LES GRANDS FILMS ET LES GRANDS ROLES D’ELIZABETH TAYLOR
La plus belle, selon moi, de toutes les femmes du monde, fut aussi une actrice de talent, deux fois oscarisée, une vedette internationale, puis une femme d’affaires et une militante contre le Sida remarquable. Une aubaine pour la presse.
Elizabeth Taylor, célèbre pour son visage, ses yeux violets magnifiques et plein de feux, ses décolletés voluptueux, ses cheveux d’un noir bleuté, est née en 1932 et morte en 2011. Elle aura vécu les plus belles années de l’Age d’Or hollywoodien, en aura été une des déesses, aura défrayé la chronique avec ses huit mariages, ses bijoux et ses amitiés. Nous n’insisterons pas ici sur sa vie privée, ce que font tant d’échotiers ; notre but sera de mettre en valeur les films à conserver à tout prix dans la filmographie de Liz.
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L’actrice a commencé très jeune et plusieurs de ses films de débutante sont déjà remarquables. Citons pour exemple La fidèle Lassie (Lassie Come Home, 1943) et Le Courage de Lassie (Courage of Lassie, 1946) de Fred Wilcox, de plaisants films animaliers, très agréables à regarder, en couleurs, dans lesquels elle vient en aide à la chienne colley à qui il arrive toutes sortes de déboires. Une réalisation efficace et de jolis paysages complètent ces cartes postales affectueuses. Il faut voir la petite fille d’onze ans murmurer : « Poor Lassie… poor girl… » pour être conquis, pourvu de ne pas rechercher du grand cinéma et sans bons sentiments.
Elizabeth Taylor restera liée aux films dont les héros sont des animaux puisqu’elle trouvera son premier grand rôle dans Le Grand National (National Velvet, 1944) de Clarence Brown. Dans ce film, elle est une petite fille qui veut monter son cheval pour gagner une course. Il s’agit d’une œuvre pour enfant ; cependant elle eut un très grand succès auprès du public et fit d’Elizabeth une vedette à seulement douze ans. Cela resta un de ses rôles préférés, en tout cas le plus stimulant.
Un autre film important jalonne la carrière de la jeune actrice à cette époque : il s’agit de Jane Eyre (1944) de Robert Stevenson, l’adaptation du classique de la littérature anglaise. Elle n’y joue cependant qu’un petit rôle, au début ; elle y est une petite fille brimée dans un orphelinat. Or, quand elle est à l’écran, elle est remarquable et on ne voit qu’elle. Il est dommage qu’elle n’ait pas joué davantage dans des films de cette veine au même âge.
A l’adolescence, Elizabeth Taylor accomplit différents rôles dans des films de moyenne envergure, et on peut dire que le plus beau d’entre eux fut Cynthia (1947) de Robert Z. Leonard. Il s’agit d’un petit film en noir et blanc qui fit beaucoup pour sa notoriété, et remporta un franc succès dans les bases militaires. Il raconte l’histoire d’une jeune fille à la santé fragile et ses premiers émois. J’ai bien aimé ce récit, fragile comme une première neige, et trouvé Elizabeth Taylor d’une grande efficacité dans ce rôle, même s’il ne s’agit pas d’un grand film.
Un autre film plein de bons sentiments de son adolescence se laisse voir avec plaisir, il s’agit des Quatre filles du Docteur March (Little Women, 1949) de Mervyn Leroy. Dans un beau technicolor, l’œuvre reprend le roman avec un beau jeu de comédiennes : l’actrice qui joue Jo est superbe. Elizabeth Taylor interprète Amy, avec une perruque blonde.
Le dernier grand film de cette série de films familiaux sera Le Père de la mariée (Father of the bride, 1950) de Vincente Minnelli, qui raconte les mois précédents le mariage d’une jeune femme. Il s’agit d’une comédie de qualité dans laquelle Elizabeth fait preuve d’un charme attendrissant. Le célèbre acteur Spencer Tracy y joue son père. Le Père de la mariée a remporté un succès coïncidant avec le premier mariage de la jeune actrice, et est demeuré un classique.
