LA RADIO FANTASTIQUE
« C’est Superloustic, la radio fantastique ! » était, au début des années mille neuf cent quatre-vingt-dix, le jingle, balancé d’une voix immature de petit singe, d’une radio pour enfants dont, en tant qu’adulte d’une génération infantilisée, je garde un souvenir ému.
Cette petite merveille sur ondes émettait depuis 1987 d’une station lyonnaise. Il s’agissait donc, d’emblée, d’un modèle offert par la province à portée de tout le monde.
Les soirées se passaient en dédicaces de chansons, parfois entrecoupées de pages humoristiques, comme une parodie de publicité pour le dentifrice… Il existait, je crois, une plage horaire pour que des enfants puissent parler de leurs problèmes. Les animateurs étaient sains, jeunes, sympathiques, il n’y avait rien dans ces programmes de racoleur, d’agressif, de politique ou de sexuel… Bref, un monde de paix ! Ce choix de la respectabilité était d’autant plus louable que dans les écoles du second degré, les émissions pour enfants étaient très raillées par ma génération qui, habituée aux simagrées du petit écran, et à des programmations non respectueuses de l’enfance, s’estimait déjà trop mûre.
Les week-ends, la radio proposait une émission sur les dessins animés japonais qui fit venir et regroupa tous ceux qui, la décennie suivante, allaient se retrouver aux commandes du phénomène « manga » en tant qu’offre et demande. L’animateur s’appelait Olivier et avait vingt-six ans – nous étions en 1991… Bon professionnel, il préparait des dossiers thématiques sur les séries de robots, les dessins animés sur le sport, ceux sur les petites magiciennes… et leur impact dans le monde audiovisuel de l’époque, y compris au Japon. L’émission bien cadrée, au rythme d’une palpitante frise chronologique, était entrecoupée par des génériques originaux japonais, d’une rareté suffocante. En effet, à l’époque, les compacts disques de bandes originales ne pouvaient s’acheter qu’à Paris, dans des boutiques tenues par des Japonais, pour un prix de 250 à 300 francs – prix qu’on ne mettrait pas aujourd’hui en euros, et encore ! – et je les regardais sous les vitrines comme des bijoux précieux. Il suffisait de tourner un bouton de radio pour les avoir prêts à l’enregistrement sur cassettes, grâce à Superloustic.
Un petit camarade à qui je fis écouter l’émission sur les dessins animés de robots s’étonna de la maturité du ton et en conclut que, s’il avait su que cette radio diffusait cela, il l’aurait écoutée depuis longtemps.
La radio était donc de qualité et prouvait qu’il était possible de faire du sérieux à destination d’un public jeune large. En tous cas, elle ouvrait un éventail de possibilités culturelles inédites – familiarisation avec la langue japonaise, initiation à la pop nippone, redécouverte de la culture manga – c’était avant l’éclosion du phénomène national.
Ces chansons rares, dynamiques ou tendres, invitaient au yume (rêve) ou à la représentation héroïque. Elles cadençaient de brefs moments de voyage, très différents des soupes de boites de nuit françaises ou des chansons traditionnelles.
Un jour, les animateurs nous annoncèrent, à nous jeunes auditeurs, que la radio risquait de disparaître ! La raison, qui ne fut pas clairement répétée, était le manque d’argent de la station. Comme neuf-cent mille autres enfants, j’allai faire du porte-à-porte chez mes voisins pour leur demander de signer la pétition pour la sauvegarde de Superloustic.
« Mais si la radio va disparaître, m’objecta un adulte, c’est qu’il y a une raison à cela ! »
C’était la première fois que je rencontrais une opposition intellectuelle contre une cause qui me paraissait acquise d’avance. Je trouvai cela fort de café. Ne pouvant convaincre mon voisin, je finis par rédiger moi-même une feuille entière de signatures.
La radio mourut. Les animateurs, qui paraissaient contrariés, refusèrent de faire traîner le pathos. Le début de la génération manga, qui avait vu là que le mot enfance pouvait être associé au professionnalisme et à la curiosité d’esprit, était consolidée, mais c’est, une fois de trop, la qualité qui avait été balancée par-dessus la fenêtre.