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BEAUTE DIVINE !

Par Le 26/10/2018

BEAUTE DIVINE ! [1]

       

 

     En m’évadant d’Argentan, je me suis précipitée directement au théâtre d’Hérouville Saint-Clair, ne sachant où était cette ville de la banlieue proche, ni en quoi consistait la programmation ; j’y courus comme démangée par une crise de magnétisme.

     Si le centre-ville de Caen possède la spécificité des patrimoines nationaux, la majesté tranquille des architectures qui ont fait leur preuve, la traversée du campus universitaire où se situe le théâtre fut un calvaire pour moi – sans boussole, tamponnée par la présence de centaines d’étudiants boutonneux, j’errai dans je ne sais quelle étagère...

     Epuisée, déposant ma valise dans le hall de l’entrée et prenant à l’accueil des tickets verts pour assister à la conférence de Michel Onfray dans le cadre de « l’Université du Temps Libre », je m’assis par accident devant un film – loin d’être excellent – projetant l’image du conférencier sur un écran gigantesque. Il s’y gaussait des envois réguliers de dessins d’une petite fille – moi, semblait-il. 

 

     « Je vous invite à lire les poèmes de Mahmud Darwish », glissa-t-il dans la poche du public.

 

     Un chenapan à la voix extrêmement vulgaire, le tutoya grassement, en lui demandant : « Je suis choqué, je suis gêné ! Puis-je faire une plaisanterie antisémite si j’ai un Juif à côté de moi ? » Une femme, deux chaises plus loin, détourna son regard vers moi et j’ai senti qu’elle avait honte de l’individu...

     La projection finie, me demandant si le responsable de ce montage était toujours en santé, je questionnai une autre femme : « Où est l’auteur ?» Elle me répondit : « Il est dans la salle, en bas ». Le véritable Onfray se tenait en chair et en os dans un amphithéâtre, sur un tapis rouge ; aussi aurais-je mieux fait de me rendre plus tôt sur les lieux réels !

 

     Mon cœur battait atrocement, je dois dire qu’il est très impressionnant physiquement. Des admirateurs au ton prétentieux vinrent lui offrir des confidences et une bouteille de champagne en lui disant, avec un accent exagérément bourgeois : « Nous venons de Saint-Germain-en Laye pour vous veôir... »

Je me suis présentée vers l’estrade en osant :

« Monsieur... »

Il releva la tête étrangement, fronça les sourcils, ses yeux prirent une lueur inhabituelle, et je vis qu’il ne me voyait pas.

« Dorothée... » fit-il, comme une roche grise sortant de sa torpeur.

Je détournai les yeux de l’autre côté de l’amphithéâtre et dis :

« Je ne sais pas où est Dorothée Schwartz... »

De fait, elle était invisible.

Je repris : « Monsieur, puis-je avoir de l’eau ? Je reviens d’Argentan.

–Je n’ai pas d’eau, me dit-il.

–Ah oui, vous avez épuisé la vôtre », fis-je en regardant les deux bouteilles vides sur son bureau.

Je repris :

« Etes-vous intéressé par un récit de voyage à Argentan ? »

Il se leva, se déplia en tapotant les liasses d’un manuscrit dactylographié sur son bureau – il mesurait à peu près quatre mètres de hauteur après s’être levé – et me dit avec arrogance :

« Non, je connais déjà Argentan, cela ne m’intéresse pas. »

Je ne lui demandai pas de dédicace, tous mes livres – je ne parle pas de mes propres récits – mais ceux des autres, dont le sien, Cosmos (essentiellement consacré aux droits des animaux), étaient dans ma valise, et tellement annotés de ma plume qu’il eût été impossible d’y faire une dédicace.

Je ne pus lui poser des questions sur ce qui me surprenait dans son dernier livre. Je suis venue le voir trois fois et j’ai senti qu’il me regardait avec gêne, ou une grave contrariété, le visage jaune.

