement assistée. Réactionnaire et homophobe Agacinski !... selon leur vision du monde, car eux sont progressistes et tolérants, c’est l’opinion de toute la presse de gauche ; on ne peut plus argumenter grand-chose !

SONNET DE VACANCES

Par Le 13/07/2020

SONNET DE VACANCES

 

 

 

Moments chauds d’un été que l’on retrouvera,

Nuages dissipés comme écharpe en détresse,

Front soulevé du ciel qui fait du bleu en liesse,

J’ai pour vous l’affection qu’on a pour un gros chat.

 

Des ronds jaunes et roux, des arbres en contrebas,

Un chat qui tend son dos en quête de caresse,

Le lac souriant de vert, où l’on nage en vitesse,

J’en ai eu la vision avant de venir là.

 

Paysage estival que mon cœur va servir

Si j’ai l’éternité qu’elle aille à mes loisirs

Ne pensons au travail que lorsqu’il le faudra,

 

Car quand la cloche sonne appelant au lycée

Le travailleur qui doit se mettre à la saignée

Nous sommes, mon été, dans de forts méchants draps.

 

 

                                                              Talant, juillet 2020.

 

 

Dans Animaux

Pensez aux poules !

Par Le 12/06/2020

PENSEZ AUX POULES !

 

 

 

 

       J’ai commandé sur la Toile trois paquets de gâteaux biologiques : des petits beurres au praliné, des fourrés aux figues, des spéculoos. Ils sont plus chers qu’un paquet ordinaire, ils mettent du temps pour arriver et il y a les frais d’envois. Pas une affaire pour le porte-monnaie. Mais j’y compte beaucoup.

Pourquoi ? Je viens de voir sur Internet des vidéos d’associations dites « activistes » sur les élevages des poules en batterie.

Certains élevages comptent des milliers de poules entassées dans de petites cages, où elles sont les unes sur les autres avec à peine la place de se mouvoir. Elles mangent en tendant le cou à travers les barreaux, et se déplument. Elles ne voient jamais la lumière du jour. Elles ne picorent pas au sol, ne profitent plus des éléments naturels. Tout, autour d’elles, est automatisé. Elles vivent au milieu de la cacophonie de leurs semblables, qui ne s’arrête jamais.

Ayant vécu l’enfermement à l’hôpital et le confinement, je n’ose même pas imaginer ce que doit être une vie en cage. Un enfermement sans répit. Une torture sans relâche. J’ose à peine me dire que chaque minute, chaque heure qui s’ajoutent sont une minute, une heure en trop dans la vie de ces petites poules. Que peuvent-elles faire ? Elles ne dorment que quatre heures par nuit. Que se passe-t-il dans leur longue vie infernale ? Car ces élevages industriels sont l’enfer. Elles n’en sortiront qu’au bout de plusieurs mois, pour aller à l’abattoir.

J’ai parlé de cela à un agriculteur, venu vendre ses produits locaux sur un marché à côté de chez moi. Il m’a dit :

« Mais les poules en cage ne sont pas forcément malheureuses ! Elles sont dix au mètre carré… Vous, vous êtes bien heureux, à Paris ? »

Qui est heureux en cage ? Qui est heureux entassé ? Je ne connais pas ce genre de bonheur dans le règne humain et animal.

« Les poules ont de la lumière, corrigea-t-il, on leur en met une forte car c’est la condition pour qu’elles pondent. Je me méfie des journalistes… Je suis agriculteur et je connais ces élevages, ce n’est pas si atroce que ça. Il devait y en avoir deux ou trois de déplumées, ce sont celles-là qu’ils ont filmées… Ce ne sont pas les barreaux, ce sont les poules qui se font ça elles-mêmes. »

Il pensait que l’élevage en batterie pouvait être résumé ainsi : « Il y a du pour et il y a du contre. Si vous choisissez l’élevage biologique, il faut accepter de payer les produits bien plus chers.

-Eh bien j’accepte », dis-je.

Je n’aime pas qu’on dise que tout se débat. Ce n’est souvent qu’une façon de masquer l’inhumanité d’un procédé. L’objectivité, c’est cinq minutes pour les Juifs et cinq minutes pour Hitler.

Le nœud de la discussion était ailleurs. « Il y a aussi des tomates élevées en rangs, reprit l’agriculteur… Et pourtant ça vit, ça respire… Les poules ne sont pas des créatures d’une grande intelligence ».

Voilà, parce que c’est bête, on se croit tout permis ! Pensez au bien-être des poules, par pitié ! Les animaux sont des créatures innocentes, et c’est ce qui rend particulièrement triste le mal qu’on leur fait.

« J’ai des poules, reprit l’agriculteur, elles ne sortent pas tant que cela. Elles préfèrent rester sous leur toit, c’est leur maison…

-C’est leur maison, pas leur prison », dis-je.

Les élevages industriels dans le monde s’apparentent à ce qu’un essayiste a décrit comme des « camps de concentration pour animaux ». On peut s’étonner qu’aucune législation ne regimbe à ce sujet. Seul signe d’altruisme, la volonté de plusieurs grandes marques de basculer du côté des élevages de plein air. Depuis 2019, Mac Donald n’utilise que des œufs de poules élevées en liberté, sur l’herbe. En 2021, c’est la marque Gerblé qui utilisera ce genre d’œufs. En effet, il faut savoir que l’immense majorité des gâteaux secs vendus dans les supermarchés sont faits à partir d’œufs de poules en batterie. Ce système représente 70 pour 100 de l’élevage en France.

Les œufs de poules élevées en plein air sont aisément reconnaissables : ce sont de petites boites en carton qui en font mention. Les œufs de poule en batterie sont souvent présentés dans des boitiers en plastique transparent et le chiffre « 3 » est tamponné sur la coquille.  

Vous pouvez, de votre côté, choisir de ne pas subventionner financièrement l’élevage en batterie, en faisant attention. Evidemment, on ne peut pas tout contrôler et je n’ai pas encore demandé à un restaurateur quels œufs il utilisait pour me servir. Comme les êtres humains sont égoïstes quand il est question de leur petit bien-être !