SHAKESPEARE A LA COMEDIE FRANCAISE

QUAND L’AMOUR FAIT LE BOUC : SHAKESPEARE PELOTTE PAR LA COMEDIE FRANCAISE

 

                                               REPRESENTATION DU 05 AVRIL 2015

 

            Le moins qu’on puisse dire est que le purisme n’est plus de mode à Paris. La ville d’élégance concentre, de façon étrange, les gens les plus uniformes qui puissent être : même vêtements, même sensation étouffante que l’individualité forte n’existe plus, noyée dans l’accélération des rythmes et de nos modes de survie.

            Britannicus, que j’allais voir il y a près de quatorze ans, fut massacré aux Vieux Colombier par les prétentions modernistes cotées en bourse (chaussettes sales enlevées, gouttes de champagne répandues sur la scène, pouf et guirlandes oranges rutilantes en guise de décors) ; Shakespeare à la salle Richelieu poursuit la même carrière descendante.

            J’ai même ouï dire par une amie qu’en Lorraine, on représenta une lecture de Rimbaud par des talents pyramidaux qui se promenaient nus sans arrêt, et que ce dévergondage faisait pâmer la critique locale. La plupart des individus, en groupe, craignent de ne pas rire comme les autres, ou de désapprouver ce que quatre-vingt pour cent de leur entourage paraîtra apprécier.  Pourquoi ? Je n’en sais rien ; seul un psychologue cognitif vous dira : « C’est comme ça ».

            Pourtant, l’adaptation qui nous est proposée par la Comédie Française n’est pas exempte des qualités que l’on attend d’un Art porté au plus haut par une institution incontournable  : musique brillante, déclamation talentueuse de la plupart des comédiens, que l’on sent investis, ce qui est, au moins, leur rendre cette justice. Les hommes qui pullulent dans Shakespeare sont des vieillards un brin éméchés, ou des poupées masculines – ridicule et impersonnalité avec lesquelles jouent parfois fort bien les acteurs engagés, complices et conscients qu’il s’agit là d’une sur expressivité des archétypes sociaux impuissants à représenter l’homme idéal.

            Les actrices, quant à elles, se pavanent en décolleté – leur plastique superbe nous laissent cependant parfaitement insensibles. Leurs jambes interminables sont aussi sexuellement stimulantes que des baguettes de cire.

            Le caractère abrupt de Shakespeare, le mouvement, le fracas que ses pièces peuvent contenir - apparait magnifiquement au cinéma dans les adaptations cinématographiques d’Orson Welles (Othello, Mac Beth) ;  le caractère débridé, voire violent, des mœurs du XVIème siècle, est superbement rendu dans le cinéma de Franco Zeffirelli (La Mégère Apprivoisée). Ajoutons en passant que Zeffirelli réalisa un Roméo et Juliette qui, fait notoire, fut l’adaptation la plus crédible de cette pièce, car les acteurs y ont l’âge de leur rôle – ils furent, pour une fois, effectivement joué par des adolescents. Oui, cinématographiquement parlant, le pape du théâtre anglais a, jusqu’à ce jour, eu de la chance.

            Au théâtre, Shakespeare conserve cette outrance qui débectait le vieux Voltaire (« Je chevauche un taureau comme une putain que je suis ! » parodiait, en tonnant, le philosophe à la table de Ferney.) – mais l’harmonie de la pièce est saccagée par une vulgarité qui outrepasse largement la querelle du classicisme français et du goût anglais : hideur des castrats, voix  haut perchées jusqu’à vous dévisser les oreilles, néandertalisation de la scène par l’invasion de satyres à la prothèse phallique pendante (« ils ont ressuscité Lascaux », m’exclamai-je) – la scène finale du tableau fait frémir de répulsion.

