LES GRANDS ROLES D’AVA GARDNER
Il est une grande actrice dont je suis folle, c’est Ava Gardner. Pour son visage miraculeux, son corps de déesse, sa voix susurrée, ses rôles mythiques, son côté mystérieux qui fait de la jeune femme, aujourd’hui décédée (née en 1922, elle meurt en 1990), une des plus grandes stars d’Hollywood. Et d’Hollywood à une autre époque – celle des mythes et non de l’argent, du raffinement et non du clinquant.
Je connais la filmographie d’Ava Gardner, sans pour autant avoir vu tous ses films en entier. Je ne prétends pas donner ici un résumé de toute sa carrière. Sans doute tous ses films valent-ils, quand on y réfléchit bien, la peine d’être vus. Mais je tiens à attirer l’attention sur ses plus grands rôles, ceux qui permettent de constituer la dvd-thèque idéale quand on recherche des renseignements sur son jeu d’actrice. Je définis l’idéal par une harmonie entre la qualité du film, l’originalité du rôle et le temps d’apparition d’Ava Gardner à l’écran.
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Il existe une première partie dans la carrière d’Ava Gardner, qui sont ses films en noir et blanc. Ce sont le plus souvent des œuvres de second plan, mais, très joliment filmés, ils magnifient les traits de la jeune femme et peuvent se prêter à une découverte de l’univers avagardnérien, sans pour autant embarquer dans le grand Hollywood !
Les Tueurs (The Killers, 1946) de Siodmak est le premier film qui fit vraiment connaître Ava Gardner. C’est demeuré un classique du film noir et son atmosphère y est pour quelque chose. Quoi de plus marquant que l’apparition d’Ava au piano, vêtue d’une magnifique robe-fourreau noire ? On avait la classe dans ces années-là… Sans jouer remarquablement bien, Ava prête son visage innocent à une garce ambivalente nommée Kitty Collins, qui mène en bateau le héros… Avec les Tueurs, on est dans le grand polar et le film peut être acquis les yeux fermés par tout amateur du genre.
A l’opposé de cette partition remarquable, c’est sous les traits de la déesse de l’amour qu’Ava apparait dans One Touch of Venus (Un Caprice de Venus, 1948), un petit film d’un réalisateur nommé Seiter, que je n’ai pas eu la chance de voir car il est encore, à l’heure où j’écris, demeuré inédit en France. Malgré le peu de succès qu’il remporta à l’époque, il est aujourd’hui réhabilité pour ses qualités : comédie pétillante, mousseuse, le film nous montre une Ava couverte d’une toge blanche du plus ravissant effet ; statue, déesse de pierre parmi les mortels, elle est animée par un baiser et tombe amoureuse de l’homme qui l’a éveillée.
Pour Ava, les rôles de belle s’enchaînent. Elle est la seule femme, figure innocente dans un jeu mêlé d’acteurs, dans son film suivant. Une superbe course-poursuite entre hommes pourvus de pistolets, lors d’une fête, sous les feux d’artifices, une atmosphère moite, un beau noir et blanc et les apparitions d’Ava Gardner qui sont de vrais moments de bonheur, font de L’Ile au Complot (The Bribe, 1949) de Léonard, un film d’aventures digne de votre collection d’amateur.
Mais c’est avec Passion Fatale (The Great Sinner), encore de Siodmak, en 1949, qu’Ava accède à la dignité des grands rôles dans un film en costumes, magnifiquement réalisé, qui est une adaptation hollywoodienne d’un roman de Dostoïevski, Le Joueur. Elle y est Pauline. Les vêtements et les coiffures magnifient son personnage.
Elle retrouvera pareille allure dans une œuvre peu connue de Stevenson, My Forbidden Past (1951), ressorti il y a peu en France sous le titre de Cœurs insondables, un magnifique film en costumes où Ava joue le rôle d’une malheureuse héritière. Ce petit film possède un beau noir et blanc et on se régale des gros plans sur le visage de l’actrice, même si son jeu encore minimal prête parfois à sourire. L’intrigue maintient le spectateur en éveil jusqu’à la fin.
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Après cette période en noir et blanc, Ava Gardner se distingue par un film qui est son premier grand chef-d’œuvre et qu’il faut à tout prix acquérir, et peut-être en premier, si on s’intéresse aux rôles de cette actrice. Il s’agit évidemment de Pandora, de Lewin, 1951. Ce film est appréciable par la beauté de ses couleurs, sa flamboyance, la teneur artistique de ses décors, des scènes mémorables comme celle où Ava sort nue de l’eau pour monter sur un bateau, et recouvre son corps d’une simple bâche, ses histoires d’amour, d’amants détruits, de toréro tué, de réincarnations et de naufrages en mer, autant d’éléments profondément romanesques qui font rêver. Pandora est une création artistique et onirique qui ne ressemble à aucun autre film. Ava Gardner y joue avec une grande délicatesse et apparait divine, surhumaine, d’une beauté sensuelle et contemplative.
