ESPANCA, LA DAME AUX SONNETS
Vous ne la connaissez peut-être pas, mais Florbela Espanca est une des plus grandes poétesses portugaises.
Née en 1894, elle meurt en 1930, en marge des courants modernistes de son époque.
Elle est la créatrice de sonnets, cette forme fixe de poèmes, d’une force et d’une sensualité uniques. Bien qu’ayant peu publié de son vivant, elle connaîtra assez rapidement la gloire après sa mort.
Quelle vie a-t-elle eu ? Une vie tragique, à tel point que son premier recueil de sonnets, publié en 1919, s’intitule le Livre des blessures : elle le dédie à tous les malheureux, afin qu’ils pleurent en la lisant, car seuls eux peut-être peuvent le comprendre.
D’après le poète Al Berto, qui rédigea une préface pour la publication de ses œuvres en français, « Florbela a eu deux mères ». Il explique que la première a été payée, louée pour la porter. Tout au long de sa vie, la poétesse ne cessa, en vain, de rechercher cette mère porteuse, à qui elle dédie ces vers :
Ma Mère ! Ma tendre Mère, pourquoi suis-je donc née ?
Souffrant des agonies et des douleurs si grandes,
Mais pour quelle raison, dis-moi, m’as-tu portée
A l’intérieur de toi ?...
Elle est une fille illégitime. Son père ne la reconnait pas ; il la reconnaitra dix-neuf ans après sa mort, sous la pression des admirateurs de la poétesse. Pourtant, d’après Al Berto, il photographia sans arrêt sa fille.
La femme de ce père distant éleva Florbela Espanca, cette petite fille qu’elle désirait et ne pouvait porter, avec amour.
La vie de la jeune femme fut difficile : trois mariages soldés chacun par un échec, aucun enfant alors qu’elle désirait tant être mère, la mort dans un accident d’avion de son frère qu’elle aimait passionnément.
En 1923 elle publie Le Livre de sœur Nostalgie, en 1930, l’année de sa mort, c’est La Lande fleurie. Resteront des poèmes posthumes, dont le touchant Laissez entrer la mort, dans lequel elle exhale son désespoir. Elle se suicide à trente six ans.
Les sonnets d’Espanca font revivre une vie pleine d’intensité. Dans chacun d’entre eux, des paysages ou des ambiances renaissent :
La nuit se dissémine en ombres et en fumée…
Arôme de lilas ou parfum de vanille,
La nuit me rend folle et m’enivre !
Ou encore :
Et le soleil, sur les maisons blanches qu’il brûle,
Dessine des mains sanglantes d’assassin.
C’est ainsi qu’Espanca évoque avec « saudade », nostalgie, des « soirées de rêves », ces soirs de chez elle, du Portugal, qui imprègnent ses souvenirs et son imagination tourmentée. Toujours, c’est le « je » de la poétesse qui est mis en avant, qui s’exprime, extériorise ses impressions et ses sentiments, se décrit :
Ma bouche est pâle comme un lac…
Mes bras légers comme caresses,
Que la lune vêt de soie pure…
L’amour, les baisers, viennent embraser les vers de la poétesse qui éprouve des sentiments ardents. Vivre sans aimer, conclut-elle, est pire que d’être aveugle de naissance. De même, il ne sert à rien de haïr après un amour déçu.
En toute vie il y a un Printemps
Qu’il faut chanter tant qu’il fleurit ;
écrit Espanca.
La soif d’étreintes, de baisers, d’amour la dévore. Est-elle solitaire ? La voilà en proie à la mélancolie, de son cœur qui « dérive au hasard des courants, / Noir esquif sur la mer en flammes… »
Le rêve du bonheur ne l’abandonne pas. A la frontière du romantisme et du symbolisme, ses vers chantent aussi la beauté immédiate du monde, le clair de lune, les fleurs, la pluie. C’est pourquoi la lecture d’Espanca n’assombrit pas l’âme mais la transporte, malgré la souffrance, cette « plaie béante », qui s’y lit. Elle demeure, comme Louise Labé, un des talents féminins les plus évidents de la poésie.
Bibliographie :
FLORBELA ESPANCA, Châtelaine de la tristesse, l’Escampette, 1994. Ce livre est la seule anthologie des poèmes d’Espanca publiée en français. Compte tenu de sa rareté, il est désormais proposé à des prix prohibitifs sur les sites de revente.