Chez Laurent Ruquier

CHEZ LAURENT RUQUIER

 

 

 

 

L’an dernier, à la rentrée, je fus un peu connue.

Lors de la pré-rentrée des enseignants, après la pause croissants du personnel en salle de cantine, j’entendis deux femmes du collège discuter :

« Il y a Marie Pra ici.

-Qui est-elle ?

-Il y en a trois. Une qui est morte âgée, une qui écrit et une qui poste des photos famille.

-Laquelle préfères-tu ?

-Celle qui écrit. »

Je fus rudement flattée. La principale du collège m’évoqua aussi et dit sur un ton bienveillant : « Pour la petite Marie Pra, E », ce qui signifiait que mon passage n’était pas à l’ordre du jour et se ferait dans la discrétion.

« C’est qui Marie Pra ? demanda une enseignante à la fin de la réunion. C’est celle qui fait scandale lors de cette rentrée ? »

Une collègue me regarda, mais je n’osai rien dire. Un bouche-à-oreille miraculeux m’avait distinguée. Depuis, cela ne s’est plus reproduit, et le succès semble avoir bien fui.

Le célèbre animateur Laurent Ruquier semble avoir eu vent lui aussi de ce bouche-à-oreille. J’avais déjà follement postulé pour devenir chroniqueuse dans son émission, et il fit un petit geste pour moi dont je me souviendrai toujours.

J’étais allée plusieurs fois assister au tournage d’On n’est pas couché ; il dure trois ou quatre heures ; à l’entrée, on nous distribue un sandwich et les spectateurs font la queue sur des escaliers descendant au studio rutilant :  tout autour de la scène, des sièges en blanc pour eux. Certains viennent de l’étranger rien que pour assister à l’émission. Au-dessus de la scène, un écran géant où se lisent les images captées par les caméras. Quand le tournage commence, un animateur stimule la salle et demande aux jeunes spectateurs de beugler leur enthousiasme. Survient Laurent Ruquier : il est dégingandé ; est-ce le maquillage, ou l’âge, ou la lumière, il semble avoir la peau un peu craquelée. « Je suis fan de toi », lui dis-je une fois – ce qui n’a pas toujours été le cas.

Un soir de septembre 2019, je fis la queue pour le studio Gabriel où se déroule l’émission, d’abord dehors, puis sur les escaliers, quand deux femmes firent un esclandre : elles s’en prenaient à une certaine « Marie Pura » qui avait Emmanuel Macron dans son filet, ses lecteurs, ses relations, alors que ce dernier ferait mieux de s’intéresser aux personnes dignes d’attention.

Il y avait ce soir-là plus de monde que lors des émissions précédentes. La foule ne cessait d’entrer ; les placeurs redoublaient d’imagination. Etant avenante, en jaune et bleu, je fus placée plutôt devant. Laurent Ruquier qui s’affairait sur son bureau me remarqua et s’exclama : « Oh là !.... Ah, c’est tout, ce n’est que cela ! » Il avait eu vent de la réputation que j’avais depuis quinze jours d’être un écrivain, apparemment.

Quand le tournage de l’émission commença, les applaudissements crépitèrent. Laurent Ruquier éleva la voix et présenta le sommaire de ce numéro. A un moment donné, il évoqua mon nom comme pour dire que j’étais témoin de l’émission, mais les applaudissements étaient tellement forts au-dessus que sa citation fut à peine audible. Tant pis, c’était remarquablement gentil quand même.

On n’est pas couché était un vieux programme et Laurent Ruquier cherchait une nouvelle formule. Peut-être pour cette raison, le tournage fut épuisant, partit parfois un peu dans tous les sens et se révéla trop long. A un moment, Laurent voulut faire des photographies avec des invités, ce qui sortait de l’ordinaire.

Pourtant, certains passages ne manquaient pas de tonus et il y avait des projections de films à l’écran avec des caricatures, qui faisaient passer un bon moment. C’était une émission intellectuelle, plus subtile qu’il n’y paraissait.

Quand les chroniqueurs épuisés arrêtèrent l’émission, j’étais complètement oubliée et je sortis anonyme, sans rien trouver à dire à personne.

Date de dernière mise à jour : 28/07/2020

Ajouter un commentaire

Anti-spam