EDITH PIAF ET LES PREJUGES
Ma grand-mère était la fille d’une domestique. A Paris, elle connut la femme d’une famille bourgeoise qui avait les préjugés de son milieu.
A l’époque se produisait sur la scène une étoile montante qu’on appelait Edith Piaf. Pour la femme de la famille bourgeoise, c’était une personne à ne pas aller voir : « une fille des rues ! » Car c’est exactement ce qu’était Edith Piaf, à cette époque-là. Elle devait évoquer un monde de pauvreté, de prostitution, et cela entrainait des résistances chez cette femme bien élevée.
Aujourd’hui, Edith Piaf est un de mes disques. On ne se rend pas compte que ça ne se faisait pas, d’aller la voir.
Une fois, finalement, la femme de la bourgeoisie se laissa convaincre d’aller voir Edith Piaf en concert. Ce qu’elle vit la bouleversa tellement qu’elle changea de regard du tout au tout, et elle devint une des admiratrices de la chanteuse. Je crois qu’elle revint la voir…
Cette histoire vraie m'émeut. Elle nous dit que le chant et le talent bouleversent les préjugés sociaux, mais aussi que les gens changent. La diffusion de grands artistes comme Edith Piaf est responsable de cet état de démocratie à l’eau de sirop dans lequel les gens de différentes catégories sociales se croisent, se parlent, dans l’espace d’un musée, d’une salle… Les réputations sulfureuses ne s’épuisent qu’avec le temps. Quand tout est édulcoré, elles paraissent même incompréhensibles.
Dans le curseur idéologique qui est le nôtre, le pauvre gagne contre la bourgeoisie. Celui qui est perdant gagne à la fin. Nous avons du mal à nous représenter la vraie misère et le véritable échec. Les médias, les films, la lecture des dictionnaires, le salut chrétien latent, la vie qui va, tout en est responsable. Edith Piaf n’a fait que des convertis : elle va dans le sens du salut.