MONUMENT AUX VICTIMES DE LA TORTURE
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La torture est injustifiable.
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En quatrième, j’avais assisté avec ma classe à une pièce de théâtre sur le thème de la torture. Il s’agissait d’un dialogue, sans douceur, entre une victime et son bourreau. Entre chaque dialogue, les coups et les actes de barbarie reprenaient, jusqu’à la fin, qui se signalait par la mort du torturé.
Seulement, cette pièce fut jouée dans un climat surchauffé, parmi les bavardages, les cris, les rires et au milieu des indécences des classes de quatrième.
L’esclandre était tel que les comédiens s’interrompirent. L’un des acteurs nous fit observer, en porte-voix, que le sujet était grave, qu’il y était question de la torture.
« Et ce sera votre tour, plus tard, de vous retrouver avec des gens et d’être leur bourreau, sans rien éprouver, seulement l’envie de rire ! »
-Rire, commenta à ce récit un de mes jeunes voisins, c’est peut-être leur état normal, soi-disant pour se protéger de la souffrance, en fait c’est ce qu’ils feraient si on les torturait, ah ah ah, ces petits malades.
Je n’ai jamais compris que la torture fasse rire. Il me semble que c’est la pire chose qu’il puisse arriver à quelqu’un. Sa dimension effrayante réside en partie dans la façon dont un nombre considérable de gens s’en pourlèchent.
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Existe-t-il, par conséquent, une véritable volonté de mettre fin aux actes de torture ? Chaque 26 juin se déroule dans le monde entier une journée de soutien à ses victimes. Encore convient-il de se dire que tout n’est pas à remiser du côté des pays étrangers et du Tiers Monde, comme c’est toujours le cas quand les choses vont mal et comme l’indiquent les prospectus. Il convient d’avoir une vraie sensibilité au regard de ce qui est intolérable.
J’en veux pour preuve le beau livre de Yann Moix, Orléans, dans lequel le narrateur raconte comment, enfant, il fut battu par son père à coups de fil électrique – et autres sévices.
En classe de terminale, un professeur d’histoire nous racontait avec complaisance comment il déchiquetait jadis les canards pour en faire de la soupe au sang, et tous mes camarades l’écoutèrent avec une égale complaisance ; je fus la seule à me boucher les oreilles. J’aurais pu aller plus loin et protester au bureau. Mais refuser la complaisance au tortionnaire, quand toute la tablée rit, s’inscrit selon moi dans la résistance au quotidien, la micro-résistance, face à la barbarie. Combien de gens qu’on dit ne pas résister, parce qu’on ne les voit pas en banderoles sans arrêt, et qui auront agi ainsi ?
On pourrait hâter les choses en décernant en France un monument aux victimes de la torture, à toutes ses victimes. Notre pays, dont la législation fut une des plus cruelles qui soit, n’a jamais rendu hommage aux victimes de la torture qu’elle continue de considérer comme des assassins de l’Ancien Régime. L’expression est, de même, assez large pour ne pas exclure les animaux à qui nous faisons cette petitesse. Les dix commandements bibliques ne condamnent pas la torture, c’est pourquoi ces mesures viendraient tard dans l’Histoire.