MONSIEUR !

MONSIEUR !

 

 

 

 

 

      En novembre dernier, Radio France fêtait le livre et c’était temps gris, la bourgeoisie culturelle était triste de ne voir plus qu’elle et d’inviter toujours les mêmes.

Beaucoup d’auteurs très consacrés, âgés, se retrouvaient seuls.

Alain Finkielkraut s’était absenté de son stand. Sur le bureau où il était assigné, il n’y avait plus ses essais, les livres personnels, entiers, que furent La Sagesse de l’amour, ouvrage d’une cadence classique étrange, le Mécontemporain, que j’avais adoré à vingt ans, et tant d’autres livres plus célèbres, ou plus tardifs. Il y avait des ouvrages de collectifs qu’il dirigeait.

Tout à coup il passa au loin. Une foule retenait le passage. Je me précipitai à sa suite. Je l’appelai quatre fois. De dos, entêté de dos, jamais il ne manifesta le moindre signe qu’il avait entendu. Monsieur ! Monsieur ! Monsieur ! Monsieur ! Je n’ai osé toucher sa manche. Il était en habit noir. Je l’ai arrêté. Je me suis présentée. Je lui ai donné mon nom, pas de dessins, mon nom civil. Il a paru n’en avoir jamais entendu parler.

« Je suis muette, je ne sais pas parler aux auteurs, mais j’avais envie de vous rencontrer, de vous serrer la main. »

Il est haut de corps avec une tête imposante. Une ossature élevée. Il a le visage neutre et puis sourit doucement :

« Vous êtes très gentille », dit-il. 

Il m’a serré la main, la sienne était comme un turban de plastique et de soie. Courtois, d’une sensibilité retenue, il avait une assistante devant lui et portait un livre rouge, un livre vert. Il ne semblait pas habitué à ces gestes de rencontre fortuite. Je ne sais.

« Au-revoir, a-t-il dit.

-Au-revoir, mais je ne suis pas sûre que j’aurai cette occasion », dis-je, trop bouleversée de mon geste.

Avec son assistante, il partit, il descendit l’escalier.

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