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A dix-sept ans, dans l’ombre, Elizabeth Taylor tournait les premiers rushs d’un film fabuleux, Une Place au soleil (A place in the sun, 1951), que le réalisateur Georges Stevens mettrait deux ans à tourner et à monter. Avec deux grands acteurs comme son ami Montgomery Clift et Shelley Winters, actrice oscarisée, elle joua avec subtilité, charme et douceur cette tragédie d’un homme de la classe ouvrière qui engrosse une de ses camarades d’usine mais ne pense qu’à passer du temps avec une riche héritière, dont il est amoureux. Dans ce film, la beauté d’Elizabeth, sublimée par des gros plans en noir et blanc, est envoûtante. A dix-sept ans, elle dit à son petit ami : « Tell to mama… » avec une telle délicatesse qu’on en oublie son jeune âge. Une Place au soleil est réellement le premier grand film d’Elizabeth Taylor.
Après un rôle de professeure de danse dans un film mineur mais agréable, et très dévalué, Love is better than ever (1952) de Stanley Donen, où elle est d’une beauté sidérante, Elizabeth prête son magnifique visage à la figure de Rebecca, la jeune Juive d’Ivanhoe (1952) de Richard Thorpe. Ce film de chevalerie aux belles couleurs nous rend sensible à la condition des Juifs persécutés au Moyen-Age. C’est un film d’une grande qualité et devenu un modèle du genre.
En 1954 sort La Piste des éléphants (Elephant Walk) de William Dieterle, qui raconte la vie de la femme d’un riche planteur à Ceylan. Ce film d’aventures exotique jouit d’un scénario correct, d’une réalisation efficace, de solides décors, de jolies couleurs et d’un troupeau d’éléphants détruisant tout, à la fin, sur son passage. De quoi passer un bon moment.
La même année, Curtis Bernhardt réalise Beau Brummel, qui raconte la vie du brillant officier et célèbre dandy du dix-neuvième siècle. Bien qu’elle ait été magnifique dans ce film en costumes et perruques, Elizabeth avoue s’être détestée en regardant le film à la télévision des années après. Quand il parut, plusieurs critiques admirent qu’il s’agissait d’un film adorable et que les couleurs en étaient somptueuses. Aujourd’hui, il est réévalué et généralement apprécié.
En 1954 encore, Elizabeth Taylor interpréta un rôle important dans La Dernière fois que j’ai vu Paris (The Last Time I Saw Paris) de Richard Brooks. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une grande œuvre, cette adaptation d’un roman de Fitzgerald nous révèle une actrice fragile et impétueuse, radieuse et amoureuse, qui mène une vie mondaine et finit par mourir d’une maladie du froid. Le talent propre à cette composition n’échappa pas à Elizabeth qui avoua qu’elle avait, pour la première fois, réalisé ce que jouer signifiait en interprétant ce rôle.
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Dans la deuxième moitie des années cinquante, l’actrice va être à l’affiche de plusieurs films de première importance, et entrer de plein pied dans l’ère des chefs-d’œuvre.
Avec Géant (Giant, 1956), Elizabeth retrouve le réalisateur Georges Stevens. Dans ce film, l’acteur Rock Hudson est son mari texan, et James Dean, qui tourna là son dernier film, est amoureux d’elle et découvre du pétrole. Cette saga typiquement américaine sur le monde des ranchs se déroule sur vingt-cinq ans. Elizabeth, de jeune femme progressiste qui tient tête à son Texan de mari, devient une femme mûre et joue avec conviction, habileté, son changement d’âge. Dans ce film de plus de trois heures, elle prouve qu’elle possède désormais un solide talent.
Elle sera d’ailleurs nominée à l’Oscar de la meilleure actrice pour son rôle de jeune Sudiste dans L’Arbre de Vie (Raintree County, 1957) d’Edward Dmytryk où elle retrouve Montgomery Clift. Dans cette saga de trois heures également, qui se voulait proche d’Autant en Emporte le Vent, elle interprète une héroïne schizophrène qui finit par se jeter dans un ruisseau. Film dévalué mais tout de même apprécié, que je n’ai pas encore eu la chance de voir, il constitue un jalon dans la filmographie d’Elizabeth.