            Le public, peut-être subventionné comme à l’époque où les artistes  choisissaient et payaient eux-mêmes la claque, a surtout applaudi et ri aux passages que nous qualifierons d’écœurants, et je dis écœurants avec les précautions de quiconque soulèverait un microbe avec une pince. Nul n’a besoin d’entendre braire alors que la brochure nous ment en exaltant l’érotisme et la subtilité amoureuse des rapports humains. Des amants à quatre pattes mimant des relations sadomasochistes – quelle platitude ! Quel avilissement – même dans le jeu volontaire des stéréotypes sexués ! N’importe quel pornographe peut en faire autant.

            Si la pièce m’avait ravie, je n’aurais pas applaudi – je ne le fais jamais – mais j’aurais vivement félicité les acteurs ou chercher à les rencontrer…  Ici, mes mains sont restées dédaigneusement crispées et serrées tout le long  d’un final où la salle exultait dans un immense pet panurgique.

            Je confesse avoir ri deux ou trois fois durant la représentation, souvent seule ou à contretemps, lors d’intonations particulières (la façon volontairement alambiquée de prononcer le mot « songe ») ; mais le rire massif et « côte de bœuf » des bouchers de la scène et de la salle – car c’est, par moments, une boucherie artistique – me donnèrent envie de courir vers la sortie. J’ai alors parcouru le catalogue de la Comédie Française, pour ne plus avoir à regarder, c'est-à-dire à subir,  cette pitrerie qui s’en damnait à cœur joie.

            Une autre amie, à qui j’avais exprimé mon dégoût de ces interprétations modernistes, m’avait rétorqué que c’est parce que je venais de province. La vérité, c’est que l’on n’habite pas la grande scène de la Comédie Française avec du plastique, et que les poupées n’ont pas d’âme, pas plus que l’homme de Neandertal.

            Voir Shakespeare à la Comédie Française – qui pourrait refuser pareille expérience ? Nous ne savons pas, de toute façon – ne disposant pas de machines à remonter le temps –  ce que serait une représentation idéale de cette pièce, tel que l’auteur défunt l’aurait désiré – sans compter l’anachronisme que suggère pareille question rétrospective.

            Il semblerait que la Comédie Française, rue Richelieu toujours, qui avait été probe, c'est-à-dire impeccable, avec l’adaptation de Phèdre, se comporte comme un Vieux Colombier avec Monsieur Shakespeare.

            La musique, en revanche, est irréprochable. La plupart des acteurs sont investis, éprouvent leur texte. Même les costumes sont respectueux d’une certaine idée de Shakespeare – sorcières, dentelles, pyjamas. Ce ne fut pas du tout le cas pour le Platée de Rameau qui fut joué, à la télévision,  par des gosses de banlieue et des bellâtres de beaux quartiers – ou supposés tels – car ne sont là encore, que des archétypes en vogue – comme le port de la perruque autrefois (de quelles paires de chaussettes sera faite la mode de demain ?) – s’invitant et dansant en tenues hétéroclites. L’esthétique clinquante et creuse de Las Vesgas se vautrant dans les mânes du XVIIème siècle, pourquoi pas, pourvu de blaser tout le monde au bout d’une représentation ? Je préfère, pour ma part, les courbes de Vénus.

            En sortant de cette effondrement de la mesure – il ne suffit pas de prononcer le mot « grec » pour avoir le sens grec de la beauté harmonique – on a surtout envie de s’évader chez les Japonais, dont le maintien est plus contenu, et de dire bien haut ce qu’on en pense.

            Quel âge mental avez-vous avec une cannette de bière ? Quelle image donnez-vous de vous – et à qui ? Combien cela vous coûte-t-il dans le miroir ? Combien de réflexes intelligents annihilez-vous à cette occasion ? « Depuis quatre mille ans il tombait dans l’abîme. » Bien mal vous en a pris – ceux qui ont ce vice y retournent toujours, et le reste n’est que littérature.

            En Japonais, Natsu no yoru no yume : « Songes d’une nuit d’été ».

            Je préfère une belle réalité.

 

                                                                                               MARIE PRA

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