LE CIRQUE ROMANES
« ta douceur et ta gentillesse magnifiques, comme l’alignement parfait des planètes »
(Alexandre Romanès)
C’est écrit dans un médaillon, sous le chapiteau : nous sommes dans un cirque tzigane. A l’entrée, le directeur du cirque, metteur en scène et dresseur d’animaux, par humour, Alexandre Romanès, vend et dédicace ses livres ; à la sortie, sa femme apporte un immense plat de beignets.
Le talent, l’humanité et la bonne humeur règnent en maître dans ce cirque. Chacun s’y sent accueilli. Il s’agit donc d’une profession qui, plus que de prodiguer le plaisir durant un numéro, en fait une éthique de comportement et de vie.
J’eus Alexandre Romanès au téléphone. Je lui ai dit que j’avais des invitations gratuites de mon passage au cirque la dernière fois. Pouvais-je revenir ? Il me répondit :
« Bien sûr que vous pouvez revenir. Tout ce qu’il faut, c’est être gentil. »
Alexandre, né Bouglione, possède une voix claire, une belle voix intérieure, aussi, qui contraste avec son physique un peu rubicond. Il a commencé dans le cirque de son père, à La piste aux étoiles, comme dresseur de fauves. A présent il possède son propre cirque nomade. Il a cinq filles et un garçon, qui y travaillent tous. A côté du chapiteau, les roulottes. Les gradins et les murs que l’on met deux jours à remonter, les tournées en province, il connait. Il parle d’un contrat annulé avec la Tunisie : pendant un repas, sa femme Délia a fait une plaisanterie sur Dieu !
Pourquoi donc la gentillesse ? Parce que, Tziganes, Alexandre et sa femme connaissent les médisances, l’exclusion, les racontars du quartier. « Je ne pense pas à bien des gens », ne peut s’empêcher de se confier une dame tzigane, malgré l’accueil chaleureux que reçoivent les spectacles. Blessé, Alexandre plaisante en ouverture sur le sort des chats et les chiens de son cirque : une rumeur raconte qu’ « avec ces gens-là », ils ont tous été mangés. « C’est pourquoi il n’y a plus ni chat ni chien », conclue-t-il, tandis qu’un chiot trottine derrière lui sur la piste. En clin d’œil à ses anciennes performances, il fera même deux numéros avec ces animaux domestiques, à grand renfort, non de fouet, mais de nourriture.
Alexandre Romanès a publié un récit sur sa vie et des livres de poésie. Amoureux de Marceline Desbordes-Valmore et de Lydie Dattas, il connait bien la poésie des femmes.
« On ne me reconnait pas dans la lignée des poètes français, confesse-t-il. Je me suis inspiré des Arabes. »
Parmi ses livres, le Luth Noir (2017) est un ensemble de petits paragraphes poétiques, qui évoquent des maximes ou des réflexions brèves sur la vie. Leur pureté, leur luminosité, leur caractère aérien, se marient à une sensibilité volontiers pathétique. Plus blessé encore parait l’auteur des Paroles perdues (2004), un des trois livres qu’il a publiés chez Gallimard.
« Connaissez-vous la rumeur qu’il y a chez Gallimard ? me demande-t-il.
-Non.
-Eh bien, dit-il en citant le nom de l’éditeur, pour que le nouveau directeur refuse un texte, il faut soit que le recueil soit très mauvais, soit qu’il soit très bon !
-Ça ne m’étonne pas !
-Donc si vous êtes refusée vous pouvez avoir écrit quelque chose de mauvais, mais il se peut aussi que ce soit très bien.
-Je vais peut-être essayer de faire quelque chose entre les deux, repris-je. Vous savez, vous allez me stimuler pour que je tente de publier mon recueil de poésies.
-Non, ça ne marche pas, coupa Alexandre. Car il y a une énorme demande. Plein de gens écrivent de la poésie et demandent à être publiés. Du coup les éditeurs reçoivent plusieurs piles de manuscrits par jour.
-Zut ! Comment avez-vous fait pour être édité, vous ?
-J’ai envoyé mon manuscrit. Ils ne voulaient pas le publier non plus. C’est un lecteur du comité de lecture qui a vraiment insisté pour que ça passe. »
Alexandre Romanès m’avoue ses sympathies politiques. Elles vont à l’extrême-gauche. Il est ami avec les hommes politiques les plus célèbres qui représentent ces partis.
Le cirque, défendu par le philosophe Michel Onfray, a connu de sérieux soucis et ne doit qu’à la mairie de Paris de posséder un abri durable, dans le joli square Parodi du seizième arrondissement. Il propose des numéros beaux et réjouissants, pour des spectacles d’une durée plutôt courte, ce qui n’est pas un mal, et intenses : dans Les Nomades arrivent, jonglerie, acrobatie, balançoire-voltige…
« J’ai trouvé ce numéro terrifiant ! dis-je au directeur Alexandre. Et si elle allait tomber ?
-Non, dit-il, car elle s’accroche de partout.
-Et la petite qui a lancé du feu. J’ai trouvé cela magnifique.
-Elle a eu peur un peu.
-Et pourtant elles font cela avec des sourires !... Je trouve cela admirable. L’origine de ces spectacles ?
-Tzigane. »
Une autre soirée, des danseurs exécutèrent du flamenco. Il s’agit d’un beau spectacle où l’habit tient un rôle majeur. Le sujet : une nuit de noces. La mariée a été victime d’inceste dans son enfance, dans le lit paternel – son mari peut-il la comprendre ? Les robes des Tsiganes sont souvent somptueuses et fleuries, colorées – elles les relèvent et les font tourner à merci. Le tapis rouge ensanglante le cirque. Derrière la piste, un accordéon, une clarinette, une contrebasse et une harpe jouent des airs endiablés, entraînants et joyeux. Des fleurs en papiers tombent depuis de petits paniers, sur les acteurs. La lumière change. Les rideaux au fond sont orange, roses, verts ou jaunes, je ne sais plus – mais tous d’une jolie clarté.
En conclusion, le cirque Romanès est une expérience esthétique et humaine qui vaut d’être tentée. Si vous souhaitez jouir d’un spectacle d’acrobates et de danse avec des gens très humains, à fleur de peau, je ne peux que vous le recommander.