Sa deuxième nomination à l’Oscar de la meilleure actrice, Elizabeth l’aura pour son film suivant, La Chatte sur un Toit Brûlant (A Cat on a Hot Tin Roof, 1958) de Richard Brooks. Il s’agit d’un film extraordinaire adapté d’une pièce de Tennesee Williams. L’héroïne Maggie y est une jeune femme frustrée sexuellement et affectivement par son mari qui, pour des raisons mystérieuses, s’est réfugié dans l’alcool. « D’une sensualité à réveiller un mort », comme dit un critique de cinéma, dans sa robe blanche et sa nuisette, Elizabeth Taylor donne la réplique à Paul Newman, et interprète un personnage éminemment positif, jusqu’à la résolution finale. L’ambiance feutrée de l’alcôve du couple déchiré témoigne du raffinement de ce film.
En 1959, Elizabeth retrouve encore une fois Montgomery Clift, devenu son meilleur ami, pour Soudain l’été dernier (Suddenly Last Summer) de Joseph L. Mankiewicz, un des plus grands cinéastes américains. Une scène, où l’actrice tourne en maillot de bain blanc, a donné lieu à des photos publicitaires célèbres. Elle interprète une jeune femme tourmentée après avoir assisté à la mort de son cousin, et menacée d’une lobotomie par la mère de celui-ci, jouée par une remarquable Katharine Hepburn. Dans ce film sur la folie, les hôpitaux psychiatriques, l’homosexualité et le cannibalisme, Elizabeth Taylor est absolument remarquable. La façon dont elle interprète la longue scène finale, cathartique, me fait pleurer à chaque visionnage. Pour l’immense talent dont elle fait preuve dans ce film magnifique, l’actrice fut nominée pour l’Oscar une troisième fois. Elle aurait largement mérité de gagner.
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C’est avec Cléopâtre (Cleopatra, 1963) de Joseph L. Mankiewicz que l’actrice inaugure les années soixante, qui verront naître plusieurs de ses films les plus importants. Sans nul doute, Cléopâtre reste son film le plus célèbre, ou du moins, le plus cité. Cette fresque de quatre heures comporte en effet des scènes du plus grandiose, comme l’entrée de la reine d’Egypte à Rome, et des dialogues plein de feux comme dans la scène du tapis ; les décors et les costumes sont somptueux… Selon Elizabeth Taylor, on a échoué à en faire un grand film, celui-ci ne devenant que prétexte à défilé de perruques et de costumes. Il n’empêche, même si Cléopâtre n’est pas un chef-d’œuvre, il s’agit tout de même d’un péplum réussi et qui se prête avec plaisir à plusieurs visionnages.
C’est sur le plateau de Cléopâtre qu’Elizabeth rencontra l’acteur Richard Burton, qui devint son mari. Ils formeront aussi un beau couple cinématographique, et se retrouveront entre autres dans Le Chevalier des Sables (The Sandpiper, 1965) de Minelli. Dans ce beau film, une femme peintre, libre-penseuse et mère d’un petit garçon, a une liaison amoureuse avec un prêtre marié. Les paysages – le générique, magnifique, montre la mer et une plage des Etats-Unis –, les scènes de dialogues amoureux, forment l’armature de cette œuvre qui remporta un grand succès.
En 1966, c’est dans l’adaptation de la pièce Qui a peur de Virginia Woolf (Who’s Afraid of Virginia Woolf ?) de Mike Nichols que se retrouve le couple. Ce film rugueux et tapageur en noir et blanc, où Elizabeth Taylor apparait échevelée, vieillie et laide, montre des scènes de ménage interminables ; mais l’ensemble n’en reste pas moins assez saisissant. L’actrice dira qu’il s’agissait, après tant de films minables (ce jugement n’engage qu’elle), de son rôle préféré, car elle avait vraiment été obligée de composer et de s’investir dedans.
