ANTHROPO
Ce matin, le métro s’est immobilisé dans un tunnel. Comme j’étais debout, face à une fenêtre, mes yeux se sont arrêtés sur un tag.
Pourquoi des hommes taguent-ils ? On pense à des amuseurs, dont c’est la forme d’expression. A des sans-abris, qui passent la nuit dans le métro. Et si c’était des hommes au travail ? Plus loin, encore sous terre, comme dans une ferme de plein-air, un monticule de sacs – graviers, peinture, ciment ? – attendent les ouvriers des souterrains. Et si, tout confondu, ils griffonnaient durant les pauses ?
Le tag que j’ai contemplé, ce sont quatre lettres nerveuses, blanches, ou en gris clair : Tock.
L’homme qui écrit par inspiration, est attiré par l’écriture comme par la lumière. Il ose un rien : la lettre C, que prolonge le K, fait d’ailleurs songer à un gros bras arrondi, emporté comme pour un lancer.
Sa lettre K évoque la forme d’un homme, le ?japonais, qui se prononce nin, et qui désigne « une personne, un être » ; on pense aussi au kanji ?, oo, qui veut dire « large, gros » (un gros bonhomme ?), et bien sûr à ?, le ki, l’arbre, créature vitale, aimable. Quand une plante pousse sur le rebord des rails, cela fait rêver aux miracles.
Les murs du métro sont caverneux, les tunnels prolongés forment de longs cauchemars. A côté du tag, une zone est peinte en blanc. C’est un espace signé par le code du travail. Le gribouillis voisin semble sorti d’un homme qui aurait pu travailler là, et faire une pause. Il y a tellement de barbouillages sur les murs que plusieurs types de signataires peuvent s’y croiser. Certains laissent des traces si insignifiantes qu’elles semblent de simples appels à l’aide dans le noir. Tock, ce n’est rien du tout, c’est du toc ; mais c’est aussi : toc-toc, comme si celui qui écrit frappait à une porte, ou comme s’il répondait à une présence, pensant avoir entendu des voix, un esprit. Secrètement éprouvé par la solitude, il cherche une petite preuve d’existence de l’Homme, l’écriture lui rappelant qu’il est cet homme à qui on a appris à faire des lettres.
Quand le métro repart enfin, je regarde le début du mot : la lettre T, dont le sommet est arrondi comme une cuvette, évoque un peu le ?, le psi grec, ainsi, il n’y aura pas de toqué.
Marie Pra.