LA METEORITE AVALEE
« Elle (la baleine) était déjà sur nous et nous avala d’une seule bouchée, hommes et bateau. Pourtant, nous échappâmes - mais de peu - à ses dents. »
Lucien, Histoire véritable.
Voici vingt ans, quand il fut question d’implanter en salle les premiers dessins animés japonais, il semblait difficile de les distribuer et ils pouvaient tourner, pantelants, dans un cinéma, où seuls quelques jeunes passaient les voir, durant une semaine.
C’est actuellement en cent quarante séances à Paris et autour de Paris que le film Les enfants de la mer[1] vient chercher son public. Il s’agit d’une œuvre sur l’adolescence, l’imagination, et l’océan.
Le début est passionnant. L’héroïne, Ruka, petite adolescente trop douée, est exclue des cours de sport de son école de vacances, après avoir frappé une élève qui venait, sur le terrain, de lui lancer une marque de dédain. De façon crue, se dessinent sa vie de jeune fille solitaire et têtue, une trop grande hâte de vivre. La ville est flanquée d’un port. Les parents travaillent à l’aquarium, comme des océanologues. Ruka se liera d’amitié, avec des adolescents nageurs, élevés par des poissons.
L’ennui n’arrivera jamais avec les Enfants de la mer, qui est un film sublime. Il s’agit peut-être du meilleur film d’animation japonais importé depuis des années, bien que Silent Voice, une œuvre sur le thème de la surdité, fût grande et originale aussi. Après le retrait d’Hayao Miyazaki et des studios Ghibli, il va sans dire que le public court à la recherche de géants.
La musique omniprésente de Joe Hisaichi, épique et mélodieuse, noie les oreilles du public comme le réalisateur, Ayumu Watanabe, noie et roule ses personnages dans la mer.
Un jeune ami de Ruka l’embrasse sur la bouche, et lui glisse par là un morceau de… météorite ; ce caillou perdu vient de tomber en provoquant la mort de milliers de poissons. L’adolescente, qui porte ce caillou dans son ventre, se risque dans la mer et est avalée par une immense baleine à bosse, scène fameuse déjà décrite dans la Bible et chez l’écrivain grec Lucien – épisode dont on revient toujours, vivant. La peur envahit cependant le spectateur. S’agit-il d’un cauchemar ? Ruka s’exclame : « Je veux voir » et accouche d’un univers. Nous assistons alors à un poème grandiose, cinématographique, astronomique, où les galaxies naissent et tournent.
Pourquoi une œuvre sur l’imagination ? Il s’agit de l’énergie créatrice d’une enfant ; et de ce que dit la science – toute vie provient des cailloux de l’espace et de l’océan. Un accueil réservé attend Ruka. « J’en connais qui ont connu de beaux garçons en mer », dit une vieille femme en bateau qu’elle vient voir à la fin, « partout il y a une histoire que l’on porte en soi. » Comment vivre dans la banalité quand on est la mère d’une explosion cosmique ?
Au public de ne pas trop analyser et de suivre des yeux cette fable poétique et, évidemment, écologique. De son étude de l’univers, un des personnages conclut : « Tout ce qu’il y a sur la terre est fait de la même matière. Et partant, tout ce qu’il y a sur la terre est identique. Nous ne sommes pas supérieurs aux autres. »
A la fin du film, j’ai entendu des spectateurs parler dans l’écran.
-Comment a été reçu ce film au Japon ?
-Il a eu un giga, dit un jeune Japonais.
-Oui, et ils ont dit : c’est ce que chacun éprouve au fond de soi.
-En fait, reprit le Japonais, c’est à cause de la baleine.
Il m’a semblé que c’était de l’humour japonais.
[1] Kaijuu no kodomo est le titre original. Au Japon aussi, le film est sorti en 2019.