NOSTOS

NOSTOS

 

 

 

                            « Et de ces images jaillissait une grâce resplendissante, admirable, et elles semblaient vivantes ».

                                    (Hésiode, Théogonie

 

      L’art contemporain en France fait dans la fadeur. Le goût du public, qui se porte sans cesse vers le joli et le futile, l’éloge réservé à cela seul qui est décoratif, l’accumulation de discours obscurs et intellectualistes dans les créations des galeries et sur les pages de livres de poésie, l’absence de propos qui ébranle, autant de symptômes contribuant à faire de l’art actuel un art conservateur et réservé à une chaîne de gens consacrés. Heureusement, de nombreux espaces de diffusion existent qui permettent de varier le vivier et de laisser à chacun une petite chance, un jour, de percer. Avec Les Films du Temps Scellé, la boite de production qui diffuse son film, le réalisateur Cyril Lafon est apte à offrir au public des propositions plastiques qu’il désire inventrices de forme, de rythme, sur fond de questionnement actuel.

Nostos est un film-documentaire dont la durée a été limitée à 59 minutes et 59 secondes. « A partir d’une heure, le film passe en catégorie long métrage, on le tue avec ça », commente Cyril. Il a fait l’objet d’une diffusion en salle à Bordeaux, à Pau, mais également à Paris, le 15 décembre 2019. Nous y avons retrouvé le réalisateur, un de nos amis, pour un débat. Malgré les grèves, la salle était pleine de monde et le public témoigna d’une solide maturité et d’un rapport souvent intime, précis, riche, avec ce pays qu’est la Grèce.

Il s’agit du troisième film de Cyril Lafon. Dans les années deux-mille, celui-ci avait réalisé Euskaldun, un documentaire sur la disparition de la langue basque. En 2010, il signa Les Braises de la révolte, sur les émeutes en Grèce. « La Grèce, avoue-t-il, est ma patrie imaginaire ».

Cyril est professeur de français à Bordeaux. Il enseigne aussi le cinéma à la fac. « J’ai quarante-deux ans, dit-il après la projection de Nostos, lors de l’apéro-mezzés, j’ai le même âge que le Président de la République ». Mais, en matière de rêve et d’ambition, ce qui seul fait sens pour lui est le cinéma.

Nostos veut dire « le retour » en grec. Littéralement, la nostalgie signifie la douleur du retour. En voix-off, le réalisateur raconte dans son film les racines de son amour pour la Grèce. Le livre offert par son père quand il était enfant. Les mythes. L’histoire d’Ulysse. Le film se gorge de très belles images d’Ithaque, île dans le brouillard, chargée d’un arbre à quatre troncs et d’un château en ruines.

Le film commence avec un chant somptueux. Il s’achèvera avec le roulement des vagues. La mer possède sa propre langue.

Le récit cinématographique, outre ce narrateur poétique qui est le je du créateur, a trois personnages : Dimitris, Anna et Giorgos. Tous trois sont Grecs, tous trois sont jeunes, tous trois ont connu la crise. Tous ont vécu à l’étranger. On les voit évoluer et témoigner, sous une caméra dont le rendu a tout de la saveur proche-orientale.

Dimitris, militant marxiste, est un homme fantastiquement pertinent et drôle. Selon lui, les philosophes et les grands hommes ne vivent plus en Grèce. L’idée de vouloir leur ressembler encore aujourd’hui, quand la démocratie et la liberté sont à reconquérir chaque jour, rend les Grecs bipolaires. Après des études en France, il est le seul des trois personnages à être revenu vivre dans son pays. Il y est devenu agriculteur. Il a pensé qu’il y avait davantage moyen d’agir et de changer le monde chez lui qu’à l’étranger. Il a posé une banderole de deux centre mètres carrés sur l’Acropole pour inciter à la résistance.

Anna est le personnage féminin du film. En France, elle donne des cours de français. Elle est remarquablement intelligente aussi. Quand elle était enfant, chaque matin, au petit déjeuner, son père lui lisait une rapsodie de l’Illiade puis de l’Odyssée. Elle se demande si de là ne vient pas son goût pour les voyages, l’errance… Ulysse est son héros préféré car il se sert toujours de son cerveau pour trouver une solution. En arrivant en France, elle a comme perdu son identité d’adulte et a dû faire ses preuves en repartant à zéro, mais elle ne compte pas revenir maintenant en Grèce : « J’aime que mon pays me manque ».

Cette femme au physique très grec, qui vit à Paris, s’est déplacée à la projection du 15 décembre.

« Efaristo d’être venue, lui dis-je.

-Oh ! » dit-elle, à l’écoute de ce mot grec, et elle me serra très gentiment le bras, avec beaucoup de chaleur, pour me remercier à son tour.

Giorgos est originaire de l’île de Lesbos. C’est un homme plein d’introspection. Il est chanteur d’opéra. Il observe que la musique grecque le remue profondément. Il la préfère à celle de Verdi, qu’il ne peut chanter qu’avec douceur et de la technique. Pour des raisons complexes, parce que l’idée de réussir et de perfectionner sa vie lui tient à cœur, il ne veut pas revenir en Grèce actuellement. Ses amis, cependant, lui manquent beaucoup. Et « mes arbres ». Et l’eau, le ciel, la chaleur…

Tous se sont posés des questions en exil, comme si le dépaysement accentuait la profondeur des êtres. Quant à Cyril Lafon, il reste un de ces exilés de l’intérieur, un de ces migrants rares, de l’âme, à la recherche d’un pays qui n’est pas le leur de naissance mais auquel ils sont viscéralement attachés comme s’il s‘agissait d’une terre native, ou d’enfance. Pourquoi ? Le documentaire ne répond pas à cette question mais le livre du père restera ouvert, signe que le déchiffrement n’est pas terminé.

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