LA POLITESSE DU CHAT, ou PETITES ANECDOTES TIGREES
« Donnez à un petit carnassier, à un petit chat par exemple, quelque liquide savoureux et sucré. »
(Pierre Gratiolet, anthropologue et zoologiste)
On a écrit beaucoup de choses sur le chat, et particulièrement sur son apparence physique, ses ondulations, comme s’il était impossible d’en pénétrer l’intérieur ; mais je crois pouvoir dire que c’est un animal poli.
Je rentrai d’un voyage de plusieurs jours quand ma chatte Caramel, tigrée noire et beige, blanche et blonde de cou, ayant boudé – je lui en fis réflexion. Elle bondit sur le lit et me lécha le visage, le frottement de sa langue contre ma peau créant de petites syllabes comme si elle leur ordonnait des sons comme nous pouvons le faire dans la maîtrise d’un instrument de musique :
« Ça dure deux, trois heures, et puis… » dit donc Caramel dans ses léchouilles. Je regardai le réveil, et constatai que j’étais de retour depuis deux heures.
Qu’elle dorme enroulée à mon cou donne une idée de notre intimité ; nous nous regardons yeux dans les yeux ; elle se fond avec moi dans le rêve, sa respiration se colle dans la mienne et j’aperçois dans notre rêve une grande nuit noire où tournent les galaxies. Ceci est l’abolition des frontières entre les espèces.
Ce sont des piétinements et des véhémences quand elle veut manger. La criaillerie, le violon aiguisé sont de mise au bas du frigo.
Un soir, comme elle avait dévoré du thon, l’odeur était désagréable et je lui demandai de ne plus me lécher. Ordinairement un chat passe sur bien des phrases. Or, elle cessa subitement de me lécher. Les secondes passèrent. Elle ne se remit pas à l’œuvre. Mieux, elle monta sur mon buste, la tête au-dessus de mon cou, et continua à s’abstenir de tout léchage, comme pour me dire : tu vois, j’ai compris ta phrase, et je te montre que je la respecte.
Il lui est fréquemment arrivé de me maudire ou de penser à mal de moi en son for intérieur ; car, tandis que je lui fais une gentillesse, elle me dit tout à coup, avant un avalement de salive magistral : « Pârdon. » On pourrait presque entendre : « Bârdon » comme chez les enfants. Sa voix humaine est celle d’une petite enfant et ses miaulements sont ceux d’une chatte âgée ; de sorte qu’on évalue justement les chats, quand on les traite en bébés alors qu’ils sont vieux à leur échelle de chat.
Quand la fenêtre ouverte l’attire, prise d’une attaque de panique, je la supplie de ne pas se jeter dans le vide. Elle articule alors :
« T’es cinglée ma maman ! »
Il est évidemment impossible dans la vie quotidienne de dire à quelqu’un : « mon chat parle », sauf à un amoureux des chats, qui s’imaginera que votre chat communique en miaulant de façon plus expressive que la moyenne. On a rendu compte d’oiseaux qui parlaient – mais aucun cas de chat n’a été détecté et étudié à ce jour. Il va de soi que j’éloignerais toute personne aux préjugés ordinaires, dont les psychiatres, de ma vie d’intérieure.
Ce qui me fit le plus sourire fut la bonne humeur de Caramel un soir où je rentrai du travail et me glissai aussitôt sur le lit. Elle avait dû entendre du bien de moi durant la journée, car elle m’adorait ; au moindre bruit du voisinage, elle articula, les bras pendant de chaque côté de mon buste sur lequel elle s’était plaquée :
« On n’aime pas ma maman ? »
Puis, s’adressant à moi :
« Je te sers de couverture car tu n’es pas d’extrême-droite. »
Sa voix est basse, comme pour chuchoter des secrets, avec une limpide bonne conscience, le timbre clair et plein de lait pâteux. J’ai conservé ses souvenirs et paroles dans des feuilles et un journal.