L'humiliation

L’HUMILIATION

 

 

 

 

       En 2008, sortit mon premier livre publié, Synagogue morne plaine, écrit cinq à six ans plus tôt. J’y racontais ma vie dans le judaïsme, moi qui ne suis pas née dans une famille juive.

L’ouvrage fut tiré à mille exemplaires mais je ne reçus de droits d’auteur que sur trois cents ventes les deux premières années. J’eus cependant droit à plusieurs passages dans les médias grâce à ce récit de vie, qui touchait généralement le cœur des lecteurs. Mon éditeur, Bruno Wajskop, se disait très attaché à lui affectivement.  

A l’époque, parallèlement, j’étais une habituée des conférences du prestigieux cercle Bernard Lazare, juif laïque de gauche et de culture yiddish. Chaque jeudi, je poussais la porte du 10, rue Saint-Claude, dans le troisième arrondissement de Paris, je me mettais à une table après avoir commandé un thé, puis je m’essayais sur une des chaises de la salle où le débat du soir devait se dérouler. Je vis là Elie Barnavi, Alain Finkielkraut, Robert Mizrahi, pour ne citer que quelques célébrités.

En début de séance, j’avais pris l’habitude de parler avec un des fondateurs du cercle, le bien-aimé David Fuchs, qui avait su conquérir mon admiration. Ce vieil homme paraissait très intelligent et il venait chaque jeudi de présence me saluer.

J’eus une idée : et si moi aussi je donnais une conférence au Cercle ? Il y avait là une bibliothèque. J’avertis une des responsables de la cantine à thés de ma promotion en littérature : je ne reçus que des moues blasées, car il était évident pour mes interlocuteurs que le Cercle recevait des tonnes d’ouvrages insipides comme le mien. Mais, je croyais en moi. Je parlais très bien, j’aimais l’ambiance du lieu, je saurais faire une conférence si ce droit m’était octroyé. Et le film se déroula dans ma tête.

David Fuchs fut le seul à me renvoyer un signal positif : « Je lirai votre livre avec plaisir », me dit-il.

Le temps passa. Je revins un jour au Cercle, et constatai que personne ne me parlait de mon livre. Assise à une table avec un familier qui avait coutume de me draguer les jeudis, je hélai David Fuchs :

« Alors, vous avez lu mon livre, Synagogue morne plaine ?

-Oh, s’exclama mon interlocuteur sur un ton véhément, j’ai détesté ! C’est plein de prêchi-prêchas et ça m’a fait penser à ces rabbins qui se congratulent pour dire que la religion est une chose merveilleuse ! »

Il avait pris un ton acide. Je n’eus pas l’impression que l’on parlait du même livre.

« D’ailleurs j’ai écrit un compte-rendu négatif sur le livre pour la revue », conclut David Fuchs.

Son éreintement m’avait stupéfiée. J’étais d’autant plus blessée que j’avais toujours considéré cet homme comme un allié. Et je ne voyais vraiment pas ce qu’on pouvait détester dans mon livre, qui n’était pas un ouvrage de conversion religieuse fanatique mais qui œuvrait pour le rapprochement entre les peuples. Cela m’avait paru dans le crédo laïque du Cercle ; je m’étais trompée.

David Fuchs était un homme respecté, influent, et je fus humiliée par cet homme influent : les autres crurent à ma nullité. Mon voisin de table, qui avait assisté à la conversation, me dit :

« Mais tu étais très jeune, quand tu as écrit, tu n’as sans doute pas su faire ton livre ! »

Virée de mes espoirs dans ce lieu que j’avais aimé plus que tout, je n’y remis plus jamais les pieds.

Mon éditeur seul me ramassa à la petite cuillère, et m’envoya le mail le plus drôle, le plus insolent et le plus libre d’esprit qu’il m’ait été donné de recevoir : il me disait en substance qu’il fallait se moquer du Cercle Bernard Lazare. « Tu n’es pas un écrivain facile à décoder ». Quand tu auras en effet fait du prêchi-prêcha ta marque de fabrique, tu deviendras son Barbara Cartland et le Cercle Bernard Lazare t’invitera à toutes ses conférences.

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