LA BULLE DE SAVON
« Si est-il difficile de forcer les propensions naturelles. » (Montaigne)
Cet été, j’allai avec mon compagnon au zoo du Jardin des Plantes.
Nous passâmes devant un petit enclos transparent qui était celui des singes. Un gardien était entré et tentait de divertir les minuscules animaux qui couraient sur les branches. Il avait choisi l’un d’entre eux, le plus proche, et portait son attention sur lui. Il avait sur le bout des lèvres un bâton et se mit à faire des bulles. De jolies bulles transparentes, de taille modeste, qui volaient au-dessus des branches et partaient dans les airs. Il tentait de les diriger sur son singe, pour le faire jouer avec.
Comment réagit le petit mammifère ? Allait-il tenter de saisir la boule de ses mains ? De la faire éclater d’un coup de pattes ? Telle était sans doute l’intention du gardien. Créer un atelier d’éveil. Mais ce n’est pas ce qu’il se passa.
Non, le mignon petit singe avait peur ! Devant la bulle qui s’échappait du bâton, il recula et s’enfuit. « Viens ici, pépère ! » lui dit en riant le gardien. Les bulles se succédèrent avec toujours le même effet, le même échec. Le singe les craignait trop.
Cette anecdote m’amusa beaucoup. Elle montre à quel point les petits primates sont des êtres douillets. Avoir peur d’une bulle de savon, il faut vraiment le faire. On ne peut rêver plus doux, plus inoffensif. C’est pourtant ce qui panique un animal.
Suis-je le singe de quelqu’un ? Mon compagnon m’assure qu’il n’y a rien, que j’ai peur pour rien les jours où je dois me rendre en cours. Les bavardages des élèves qui devraient se taire en classe me semblent plus du gravier que des bulles. Angoissée, je voudrais me convaincre que je n’ai, comme le gardien de but, que des bulles à arrêter. Mais peut-être leur nombre rend-t-il ce défi difficile. Nous paraissons tous assiégés par des bulles, car notre poste d’homme nous commande de ne pas souffrir à la place d’autrui, et ce qui résonne gravement en autrui ne fait que rebondir sur notre propre surface. Cependant, il se pourrait que l’anecdote du singe soit juste : il n’y a pas de danger à vivre. Il nous manque sans doute, dans une langue que nous pourrions comprendre, l’affectueux : « Viens ici, pépère ! » qui nous rassurerait sur notre chemin. Qu’est-ce qu’une bulle après tout, à hauteur d’homme ?