DES POETES QUI RIMENT…
J’ai un petit peu connu Jacques Charpentreau, beaucoup moins, sans doute, que les centaines de lecteurs venus le rencontrer ; un jour, j’ai reçu dans ma boite aux lettres son faire-part de décès. Il est mort le 08 mars 2016, l’enveloppe est arrivée dix jours plus tard.
Il me semblait que c’était un vieux monsieur respectable, chauve, qui vivait quelque part.
« Jacques Charpentreau ? dit ma belle-mère, qui était institutrice. On enseigne ses poésies aux enfants. »
Je fus surprise d’apprendre qu’il était aussi connu.
Lisant la semaine dernière La petite rose des fables, un mince recueil de fables, j’ai été frappée par ce que l’aisance formelle permettait d’ajouter à un genre littéraire ressenti comme scolaire. On pense tout de suite à La Fontaine, il en reprend les thèmes, les animaux ; mais, au cœur de la facture de la fable, un rythme original, qui fait danser l’esprit, un petit trait faisant mouche, des drôleries au tournant, une morale acide et franche : l’aisance d’un vers fluide, enchanté, font encore et toujours nouveauté. L’expérience de Charpentreau est un peu amère, un peu socialiste. Difficile de ne pas penser à sa propre vie, à des gens que l’on connaît, actuellement vivants : le lecteur est, dans ce recueil, surpris, heureux, il a peine à ne pas rire.
J’ai calculé que le poète n’aurait gagné que deux-cents euros pour cette œuvre, la moitié ayant été offerts aux élèves du groupe scolaire Jacques Charpentreau. On peut imaginer le plaisir d’écrire et la générosité qui l’animaient, tant le gain est minime.
Il me reste quelques souvenirs de ce poète. L’intérêt me gagna et je lui commandai une série de petits pains qui étaient ses derniers recueils, des galettes illustrées, aux pages saumon clair.
Il répondait à un courrier par de petites cartes blanches. A gauche, le tampon, bleu, de la Maison de Poésie. Il écrivait avec un stylo-plume à l’encre noire. Ses lettres formées étaient assez petites, mais déliées, l’écriture lisible – des pattes de mouches toutes de politesse.
14 novembre 2013
Chère Madame,
Je vous remercie de votre lettre et de l’intérêt que vous voulez bien porter à mes recueils - J’y suis très sensible, car on est toujours seul quand on écrit et la réponse d’un lecteur est toujours un réconfort –
Avec ma sympathie -
Jacques Charpentreau
29 novembre 2013
Chère Madame,
Je vous remercie de votre lettre - et de vos remarques tellement aimables ! De telles appréciations encouragent ceux qui écrivent et qui ont besoin de rencontrer – par le papier ! – un écho à leurs écrits –
oui, Soyez remerciée, et croyez à toute ma sympathie –
Jacques Charpentreau
Le lire et offrir ses livres avait un côté magique. Il faisait bien sur une table, ce n’était pas un poète choquant.
A la fin d’Un Papillon sur l’épaule[1], il a publié un manifeste en faveur de la forme poétique traditionnelle. Douze pages éblouissantes, sans doute indispensables ; on songe à une fleur au bout d’un fusil.
Les poètes prisant les formes traditionnelles existent en France, et ils ont toujours des choses à dire sur cette partie de notre âme qui s’organise entre la spontanéité et la contrainte, les règles et la liberté, la révérence et l’invention.
Jeanne-Faure Cousin est une quasi-inconnue qui a publié Rimes[2]. Le recueil de poèmes est d’une grande beauté - et très travaillé… C’était une dame âgée. Un jour, je reçus une lettre d’elle :
Paris, 9 octobre 2000.
Merci pour votre lettre, car je sais quel abîme sépare souvent velléité d’écrire et envoi d’un courrier (…)
Si vous vous intéressez à ce qu’il est convenu d’appeler Littérature, vous devez savoir à quel point la Poésie a moins dans l’esprit des éditeurs – meut peu les foules ! et ce au point qu’Angelo Rinaldi, dont les critiques ont du prix, s’est vu refuser par l’Express, le compte-rendu de mes textes[3]. Rimes ? il n’y avait point de banalité dans ce titre, mais le choix bien conscient d’affirmer la primauté donnée à une forme qui ne fait bon marché ni du nombre, ni du rythme, ni de la musique, ni de certaines astreintes à de certaines servitudes dont le dédain n’a que peu à voir avec la liberté.
Merci aux poètes pour l’immense bien qu’ils nous font !
[1] La Maison de Poésie, 1997.
[2] Editions de l’Armançon, 1993.
[3] Dans un film sur la Seconde Université du NPA en 2009, Angelo Rinaldi dit avoir travaillé dans « les journaux avec des patrons (…) la littérature était considérée comme peu importante… La droite prend peu la littérature au sérieux… Les sarkozystes m’ont viré ! » (Sources You Tube).