HOMMAGE A PATRICK DUBREUIL, MUSICIEN
A Salima
Il y a près de dix ans, à la station de métro Invalides, où je passais régulièrement pour des raisons professionnelles, je surpris un musicien qui jouait du saxophone. J’eus le bon réflexe de m’arrêter pour lui parler. Il portait un béret et une paire de lunettes. Sa musique encensait toute la station d’une gamme de bonne humeur.
Il vendait ses propres disques et, repassant par là, j’eus le désir de lui donner chaque fois un de mes livres ou manuscrits. Quand je revenais, il m’avait lue et me disait ce qu’il en avait pensé. Il était simple, facile d’accès, causant, et il semblait aimer les gens. Comme je l’appris plus tard, il avait exercé quantité de petits boulots en plus de sa carrière de musicien. Désormais, c’était pour compléter sa petite retraite qu’il jouait avec entrain dans le métro.
Sur ses disques, il jouait et chantait quelques reprises de grands classiques, Nougaro, Brassens, Trenet, Gainsbourg… Mais il était surtout auteur, compositeur, interprète avec un talent consommé. Il a ainsi créé des chansons de jazz comme l’amusant Poupée plastic blues, le trépidant Crime passionnel, L’oiseau et le chat, avec un air émouvant à la flûte à bec, le peu conformiste Bluesman à Paname, où sa voix s’envole, ou encore le nostalgique Quatre heures du matin :
Quatre heures du matin
Toutes les filles sont mannequins
Les mecs beaux comme des chefs indiens…
A l’intérieur de ses disques, il rendait hommage, photos à l’appui, aux musiciens qui l’accompagnaient. Il était un brillant parolier et ses rimes, parfois savoureuses, sensibles ou humoristiques, retenaient l’attention de l’oreille.
Je lui demandais souvent de faire d’autres disques. Il me répondait que c’était une activité pénible et épuisante. De ce fait, il a préféré par la suite publier deux albums numériques sur Internet, où sont parues une foule de chansons inédites. Malheureusement, il devait se plaindre du peu de succès de son entreprise. Comme beaucoup de créateurs intéressants, il aurait mérité une notoriété plus grande.
Le coronavirus arriva et il lui fut interdit de jouer dans le métro. J’avais son numéro de téléphone et je le recontactai. Nous décidâmes de nous retrouver au café. Là, il m’apprit qu’il avait un cancer. Mais qu’il pouvait pour le moment vivre sans traitement.
Son état de santé devait se dégrader. Il fut contraint de suivre une chimiothérapie qui l’épuisa.
Au téléphone, il était toujours jovial, n’évoquait pas la mort. Il me parlait de Louis-Ferdinand Céline dont il aimait les livres. Il avait un côté parisien typique, et avait publié un ouvrage intitulé Salades à la parigote, un roman.
La dernière fois que je l’appelai, il avait cependant changé. Il était visiblement épuisé. Il avait préféré renoncer à sa chimiothérapie. Il préférait finir sa vie sans traitement, afin d’en profiter. Les soins l’avaient trop usé. Selon son médecin, il pouvait vivre encore six mois, un an…
A l’hôpital, il avoua : « Je veux tout arrêter ». Il y eut une méprise. Les médecins crurent qu’il avait demandé le droit de mourir. Ils cessèrent de l’alimenter, le mirent sous soins palliatifs – et il mourut.
Sa disparition subite a laissé des proches stupéfaits et bouleversés. Sympathique, il était une lumière pour beaucoup d’entre nous. Créatif, il avait des choses à transmettre. Il restera pour moi éternellement ce chouette musicien qui jouait du saxophone dans un coin de métro. Patrick, où que tu sois, sache que tu manques à tes amis et que nous ne t’oublierons jamais, jamais…
Repose en paix.
Patrick Dubreuil, 1950-2023.