1967 restera peut-être l’année cinématographique la plus riche pour Elizabeth Taylor, avec quatre films importants. Tout d’abord, La Mégère apprivoisée (The Taming of the Shrew) de Franco Zeffirelli. Cette adaptation de la pièce de Shakespeare est un chef-d’œuvre de la comédie. Dans des décors et des costumes admirables, Taylor et Burton jettent tout leurs feux. Volubile, drôle, passionnant, ce film est un feu d’artifices admirablement interprété par tout le casting. Elizabeth, qui contrairement à son mari ne connaissait rien au théâtre, avait craint de ne pas être assez douée pour jouer une pièce !
Intéressés par le théâtre, Taylor et Burton le sont et le mari de l’actrice décide de porter à l’écran, avec Nevil Coghill, une pièce de Christopher Marlowe. Cela donnera le film Doctor Faustus, encore inédit chez nous. Je n’ai pu en voir que des extraits. Il s’agit d’une adaptation étonnante, riche en maquillages et costumes extravagants, dans laquelle Elizabeth fait plusieurs apparitions muettes. Les dialogues sont très poétiques. Le film remporte des critiques appréciables.
C’est aux côtés de Marlon Brando qu’Elizabeth Taylor tourne Reflets dans un œil d’or (Reflections in a Golden Eye, 1967) de John Huston. Le scénario raconte l’histoire d’un major de l’armée, trompé par sa femme. Les relations qui se nouent entre les personnages sur fond d’adultère sont lourdes de sous-entendus psychanalytiques et de frustrations. Complexe, dur à résumer, Reflections…est un film riche, qui comporte quelques scènes cultes, comme celle où Leonora, jouée par Elizabeth Taylor, jette avec mépris son soutien-gorge au nez de son mari. Le film existe en deux versions : l’une ordinaire, et l’une dorée, comme l’avait souhaitée le réalisateur.
Enfin en 1967 sort Les Comédiens (The Comedians) de Peter Glenville. Le film se déroule à Haïti et raconte une liaison adultère sous le régime de « Papa Doc », en pleine dictature. L’intrigue politique est complexe. Richard Burton interprète un homme qui devient résistant aux côtés d’un homme par qui il craint d’être trompé. Une bonne adaptation d’un roman de Graham Greene.
Elizabeth Taylor et Richard Burton reviennent en force avec Boom (1968) de Joseph Losey. Une riche veuve vit retirée au sommet d’une île méditerranéenne ; refusant d’admettre qu’elle est en train de mourir, elle dicte ses mémoires. L’ange de la mort lui rend visite, sous les traits d’un homme… Il y a un aspect de ce film qui rappelle Le Mépris de Godard, mais avec beaucoup plus de kitch et de baroque. Pour cette interprétation originale d’une femme tyrannique, Elizabeth Taylor a semble-t-il forcé sa voix à être plus grave.
En 1968 encore, Elizabeth Taylor apparait dans son dernier grand film avec Cérémonie secrète (Secret Ceremony), de Losey encore. Elle y joue le rôle d’une prostituée qui retrouve en une orpheline, Mia Farrow, le souvenir de sa fille. Robert Mitchum fait partie de la distribution. Décors, musique, tout est étrange et décalé dans ce film… Elizabeth y est encore d’une beauté merveilleuse. Jugé trop sulfureux, le scénario fut tronqué et censuré pour la télévision américaine. L’original vaut lui, véritablement, le détour…
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Nous arrêterons là notre liste. Cela ne signifie pas que les films non nommés ici, ou ceux faits dans les années soixante-dix, sont sans intérêt ou que les rôles d’Elizabeth Taylor que nous n’avons pas cités ne méritent pas d’être vus. Tous les films de cette actrice sont, au contraire, intéressants et aimables à regarder, tant ils sont rehaussés par la figure inégalée et le charme pétulant de l’actrice. J’espère que le tri que j’ai fait ici vous aidera cependant à choisir parmi la longue filmographie de la jeune femme. Amitiés cinéphiles.