TESS, UNE HEROINE DE LITTERATURE JEUNESSE
Anna Woltz est née en 1981. Cette jolie jeune femme, fille d’un journaliste, est néerlandaise. Or les Hollandais sont réputés bons en littérature de jeunesse. Et, en 2013, Anna Woltz, qui est justement un écrivain pour la jeunesse, a publié un roman intitulé Ma folle semaine avec Tess. Paru trois ans plus tard en France, dans une version qui ne devrait pas trop décourager – un mauvais quatrième de couverture promettant surtout un récit déconnant et mal écrit – ce livre est une formidable histoire d’aventures vécues par un petit garçon et une petite fille.
Il a dix ans. Pour faire plaisir à Tess, une enfant qui en a onze, le héros accepte d’apprendre à danser la valse avec elle, sur le parking d’une plage où il passe ses vacances. Il a un père, une mère, tous deux peu sévères, et un frère, assez agressif, un peu demeuré, qui s’est blessé en tombant dans un trou.
On ignore ce qui tracasse Tess, cette fillette fantasque, et pourquoi le reste de sa vie dépend d’une valse.
Pour faire plaisir à un vieil homme, le héros et sa nouvelle amie organisent aussi l’enterrement du canari de ce dernier. D’une plume maîtresse, l’écrivain a fait de ce moment un instant grave et les paroles du vieux restent, nettes et tranchantes, dans la mémoire du lecteur. On songe alors à tout ce que les animaux nous apportent.
Quant à Tess, le héros ne la quitte plus. Elle n’a que sa mère. « Les gens sont d’un curieux ! constate-t-elle. Quand je dis que je ne connais pas mon père, ils veulent savoir comment ça se fait ! Toujours ! » Elle explique sa naissance. Son histoire parait vraiment cynique. Le héros est troublé : « Je l’ai dévisagée. Cela faisait onze ans que cette fille respirait, marchait et réfléchissait, mais son père ne savait même pas qu’elle existait. Sa mère l’avait gardée secrète. Incroyable ! Quand son père pensait à tous les êtres humains qui vivaient sur terre, il ignorait que l’un d’eux était sa fille. »
Ce roman sur les vacances, sur une semaine passée dans un gîte au bord de l’eau, dans un village aux couleurs de la vie, est aussi une délicieuse aventure d’amitié, avec les atermoiements d’un enfant précoce et de cette jeune fille, volontaire et intelligente. La recherche du père est traitée avec une justesse qui fait défaut dans la production littéraire française.
Tess a trouvé le nom de son père inconnu dans un vieux cahier de vacances. En organisant un incroyable stratagème, elle va réussir à l’attirer au gîte, avec sa petite amie. La première rencontre est tristement normale : « Tu connais cette émission, à la télé ? Avec des gens de quarante ans qui ont été adoptés dans leur enfance et qui partent à la recherche de leurs parents ? Leurs vrais parents. (…) J’ai toujours pensé que c’était vraiment beau. (…) Mais ça ne se passe pas comme ça en vrai ! Ces gens jouent la comédie ! Ils font comme si ! En fait, on ne sent absolument rien. »
Et puis, Tess change d’avis. Elle n’aura qu’une semaine dans son existence pour rencontrer son père et peut-être lui avouer, en cachette de sa mère, qui elle est. « Dans ma vie, c’est moi qui décide. » Et, précédemment : « Ma mère ne veut pas d’homme dans sa vie. – Mais peut-être que moi, je veux un père. » Elle organise une chasse au trésor, il s’y blesse gravement un doigt, elle lui achète un plein panier de chocolats. Jusqu’à ce que le héros, enfin, en vienne à être le seul capable de freiner ce qui pourrait être une catastrophe – et à achever l’histoire. Il a, lui aussi, son propre parcours existentiel d’enfant doué, il lui faut renoncer à ses idées saugrenues sur la mort, et à l’idée qu’en se privant de son père, sa mère et son frère, il aura moins de peine à leur enterrement. Ainsi, le livre devient une ode à la vie, car tout, au final, y est réussi.
A quoi sert la littérature jeunesse ? Lorsqu’elle atteint une telle qualité que dans Tess, il est évident que ce livre est aussi une bonne tranche de cake pour les adultes. Un vocabulaire simple, pas d’anglicismes, une bonne grammaire, bref, des histoires d’enfants racontées par une plume adulte, autant de lectures qui permettent de délier l’esprit des enfants et, par mimétisme, de les rapprocher de notre façon de s’exprimer à l’écrit. Les qualités d’évasion et de bonté nous rappellent également le climat psychique élémentaire propre à l’enfance, sachant que les héros mis en valeur sont des enfants intelligents, ou doués à l’école, un peu singuliers. Ma folle semaine avec Tess, roman clair et divertissant sur la quête du père, constitue une approche magnifique de ce sujet.