LE DESTIN DE ZLATA

LE DESTIN DE ZLATA

 

 

 

 

 

       « Derrière moi, un long été chaud, des journées de vacances sans penser à rien, et devant moi une nouvelle année scolaire. Je passe en sixième », écrit, le 2 septembre 1991, une petite fille de Sarajevo nommée Zlata Filipovic. Enfant de la classe moyenne, elle suit des cours de piano, lit beaucoup, collectionne les 5 sur 5 à l’école, voit ses amies. Pourtant, le 05 mars 1992, elle relate, avec une grande présence d’esprit, qu’un petit groupe de civils armés a tué un invité lors d’un mariage, et que la ville est pleine de barricades. C’est le début de la sanglante guerre de Bosnie-Herzégovine, dont le journal de la petite fille va se faire le puissant écho.

Zlata décrit la guerre, et c’est un véritable calvaire qu’elle raconte. Son récit quotidien est à la fois anecdotique, passionnant et triste. On s’attache à son petit monde et on comprend à quel point il est fragile.

« Les rues ne sont plus pareilles, il n’y a presque personne, les gens sont inquiets, tristes, tout le monde court en rentrant la tête dans les épaules. Les vitrines sont détruites et les magasins ont été pillés. Mon école a été touchée par un obus, l’escalier de derrière s’est écroulé. Le théâtre aussi a été atteint par ces sales obus, et bien démoli. » Sarajevo est devenue une ville martyre, assiégée, sous les feux des snipers, très régulièrement privée d’eau, d’électricité, de gaz. De ces coupes, Zlata fait chaque jour état. Elle confie à son journal qu’elle n’en peut plus. Sa mère doit aller chercher l’eau loin. On se lave avec l’eau de pluie. On ruse avec les moyens du bord pour cuisiner tout de même. « Ici, à Sarajevo, en ces jours de guerre, non seulement on manque de nourriture de base et de tout ce dont on a besoin pour vivre, mais on ne trouve aucun fruit », note Zlata. Elle écrit dans le noir, à la lueur de la bougie. Dès que les tirs d’obus reprennent, ce qui peut durer des heures voire une journée entière, la famille se réfugie dans la cave.

Les privations sont donc un des sujets de Zlata, mais aussi les autres, qu’elle continue de voir. Les décès, les départs, les mariages, les lettres, les rendez-vous rythment son journal. Nous sommes régulièrement au courant de la vie de toutes ses connaissances, qui sont nombreuses et témoignent de la sociabilité de la famille de Zlata, et de la petite fille.

Elle s’intéresse aussi, mais de loin et sans aucune illusion, à la politique. « J’ai l’impression que la politique, ça veut dire des Serbes, des Croates, des Musulmans. Des hommes. Qui sont tous les mêmes. Qui se ressemblent tous. » En effet, Zlata a des Croates et des Serbes dans sa famille et ses amis. Elle refuse les étiquettes. Si on lui demande de se définir, elle ne dira pas qu’elle est Bosniaque et musulmane, mais qu’elle est un être humain, une enfant de la guerre. Elle n’admet pas que celle-ci brise l’universalisme de ses rêves de paix pour différencier, diviser et opposer les peuples.

Chaque discussion diplomatique échouant, comme celle du 21 septembre 1993, que reste-t-il à Zlata, cette enfant dont on a volé l’enfance ? Heureusement, son journal. Après avoir gagné un concours, celui-ci est distingué parmi plusieurs journaux d’enfants et est publié à Sarajevo sous forme de fac-similé. Alléchés par la perspective qu’il puisse y avoir « une nouvelle Anne Frank », après la première de la présentation, les journalistes affluent du monde entier pour connaître l’auteur de ce texte qui ne raconte pas que des secrets d’enfant, mais relate aussi la guerre en Bosnie.

Fin 1993, une journaliste française part avec le journal entier dans ses valises. Elle désire publier le journal de Zlata en français. Et il paraîtra en effet chez Robert Laffont, dans une édition comprenant des photographies et des fac-similés[1]. Quelques mois plus tard, la petite fille et ses parents sont rapatriés en France où ils vont vivre pendant deux ans.

Une critique écrit : « Zlata n’a pas le talent d’Anne Frank, mais elles ont en commun nombre de choses : l’élan vers la vie, la gentillesse et le courage, la peur aussi. » Les journalistes du monde entier interviewent Zlata, et constatent que son anglais de collégienne est excellent. Son journal est finalement publié dans trente-six langues, et il s’en vend un million d’exemplaires. L’adolescente effectue en 1994 une tournée mondiale, et rencontre certaines sommités, comme le président américain Bill Clinton.

Loin de son pays, Zlata est sauvée, mais elle n’est pas très heureuse : elle ne peut s’empêcher de penser à ceux qui sont restés.

Sa vie de jeune femme, Zlata va finalement la faire à l’université d’Oxford, puis à Dublin. Son anglais devient parfait. Elle s’intéresse au droit des gitans en Bosnie, puis, pour son sujet de maîtrise en paix internationale, à la prostitution en temps d’occupation[2]. Ces sujets témoignent de l’intérêt qu’elle a pour les autres. En 2006, elle publie d’ailleurs Paroles d’enfants dans la guerre, un livre qui regroupe des extraits de journaux intimes d’enfants, de la Première Guerre Mondiale au conflit en Irak. Elle fait des conférences partout dans le monde sur la paix, traduit un livre sur Milosevic. Et, finalement, ce sont bien les projets des autres qu’elle va s’engager à soutenir, puisque Zlata Filipovic devient productrice de films (courts-métrages, documentaires, télévision). Elle a ses amis, ses parents, son amour, dans une toute autre ville que Sarajevo. Sa vie est désormais ailleurs.

Le Journal de Zlata est un livre que j’ai pris plaisir à redécouvrir avec les années, et qui est vraiment à lire quand on s’intéresse au refus de la violence, des ethnocides et des ethnocentrismes. « Le crayon de la guerre, qui ne sait écrire que malheur et mort », comme elle le note, continue son ouvrage car des hommes rêvent toujours d’exterminations et de conquêtes à travers le monde. Son Journal est un des documents les plus directs et les plus touchants qu’ait engendré la guerre de Bosnie.

 

 


[1] Le Journal de Zlata, Robert Laffont, décembre 1993.

[2] Michèle Bernard, Zlata Filipovic : Destin extraordinaire d’une jeune Bosniaque ordinaire, in Nuit Blanche, p. 40-43.

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