FREDERIQUE D’ESCHIMERAN, POETESSE
L’été accusait des couleurs magnifiques et les oiseaux chantaient de plus belle, parmi les verdures, au pays de Georges Sand, sur les terres de Nohant-le-Vic. Après une fructueuse visite des lieux, il était temps pour moi de rentrer et je rencontrai une femme qui proposa de me raccompagner vers une gare en voiture. Ce ne serait pas la gare pour laquelle j’avais mon billet, mais une autre, plus proche de la maison de mon accompagnatrice. Il faudrait ouvrir le porte-monnaie pour payer un nouveau billet de train, mais n’importe : j’avais envie de faire connaissance, et j’eus raison.
Ma nouvelle amie de covoiturage s’appelait Véronique. C’était une femme assez forte à la voix bien marquée. Elle était médecin et, victime de troubles psychiques, avait demandé son propre internement. Au cours d’une permission, elle participait aux journées de la poésie, avec des poètes qui la publiait en revue et qu’elle était un peu fatiguée de voir.
Elle parla beaucoup, tout en me conduisant parmi les chemins verts et jaunes. Elle avait publié deux livres de poésie, L’ô du désir suivi de partir et Lettres pour Laure, sous le pseudonyme de Frédérique D’Eschiméran[1]. Son éditeur, les Trois Colonnes, lui avait demandé de débourser deux-mille euros par livre, tarif un peu plus élevé que la moyenne de ses publications, car « la poésie se vend peu ». Elle était déjà, parallèlement, sur l’écriture de poésies expérimentales. « Et puis, dit-elle, j’ai inventé ma propre langue ».
Cela fit tilt. Elle me dit qu’elle était lesbienne et qu’elle avait tout brûlé pour une femme. Cette Laure sur laquelle elle écrivait. A présent c’était bon, elle s’arrangeait, elle savait comment composer avec cette histoire impossible. Elle n’avait pas d’héritier et elle aimerait que sa poésie reste, que son patrimoine soit transmis, que quelque chose de ses créations subsiste.
Elle me déposa à la gare. J’avais passé un moment étourdissant avec cette femme si peu conformiste. Mais, quand je la recontactai, je n’eus plus aucun retour.
Je commandai Lettres pour Laure. La préface très touffue, serrée, qu’elle avait rédigée pour cet ouvrage, sans savoir-faire universitaire, m’incommoda. Je vis tout de suite en quoi on distinguait un livre à compte d’auteur.
Toutes ses poésies sont consacrées à l’amour. L’amour absolu, courtois, celui du Moyen-Age et de la Renaissance. L’amour pour une seule femme. Ce sont des vers qui vous font des baisers. Verbeux, mal cadencés, parfois scolaires, ils n’en gardent pas moins un charme extraordinaire, celui d’une langue en effet personnelle, goûteuse, éprise, amoureuse, à la fois platonique et joliment charnelle. Il y a une musique subtile, un ton que l’on reconnait vite, qui est la marque de cette étonnante d’Eschiméran, poétesse en quête d’intemporalité. On se coupe du monde contemporain trivial quand on la lit. On sent que, comme tout poète, elle est heureuse parmi ses jouets que sont les mots.
Lien vers une émission radio :
http://www.radiofmplus.org/jardin-disis-marie-agnes-salehzada-frederique-2/
[1] Un troisième volume vient de paraître en 2020, L’Habit d’amour.