On la retrouve radieuse la même année dans un film grand public qui eut alors bien plus de succès que Pandora, Show Boat de Sidney. Avec ses cheveux longs et ses robes colorées, elle est fulgurante quand elle apparait dans cette comédie musicale, gros bonbon chimique comme l’Amérique en produisit des dizaines. Show Boat n’est pas un très bon film, mais le rôle d’Ava est excellent : elle joue Julie Laverne, une métisse qui se voit refuser le droit de travailler car il coule du sang noir dans ses veines. Elle sombre dans l’alcool, et Ava, qui perfectionne alors son jeu, sait très bien contrefaire les alcooliques…
C’est en 1953, avec Mogambo de John Ford, qu’Ava revient aux grands films. Dans celui-ci, qui se déroule en Afrique parmi les animaux de la savane, Miss Gardner est confrontée aux stars que sont Clark Gable et Grace Kelly. Elle possède un jeu enjoué, virevoltant, vif. Elle sera d’ailleurs nominée aux Oscars de la meilleure actrice pour cette prestation. Je recommande Mogambo qui compte parmi ses meilleurs films et permet de passer un moment très divertissant.
En 1954, Ava Gardner acquiert de nouveau un statut mythique avec La Comtesse aux Pieds Nus du grand réalisateur Mankiewicz, autre film à posséder à tout prix pour qui souhaite faire connaissance avec l’actrice. Ce récit aux dialogues finement travaillés, caustiques et brillants, raconte la vie d’une cendrillon pauvre qui devient une grande actrice et finit tuée par son prince charmant. La délicatesse d’Ava Gardner, son équilibre, sa beauté divine, contribuent largement à l’élégance de ce film rare sur les milieux riches, qui commence et s’achève sur un air de guitare, avec l’enterrement de l’héroïne. Son partenaire Humphrey Bogart, au jeu désabusé, ajoute à la perfection de l’ensemble.
L’actrice joue encore magnifiquement dans La Croisée des destins (Bhowani Junction, 1956), rôle qui lui vaudra en Angleterre le prix de la meilleure actrice étrangère. Ava Gardner interprète là une métisse anglo-indienne aux moments des troubles qui secouent l’Inde pour la libération de son peuple du joug anglais… Son personnage, Victoria Jones, tombe amoureuse d’un métis comme elle, puis d’un Indien, puis d’un soldat anglais, chacun reflétant une part de sa personnalité. Elle manque d’être violée et tue son agresseur. Fougueuse, elle porte sur ses épaules ce film splendide de Georges Cukor, plein de feux et de passions. A posséder absolument.
Après une telle série de succès, les chances se feront plus rares pour Ava Gardner. Elle s’illustrera encore dans l’univers d’Henry King, réalisateur qui avait déjà adapté un récit d’Ernest Hemingway, Les Neiges du Kilimandjaro (1952), dans lequel Ava était présente, et où elle faisait une première apparition particulièrement sensuelle – car le seul fait de parler rend Ava sensuelle. King adapte encore Hemingway en 1957 avec Le Soleil se lève aussi. Le film, dont le sujet porte sur la génération perdue, abreuvée de cafés, d’alcool, de voyages et de corridas, est intéressant et doit beaucoup à Ava Gardner, qui y fait des apparitions multiples en femme à la fois rayonnante et tourmentée, désespérément amoureuse d’un homme impuissant.
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Désormais, les plus grands rôles d’Ava Gardner seront en noir et blanc. En 1959, elle aborde le sujet du nucléaire avec un film sur la fin du monde, Le Dernier Rivage (On the Beach), de Stanley Kramer. Ses traits y sont un peu marqués par l’alcool car, dans la réalité comme dans le film, elle boit. Son rôle dans ce film marquant, sur une terre qui se dépeuple, tandis que le quatuor d’acteurs fait partie des derniers survivants, a été accueilli avec beaucoup d’enthousiasme par la critique française de l’époque.
La carrière de l’actrice est interrompue pendant trois ans. En 1964, elle retrouve un grand rôle dans un chef-d’œuvre inattendu, La Nuit de l’Iguane du grand John Huston. Vêtue d’un poncho, elle y détonne par son allure décontractée, franche, loin des airs de déesse un peu lointaine qui ont fait d’elle un mythe du cinéma. C’est une femme mûre désormais. Dans ce film brillant sur la vie d’un groupe de personnes agitées au sein d’un hôtel, elle côtoie de grands acteurs comme Richard Burton et Deborah Kerr, fait l’amour dans l’eau avec deux serveurs et goûte la vie de veuve…
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Ava Gardner, qui aura été une femme passionnée, et aura su transmettre cette passion dans son travail, malgré des déclarations désinvoltes à ce sujet, a aussi été une femme blessée. Cette flamme vive brûle dans les treize ou quatorze films que nous venons d’évoquer. Elle y apparait comme une œuvre d’art, c’est ce qui rend sa présence si délectable. J’espère vous avoir transmis le désir de faire connaissance, si ce n’est déjà fait, avec quelques films…