Sous la cheminée près de laquelle je prends mon petit déjeuner, thé, madeleines, jus d’orange, tartines, croissants, pichet d’eau, je trouve des revues sur la ville de Caen.
« Hier, ce fut la fête du travail, dis-je au jeune homme, Abdoul, chargé de la réception à l’hôtel Saint-Etienne – où personne ne travaillait.
(J’avais acheté du muguet dans la rue).
- Sauf moi, dit-il, je travaillais. »
Le garçon a vingt-quatre ans, il vient de Guinée et étudie au campus universitaire de Caen la chimie. Il connait l’attente des corridors pour des demandes de séjour, où personne ne s’adresse la parole. Cela change d’une sociabilité qu’il connut en quittant Mali, le nom de la préfecture où il grandit avec son père, sa mère, deux frères et cinq sœurs.
Son humour, par instants, déclenche des crises de bedonnement incontrôlables.
Je l’interroge sur la Dame de Mali, dont il m’a déjà entretenue. C’est un mont, qu’il a vu de ses propres yeux, et dont il a conservé une photographie. Il s’agit d’une figure de femme taillée dans la roche, par érosion naturelle… Cette dame de pierre ne peut-être aperçue que de profil : son faciès ressemble à celui, taillé dans des pièces, de Cléopâtre – qui ne fut guère une beauté antique. On peut reconstituer sa physionomie, et même deviner une prunelle écrasée dans les yeux plissés de la roche, comme en lisant des figures de femmes dans les nuages.
Un profil : de l’autre côté, nul ne peut la voir « c’est la brousse, c’est la savane. »
La roche est recouverte de mousses d’herbes. Il est possible aux habitants de Mali, ou aux touristes, de cheminer au-dessus de la falaise.
« Personne ne peut la voir de face ? demandai-je.
-Si, me répondit Abdoul, les Américains.
-Ah oui, m’avez-vous dit hier, ils viennent en hélicoptère. Et ils prennent des photographies. Et ils sont contents. »
(Mai 2015)