KIERA MALONE, L’ART D’ETRE NUE
Sur une toile d’une grande délicatesse, une femme lève les bras. Son geste peut surprendre ; il semble suspendu, comme une pause. La jeune femme, brune, sourit légèrement. Son regard profond vous fixe ; on dirait qu’elle cause des yeux. Elle porte un soyeux ruban rouge autour du cou, une chemise blanche parcourue de légères raies, qui cache à moitié un sein, laisse l’autre totalement découvert. La main, pareille à celle, remarquablement exécutée, d’une paysanne au Musée d’Orsay, attire le regard. Vient-elle de se réveiller ? Son teint parfait semble le démentir. La grande beauté de la jeune femme fait penser à de la sculpture peinte. Ses traits, extrêmement réalistes, n’en restent pas moins inaccessibles par leur perfection.
Ce tableau au fond rouge et au cadre noir est accroché dans ma chambre. Je me réveille chaque jour à côté de lui. Jadis, quand j’étais jeune enseignante, il m’a coûté près d’un mois de salaire.
En 2012, j’étais à la médiathèque d’Argentan. Je m’approchai de Michel Onfray et, lui montrant une peinture sur papier imprimé, lui demandai :
« Vous aimez ce qu’elle fait ?
-Oui, répondit-il, j’aime bien. »
Comment ne pas aimer ? L’œuvre de Kiéra Malone que je lui présentai dévoilait une jeune femme d’une somptueuse beauté en tenue d’Eve. La technique, parfaite, relève de l’hyperréalisme, ce qui fait ressembler les œuvres à des photographies. On est dans un figuratif absolu.
Kiéra Malone avait à l’époque un atelier près de Besançon. Elle peignait essentiellement des femmes nues. Quelques enfants, et des paysages réalistes avec de la lumière aigue de soleil couchant. Elle avait un site Internet officiel qui ne cessait de lui causer des tracas et des problèmes techniques : c’était, affirmait-elle, une forme de censure du web, du fait de l’érotisme de sa production. Elle se classait parmi les artistes censurés et en souffrait. D’ailleurs, si vous faites aujourd’hui une recherche sur la toile concernant les œuvres de Kiéra Malone, vous ne trouverez que quelques œuvres, habillées ou dissimulées. Montrer des femmes sulfureuses, d’une tranquille et impassible beauté, semble incompatible avec une diffusion sereine.
Aussi surprenant que cela paraisse, sa fille lui servait souvent de modèle. Les femmes de Kiéra Malone sont parfaites, nues, vêtues, couvertes d’une gaze, comme des fruits offerts à l’imagination. Elles ne mangent pas, ne pleurent pas, ne rient pas, elles sont des âmes que le bonheur a placé dans un corps en repos.
Le classicisme qui habite ces toiles, très net dans une œuvre comme Salomé, fait songer à la mesure idéale et sauvage inondant les œuvres d’un Racine. Dans la pause, il y a toujours un message, qui est le désir de communier avec le spectateur.
Une artiste disséminée, à redécouvrir.