HENRIETTE DESSAULLES, VIVE DIARISTE
« A quoi bon écrire tout cela ? »
(Henriette Dessaulles, Journal)
Henriette Dessaulles (1860-1946), est la première femme journaliste au Québec, connue sous le nom de Fadette. Elle a tenu un journal intime, publié vingt-cinq ans après sa mort, dont je propose ici une petite présentation. En effet, il s’agit d’une pièce maîtresse dans l’histoire mondiale des journaux intimes, et d’une exception.
Cette histoire de sa vie, la petite Henriette Dessaulles l’a écrite entre quatorze et vingt-et-un ans. Cependant, comme l’ont prouvé des études graphologiques, les cahiers de son Journal que les éditeurs et les chercheurs ont eu entre les mains ne remontent pas à son adolescence ; il s’agit d’une réécriture sur quatre cahiers, effectuée à l’âge adulte par la journaliste elle-même, pour des raisons demeurées obscures. Comme s’il fallait rendre à la lumière ce témoignage sur l’époque de la vie la plus fraiche, peut-être, de cette femme devenue veuve, les années précédant son mariage.
Henriette Dessaulles a perdu sa mère à l’âge de quatre ans. Celle qu’elle appelle maman, c’est sa belle-mère, de seize ans son aînée, avec qui les rapports sont difficiles. Henriette souffre de ce manque d’affection et l’écrit :
Que Jos est heureuse d’avoir sa vraie mère à qui elle peut demander pardon quand elle a l’âme lourde et triste… et jamais je n’aurai ce bonheur et à cause de cela, si je devenais bien bien méchante ?
17 septembre 1874
Jos, il s’agit de sa meilleure amie, avec qui elle partage ses journées au couvent. Henriette y est une élève brillante, mais elle a son petit caractère :
Un autre mois qui commence, au couvent c’est un mois ridicule et ennuyeux ! Si on est sage on gagne une rose en papier de soie, et on va, très solennellement, la déposer devant une grande statue laide de saint Joseph – (…) Au bout du mois, on va, toujours en procession, porter notre provision de lis au pauvre saint Joseph qui conserve son air un peu bête… (…) j’ai tant de plaisir et je ris si franchement de lui (sa statue) et de nous (les petites sottes) que je prévois encore des punitions comme l’année dernière.
1er mars 1875
La trame de son Journal, c’est l’amour qu’elle voue à son ami Maurice, son aîné ; quand il part à l’université, elle reçoit un mot de lui :
Je l’ai tant lu, je le sais par cœur – je l’ai serré dans mon petit coffret suisse – puis ce soir je l’ai repris. Il me donne de la joie ce petit morceau de papier.. et de la peine ! Tout m’en donne !
25 septembre 1875.
Ce petit monde va à peine évoluer durant les années de rédaction du Journal, jusqu’en 1881, année de son mariage avec Maurice. Bien que sa belle-mère s’oppose à leur union, c’est un amour beau, solide, régulier, qui s’installe entre les deux protagonistes. Henriette, cependant, ne veut pas des baisers.
Comme tout se fait joli pour le recevoir ! Jamais le ciel ne fut plus doux ni l’air plus parfumé – les roses commencent à fleurir, les grands lis s’ouvrent, et leur parfum m’arrive par la fenêtre grande ouverte… et mon âme est comme les fleurs, elle s’ouvre, elle s’épanouit, et elle attend.
17 juin 1878.
Le Journal d’Henriette Dessaulles, outre son écriture de qualité, nous fait découvrir une personnalité sensible, vive, primesautière, qui donne beaucoup de vigueur à ce dernier quart du dix-neuvième siècle, le ressuscite comme un livre d’images. On découvre la vie de cette époque dans la petite ville de Sainte Hyacinthe, où vivaient Henriette et sa famille. On entre pleinement dans la peau de la jeune fille et on se familiarise avec son entourage. C’est une suite de résumés de la journée, de sentiments parfois entrecoupés de petits dialogues.
Ce livre n’existe pas en France : on ne peut le trouver qu’au Canada. Il existe une édition scientifique, d’un fort épais volume sur beau papier, avec une préface très fouillée, aux Presses de l’Université de Montréal, et une édition courante en format poche, sur deux volumes, le premier pour le premier cahier, le deuxième pour les cahiers deux à quatre du Journal.
Aussi rare que cela paraisse dans l’histoire de la littérature, ce journal d’une adolescente fait partie des classiques du patrimoine littéraire, au Québec.
Ecrire a été un réel plaisir quand j’étais enfant. J’écrivais ce fameux journal dont j’ai détruit les premiers cahiers. (…) Seulement, le goût d’écrire disparaît (…) Maintenant une vie nouvelle va commencer, une vie en partie cachée par un voile mystérieux que personne ne soulève pour moi. Je la connaîtrai avec lui, mon aimé qui sera mon mari.
Dimanche, 1881.
Avec Henriette Dessaulles, nous redécouvrons aussi le plaisir de lire d’une façon régulière, avec patience, le tranquille cheminement de la vie.