YANN MOIX STRICT
Yann Moix est un homme qui aime corriger. Reprendre. Ce désir, il le tire sans doute de son enfance, comme s’il lui fallait reprendre l’éducation de ses parents, reprendre ses parents lui-même. Il est exigeant avec ses vers, qu’il taille en alexandrins, avec cette enfance, dont il a fait Orléans, livre qui rejoint les grands livres classiques de la littérature française. Il explique qu’il pense en avoir fini avec la littérature expérimentale. A la télévision, sommé de se justifier quant à ses écrits antisémites de jeunesse, il ne se justifie pas, il présente ses excuses du tout au tout – ce qui demeure un geste rare : ce n’est pas de la moraline comme le pense Michel Onfray, c’est ici, encore, le geste de se corriger, de ne rien se passer.
L’an dernier, Yann Moix était animateur dans une émission tournée dans le vingtième arrondissement de Paris, Chez Moix. Le studio était large et très beau, d’une luminosité plutôt jaune et ombrée, avec tout un gratin au sol et quelques spectateurs qui pouvaient se coller aux tables noires ou au bar.
Parce que je portais une vilaine écharpe, que j’étais mal coiffée en arrivant et que j’avais adressé la parole à deux vieilles, je faillis être remisée dans la mezzanine par les placeurs ; mais j’insistai pour rester en bas ; j’y parvins heureusement. Ainsi, durant deux fois une heure, je pus voir de près les journalistes et hommes politiques appelés à échanger sur un thème, et en faire des dessins. Cette occupation originale finit par faire rire toute la salle, encore qu’il y eût déjà dans l’émission une dessinatrice attitrée.
« Y’a Péguy là-bas ! » me lança Yann Moix sur un ton d’instituteur, en désignant la photographie de son écrivain favori, Charles Péguy, qui s’étendait sur un mur.
Il m’avait visée comme inconvénient : je dessinais derrière son dos.
« Schleue ! » laissa-t-il échapper.
L’émission tendait à sa fin ; Yann Moix se leva comme s’il était sujet à un étourdissement, et passa près du bar.
« Je voulais m’excuser, dis-je à la fin. J’ai juste fait quelques dessins mais rien de grave.
-Ce n’est pas cela, me reprit Yann Moix sur un ton strict, à deux doigts de la colère, vous ne vous êtes pas présentée.
-Marie-Eléonore Desproges. Je dessine sous ce nom, et j’écris sous celui de Marie Pra.
-Vous m’avez envoyé une carte postale récemment.
-Mais oui ! » fis-je illuminée.
Puis, parce que je connaissais une de ses mésaventures, je lui demandai :
« Ca va mieux ?
-Oui. »
Il me demanda si Desproges venait de l’artiste Pierre Desproges, je démentis avec une voix de thésarde.
Droit, il était redevenu parfaitement civil et nous n’eûmes plus grand-chose à nous dire.
Il est à mes yeux quelqu’un qui a voulu être honnête étant parti à mal dans la vie, et ne tolérant pas plus des autres que de lui-même une progression malhonnête ; tout doit être cadré, les spectateurs n’ont pas à parler et dans l’émission des gens intelligents ne débordaient jamais du temps imparti.
En prenant place à table, lors d’une émission sur le thème du harcèlement, il avait soufflé avec rapidité : « J’en ai marre de souffrir… » Nous espérons qu’après le scandale qui a éclaboussé sa réputation il ne lui arrivera plus de nouveaux malheurs.