Inédits littéraires

Lettre d'un éditeur régional

Par Le 31/12/2018

A PROPOS DES EDITEURS REGIONAUX

 

Le 10 août 1998

« Mademoiselle,

Mon ami et auteur Pierre Poupon me fait part d’un courrier qu’il a reçu de vous au sujet de son « journal », dit, en réalité – Carnet d’un Bourguignon.

C’est à ce sujet que je prends la liberté de vous écrire. Vous semblez trouver dévalorisant de publier en province. Vous ignorez sans doute que dès le début de l’imprimerie ce furent des villes comme Troyes et Lyon qui furent à la pointe de la nouveauté avant Paris.

Ce furent des imprimeurs éditeurs comme Mame à Tours, Privat à Toulouse, Darantière à Dijon ou comme Aubanel qui publia Mistral, qui surent, bien avant Paris, apporter aux lecteurs les œuvres d’auteurs inconnus. Plus près de nous, un Pierre Fanlac fit plus pour la poésie que bien des éditeurs parisiens et se paya le luxe de publier des auteurs extrêmes orientaux !

Avant de créer les éditions de l’Armançon, j’ai fait carrière chez Gallimard et Denoël et j’ai publié des ouvrages de très moindre intérêt que celui de Pierre Poupon ; et ce n’est pas une diffusion nationale qui a fait des ventes supérieures.

Certes, le fait d’éditer en province rend plus difficile une reconnaissance des médias parisiens, mais n’est-ce pas aussi la faute des lecteurs provinciaux (pour moi province et provinciaux sont des titres de « noblesse » bien que je sois un Parisien grand teint !) qui n’osent pas dire le plaisir qu’ils ont eu à découvrir un auteur dont personne ne parle à Paris, quand bien même la presse locale rapporte souvent de belle façon sur les livres parus dans les régions.

N’oubliez pas, même si vous n’aimez pas son style, que c’est par les éditeurs régionaux que Christian Bobin s’est fait un nom, et que tout un cercle de lecteurs fidèles lui ont fait sa renommée sans attendre que Kechichian du journal « Le Monde » lui tresse des lauriers à son premier livre chez Gallimard, pour mieux le trainer dans la boue quelques livres plus tard.

Bien sûr que j’aimerais que l’œuvre de Pierre Poupon soit plus connue, mais sachez que, souvent, la qualité finit toujours par être reconnue, et qu’il vaut mieux au départ mille lecteurs attentifs que cinq mille flagorneurs qui brûlent ce qu’ils ont aimé sans comprendre.

Prenez le temps d’aller en librairie, humez dans les rayons les livres que nous avons publiés, et vous aurez la surprise de trouver un roman de Michel Lucotte, Le Verveux, un récit de Paul Roche, Une Etoile en tête, Sobek  de Joelle Brière, bien d’autres titres comme Verger Sauvage de Gérard Calmettes, qui sont nos trésors, qui feront des éditions de l’Armançon et de ses auteurs, une halte incontournable pour ceux qui aiment la belle écriture et la littérature dans ce qu’elle a de plus humain.

Bien sincèrement. »

G.Gauthier

 

Les éditions de l’Armaçon, créées en 1987 par Gérard Gauthier, sont établies à Précy-sous-Thil, une commune de Bourgogne.

DEUX LETTRES DE SUZANNE BERNARD

Par Le 20/09/2017

 

 

                   

DEUX LETTRES DE SUZANNE BERNARD

 

 

 

                J’ai reçu deux lettres de Suzanne Bernard.

                Comme en témoigne Le Roman d’Héloïse et Abélard, d’une resplendissante beauté d’écriture, Suzanne Bernard (née en 1932) compte parmi les grands écrivains féminins français.

               Bien que son œuvre ait déjà été traduite, et que ses plaisants romans médiévaux (La Malevie) aient cavalé jusqu’à dix-mille exemplaires, Suzanne Bernard a écrit de nombreux manuscrits refusés et a souffert en tant que précaire des lettres. En France, s’exprime-t-elle, « 40 écrivains vivent bien, une poignée très très bien, de leurs livres. » Elle vend peu, les médias ne l’invitent presque pas, elle connait les vêtements usagés, l’humiliation – le boucher lui donne la plus mauvaise viande quand elle vient acheter un steak : ainsi témoigne Chair à Papier, son récit, unique, sur quinze ans de misère en marge du monde des Gens de Lettres… et qui connut, enfin, le succès !

