Maison de peintre

Yvonne Jean-Haffen, l'art de vivre en Bretagne

Par Le 25/09/2018

 

 

 

 

 

          La Bretagne est une région magnifique, dont les habitants sont très agréables, et dont l’ambiance évoque le cidre doux. Il y a des villages, des petites villes si jolies qu’on les croirait faites à la main, comme des œuvres de coutures rares.

Au bout du Quai de la petite ville de Dinan, se dresse une maison. Il s’agit de l’endroit où vécut la peintre Yvonne Jean-Haffen (1895-1993). Une surprise, et une découverte, que ce nom-là, qui évoque un rosier noble.

Ce jour-ci, la Rance, la rivière de Dinan, était verte et calme. Elle scintillait doucement entre les herbes. Le soleil rendait tout heureux. Un escalier long et abrupte, bordé d’un mur de pierres grises, menait à la maison de l’artiste inédite.

Le chemin était raide, décidemment ! Sur l’escalier, un travailleur manuel amassait dans un sac des débris de pierre. Le premier coude de cette montée abrupte menait à un four à chaux. Il s’agissait d’une fosse ronde, profonde et remplis de dangers, d’herbes hautes et sauvages.

« A quel âge est-elle venue vivre ici ? Quarante deux ans… Elle devait avoir de très bonnes jambes » ; car cette pente épuisante envahie de jolis feuillages, signalait l’autarcie, le désir d’indépendance, la coupure d’avec la vie pratique, d’où la présence de trois puits et d’une baignoire en pierre. 

          De taille moyenne, mais distinguée, la maison actuelle donne à visiter six pièces.

La petite salle à manger possède une sculpture reprenant les personnages du Roman de Renart, fabliau médiéval, jetés tout à foison sur un beignet de statue, en faïence ; ouvrage qui a pris des années ; l’ensemble a un côté très kitsch, un effet de pâte colorée et d’œuvre d’apprentie ; c’est un travail fragile, et d’une sensibilité naïve, malgré le raffinement savant du sujet. Cette patte d’artiste, qui incommode le goût classique, est la même quand Yvonne Jean-Haffen adopte le folklore breton comme sujet de peinture, sur les toiles du salon – un salon de plus, appareillé pour recevoir les élégances et les intelligences de la région.

Ces tableaux de Yvonne Jean-Haffen représentent des paysannes en robes noires, avec des coiffes, lors d’une procession. Le sol et les arbres sont orange, ostensiblement. La peinture est plate, surchauffée, remplie. Les toiles exposées dans le musée sont des œuvres documentaires, comme des vignettes d’époque.

Bien que l’artiste et son ami Mathurin Meheut, célèbre peintre à qui fut commandé des fresques murales, ne paraissent pas des talents d’envergure mondiale, ils émeuvent car ils sont rattachés à des souvenirs régionaux. Dérivés de la tradition des almanachs, un art illustratif, le dessin, le coloris paysans, se sont développés sans l’enseignement des courants esthétiques dominants ; beaucoup de Français en ont eu des exemples concrets chez leurs grands-parents, sur un mur, sur une étagère, dans les maisons de campagne. Ce détachement participe à la qualité du musée, à l’art de vivre qu’on y découvre, à l’émotion étonnante qu’il suscite, à l’excellence des brochures consacrées aux artistes[1].

     Je découvre le salon et, par surprise, j’entends alors Stéphane Bern, animateur de télévision et auteur d’un ouvrage sur les jardins[2], dire d’une voix fâchée :

« On m’a dit : reste gracieux ! »

Il est sur un tournage. Je fais observer à ma tante :

« Ce salon, c’est une classe en dessous des artistes traités dans Secrets d’Histoire. » J’écris alors une petite carte à Stéphane Bern pour lui parler de cette peintre locale, Yvonne Jean-Haffen. Il me répond si aimablement que j’en suis touchée.

        L’étage de la maison est merveilleux. Il n’est pas possible de tout y voir à cause des parties fermées. La chambre de la peintre est riche en documents disant l’énergie, le temps, la dévotion laborieuse que l’artiste doit à sa peinture, malgré les embarras de la famille à recevoir. La pièce comporte une baie vitrée qui apporte beaucoup de lumière et d’originalité à cette chambre.  

A côté, un petit cabinet de bain, en jaune pâle, avec un sabot.

« Les sabots, c’est encore récent, explique ma tante. Ils étaient très pratiques, on se lavait entièrement dans peu d’espace et de façon agréable. »

La chambre voisine, émouvante, presque nue, accueillit des invités, dont Mathurin Meheut. Cet homme qu’elle adorait a laissé un portrait de « Yvonne Jean-Haffen au travail » : elle peint assise au sol, dans une forêt de bouleaux. Il lui a fait un sourire décidé et très moqueur.

        Sa maison est à la fois grande et petite. Elle n’est ni vraiment bourgeoise, ni aristocrate, ni simplement fonctionnelle. Elle possède un plus à l’âme étonnant, qui fait qu’elle n’appartient plus aux catégories de l’abord. Comme dans un monde poétique, à l’arrière, sous cette douce lumière bleue qui fait l’été, il y a une terrasse où j’imaginai Yvonne Jean-Haffen, les soirs tombants, recevant des amies dames pour causer, boire, se détendre. Tout autour est le jardin de La Grande Vigne, qui l’envoûta. Chemins de terre, dénivelés, sous les arceaux blancs, rectangle vert en pente, couvert d’arbres, j’en parcourus un morceau. Je me dis que c’était l’héritage d’une grande travailleuse, arrivée là au premier âge de sa maturité, armée d’une sensibilité volontaire, déjà faite, développée au grand air, et à chaque toile : l'âme a survécu dans cette maison, laissant le visiteur heureux, aimant et curieux de l'artiste.

J’ai écrit ce récit de promenade avec une sensation d’ivresse, sans rien boire.

Quand nous redescendîmes, la Rance continuait de plaire avec son éclat vert.

                                                        

 


[1] Yvonne Jean-Haffen et Mathurin Meheut, Œuvre à quatre mains, livret d’exposition, musée Y.J-H Dinan, exposition présentée du 2 juin au 30 septembre 2018.

[2] Les Jardins préférés des français, Flammarion, 2014.