LES MAUVAIS DEBATS
« Réactionnaire », « conservateur », « traditionnaliste »… Ces mots vous disent forcément quelque chose. Si vous êtes habitués au débat d’idées, surtout si ces idées sont très clivées et stéréotypées, comme c’est souvent le cas dans les médias, vous avez même dû constater qu’ils servent de leitmotiv, notamment sur les sujets sociétaux. Est réactionnaire, conservateur ou traditionnaliste qui préfère le passé et regimbe aux réformes, au changement. Sont-ce des mots agréables à prendre sur la tête ? Bien sûr que non. Ils ont pour effet de stigmatiser un groupe de gens.
Par opposition se dessine le groupe des « progressistes », ceux qui acceptent leur époque et veulent secouer les traditions. A vrai dire, j’en donne ici une mauvaise définition, désinvolte, et je ne saurais que vous renvoyer à l’excellent article en ligne de Roccu Garoby, selon lequel le véritable progressiste est un être en quête incessante de la justice. Il s’agirait donc, face à une problématique sociale, de se demander : la résolution que j’en propose est-elle juste ou pas ?... plutôt que de chercher à savoir si je suis ou non un progressiste, ce qui est autrement plus nombriliste.
Il n’est pas sûr qu’être progressiste ait toujours été bien vu. Au XIXème siècle, le Journal de Marie Bashkirtseff en témoigne, le féminisme par exemple faisait « mauvais genre », et pour s’en réclamer il fallait « se rendre ridicule ». Le journal L’illustration, en 1881, pouvait écrire : « Hélas, elles oublient, toutes ces réformatrices, ces innovatrices, ces révoltées, ces tapageuses, que la femme n’est la femme qu’à l’état d’épouse et qu’à l’état de mère » ; cela paraissait sensé. La raison d’une époque n’est pas forcément la nôtre. Nous devons relativiser notre orgueil.
Je postule que le mot « progressiste » qu’on emploie aujourd’hui dans la presse est un attrape-nigaud destiné à orienter l’opinion du lecteur. Il convient d’affûter ses oreilles et de comprendre que cette notion nous renseigne d’abord sur l’opinion du journaliste avant tout, et l’autorité qu’il entend lui donner. En effet, quand on n’est pas convaincant en soi, quoi de mieux que de se présenter comme le vainqueur, celui qui est du côté du progrès, de la modernité, donc, selon la vulgate pavlovienne, du côté du bien ?
Ce n’est donc là que du catéchisme. Nous souhaiterions que les débatteurs soient aujourd’hui capables de se débarrasser du carcan de ces oppositions pour proposer des schémas neufs, qui permettent à la pensée de respirer. Il en va de notre grandeur et de notre liberté. C’est à chacun d’accomplir son chemin vers une libération intellectuelle.