              Suzanne Bernard aime passionnément la Chine, elle la vit. Ses notations sur les spécificités de l’humour chinois, de la sensiblerie chinoise, d’une poésie dont l’Occident ne veut plus, sur la délation, les filatures menées contre les amants et les intellectuels, mais aussi l’amicale solidarité, dans les métiers de la culture, à l’époque du communisme en Chine, constituent un mélange rare d’empirisme sincère, sentimental, et de parti-pris idéologique.

           

 

Première lettre                     

 

(Machine à écrire, encre noire)

« Merci pour votre lettre que j’ai aimée.

Merci de m’avoir lue comme vous l’avez fait, et merci d’avoir travaillé sur CHAIR A PAPIER avec vos élèves. J’ai été très intéressée par leurs réactions.

Oui, LE REVE CHINOIS reprend des éléments « personnels » sur la Chine, que j’ai développés dans d’autres livres (« Une Etrangère à Pékin », « Nouveau Voyage au Pays d’Autrefois », etc.) d’où, vous l’avez bien senti, un survol de mon expérience… Il est assez difficile, pour un écrivain, quand il s’attache à un thème (en l’occurrence un thème aussi large et important !) de le traiter à travers plusieurs livres, dans des « tonalités » différentes. Mais c’est aussi l’intérêt du travail.

Mon prochain livre, à paraître en novembre, toujours aux Editions Le temps des cerises : une biographie d’une héroïne chinoise, très peu connue en France, Qiu Jin, dont le centenaire de la mort aura lieu en 2007. C’est une grande figure de la période qui précède la révolution de 1911, féministe, poète, révolutionnaire, elle a eu la tête tranchée à 32 ans. Elle signait ses textes : Qiu Jin, la femme chevalier du Lac du Miroir… Je suis sûre que son extraordinaire destin, et ses magnifiques poèmes (jusque-là inédits en français) vous intéresseront. Le livre est bref, comme le fut sa vie, je n’aime pas les gros « pavés » en matière de bio ou de roman…

Continuez à écrire ! Mais, du côté éditions, montrez-vous très prudente. Je me méfie beaucoup des éditeurs qui vous font « reprendre » un manuscrit. Parfois, c’est une façon d’écarter la possibilité d’un contrat… Ou, pire, une manière pour l’auteur de détruire lui-même son travail ! Il ne faut pas accepter de retravailler un texte sans un contrat, et, dans ce cas, celui-ci est très rarement accepté par l’éditeur… il y a souvent beaucoup de perversité chez celui-ci… (je parle de la chose dans LE REVE CHINOIS). »

(au stylo-bille noir, écriture très lisible, rapide, un peu anguleuse)

Encore merci pour votre témoignage. Tenez-moi au courant de vos travaux !

Très amicalement.

(Signature)

Je connais bien la rue Lacroix pour y avoir vécu… il y a quelques décennies !

 

Deuxième lettre

 

(Stylo feutre bleu marine, lettres assez hautes, un peu pointues)

Merci pour tour ce vous me dites et faites pour mes livres et « ma » Qiu Jin. J’aimerais vous écrire plus longtemps. Mais je peine à tenir la plume, car j’ai actuellement de graves ennuis de santé. Voici neuf mois ( !) que je vis recluse (complètement !) avec douleurs, incapacité de me déplacer, etc. J’en parle bien sûr le moins possible (seuls les intimes… !) C’est très dur.

            J’espère pouvoir reprendre une vie normale bientôt !

            Encore merci !

                                    Amitiés,

                                               (signature)

 

                                               Paris le 19 avril 2006.

 

 

En mai 2007, parait Le Passage, il s’agit d’un témoignage spirituel sur les hospitalisations de l’écrivain, atteinte d’un cancer.

En juillet 2007, de très discrètes notations sur le web, et L’Humanité, annoncent le décès de Suzanne Bernard.