La poésie en Croatie

LA POESIE EN CROATIE

 

 

 

 

 

            « En Croatie, les intellectuels ne sont pas bien vus. Ils sont moins estimés que les manuels », reconnait Vanda Mikši?, poétesse croate, traductrice primée, chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres. Née en 1972, elle a été publiée en français. Son recueil révèle un talent fabuleux. Ses inspirations, la cinématographie, le téléphone, le théâtre de Ionesco, le surréalisme, les paysages de Croatie, se marient dans ce livre intitulé Sels[1]. Le poème libertaire « Pour votre confort et votre sécurité » en est peut-être le plus emblématique.

« Il n’y a pas d’argent pour la culture. Ce n’est pas jugé un ministère important. »

Ses yeux vous prennent et vous sourient l’air de dire : « c’est quelque chose, que vous souriez ! »

« Je ne suis pas célèbre, assure-t-elle en riant. En Croatie, les écrivains et les poètes ne sont pas médiatisés. On ne vous reconnait pas dans la rue. »

Seul l’un d’entre eux, que son éditrice cite aussi avec le sourire, et dont le nom m’échappe, a les médias à ses trousses. Il est extravagant, bizarre, fait des scènes en public et ne veut pas des journalistes, il les a donc. « Mais, corrige la jeune femme, il n’est pas sûr qu’il soit reconnu dans la rue pour autant. »

La seule et dernière fois où les poètes et écrivains se sont rassemblés, mobilisés, c’était il y a peu, pour défendre des journalistes croates, « la liberté de la presse menacée. » Elle pense que si de telles choses se passaient en France, les écrivains français se syndiqueraient et finiraient par défiler.

« Il n’y a pas de fuite des écrivains, pas d’exil des cerveaux ?

-Non, pas du tout », nuance-t-elle.

Elle a une conversation profonde, polie, instructive, qui échappe aux ressorts ordinaires.  Après pareille rencontre, Sels fait l’effet d’une claque.

Elle travaille avec une maison d’édition qui a rendu accessible au public français au moins deux des plus célèbres poètes croates.

      Jure Kaštelan (1919-1990) est un des grands poètes de la guerre. Son œuvre la plus connue se nomme « Les Tiphusards ». Sa plume est écorchée et de nombreux poèmes font état d’une douleur aigue :

Pars et ne te retourne pas ! Tu marches à la tête des morts.

Observe dans ton viseur les premières violettes. Dors dans tes sabots.

                        Ta gorge est recherchée

                                               par de sombres couteaux.

Sensibilité poignante, il voudrait pouvoir aimer au point d’ « être une fleur dans ta crinière » et se remémore, après le tremblement de terre à Skopje, « l’odeur / du champ des coquelicots ». Il n’oublie jamais le sang qui a coulé[2].

       Dans un registre très différent, Dobriša Cesari? est aussi un des plus grands poètes de la Croatie, et du vingtième siècle. Il y a beaucoup de belles poires dans son verger. Une traduction soignée, rimée, nous le fait découvrir[3]. Il y décrit joliment le parcours d’une bestiole posée sur un livre d’Homère, trouvée, en somme « parmi les Dieux ». Poète de la nature, lyrique, retenu, il chante dans son mélodieux « Le retour » :

Il pourrait encore nous arriver d’aimer,

Nous arriver – j’ose le dire,

Mais je ne sais pas, moi, si ce désir

Je le désire.

 

            Je vous incite vivement à faire leur connaissance.

 

 

 

 


[1] Vanda Mikši?, Sels, édition l’Ollave, 2015. Rencontre au Salon du Livre à Paris, le 17 mars 2019.

[2] Jure Kaštelan, Berceuse des couteaux, traduit du croate par Vanda Mikši?, L’Ollave, 2017.

[3] Dobriša Cesari?, L’arbre fruitier après la pluie, l’Ollave, 2016.

Date de dernière mise à jour : 01/08/2019

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