« Je suis allée à Argentan parce que je voulais savoir si vous vous portiez bien. Etant là-bas, j’ai cru que vous n’alliez pas bien.

– Je vais bien, merci, c’est gentil, dit-il.

– J’ai rencontré Misrahi il y a quelques années au cercle Bernard Lazare, repris-je en revenant à la charge. Vous avez raison concernant le manichéisme. »

Il portait des livres sous ses bras. Il donne l’impression de mesurer deux mètres cinquante et d’être large comme quatre frigos. Sans doute se sentait-il plus à l’aise pour aller dîner avec des gens de sa structure physique.

« Au revoir », m’ordonna-t-il avec soulagement.

Je ne savais pas si cela voulait dire au revoir ou adieu.

Je sortis exprimer ma mauvaise humeur en me remettant devant la glace : « Il est con ou quoi ! » m’exclamai-je, comme son adolescente ; je fus suivie dans le corridor par deux de ses caciques, dont le mélange de français et d’anglais déplut à mon oreille puriste : « Michel est open ! Dans sa chambre l’autre soir, c’était bien ! » Je crus à une plaisanterie et répondis : « Non merci » – et je partis, me sentant humiliée, pleurant, en tirant mon énorme valise.

     Comme je l’affirmai à une gérante de l’Hôtel Saint-Etienne : « Je dois changer de résidence le moins souvent possible le temps de mon séjour. Avec cette valise, j’ai toujours le sentiment d’être un Juif errant. »

Un homme mûr m’avait menée à l’hôtel en voiture, devant la galerie Caen - Art - Culture - France. Une exposition de sculptures était annoncée.

« J’écris sur la sculpture, lui dis-je, mais je n’en fais pas. »

Lui était galeriste : six-cents artistes, ou six-cents toiles chaque année sur Caen, à couronner. « Vous ne les confondez pas tous ? » demandai-je. « Si », m’avoua-t-il.

     A la bibliothèque de Caen, je lus les poésies de Mahmud Darwish (édition d’Elias Sambar). Ce n’est pas seulement un hommage à la condition palestinienne – l’œuvre parle à chaque réfugié, chaque exilé. C’est une œuvre d’amour, de tendresse, de fleurs et d’arômes, comme ces parfums que l’on retrouve au Jardin des Plantes de Caen, où est le Paradis. Là, plus besoin de lectures, juste d’exister dans l’instant. Quelques personnes vont, viennent, avec leurs enfants ou des chiens en laisse. Sans médisances, sans haine, sans chantage, ils viennent dans les entrelacements de roses, de verts, de graviers, de bois.

     Mahmud Darwish secoue et déchire le cœur du lecteur. Il pousse à une empathie inconditionnelle pour la condition humaine. Ses vers, même traduits, sont d’une beauté torturante. C’est le récit d’un Palestinien amoureux, chassé, et triste de sa chasse et de son amour. Il peut être chacun d’entre nous. Je l’ai lu avec un tel degré de concentration qu’il n’eut pas été bon de me déranger. Il parait, par la suite, difficile de supporter un taux toxique de bruits, d’attitudes choquantes, insolentes, lorsque la lecture de ce style d’œuvre –indépassable –  vous a absorbée.

 

                                      Marie-Eléonore en Normandie, 2015.

 

 

 

 

 

 

 

 

[1]Titre d’une exposition au Musée de Normandie.

Interview d un Argentanais

Par Le 21/10/2018

 

Vous pourrez lire ci-dessous l'interview d'un serveur à Argentan (Orne, en Normandie), son opinion sur la ville et les sommités qu'il y a servi.

 

Interview d un argentanais 1interview-d-un-argentanais-1.pdf (122.22 Ko)

Trois nuits à Caen, Château, Garouste et potagers

Par Le 21/10/2018

 

Voici mon dernier récit sur Caen :

 

Trois nuits a caen chateau garouste et potagers 1trois-nuits-a-caen-chateau-garouste-et-potagers-1.pdf (108.19 Ko)

 

Cordialement, 

 

Marie Pra.  

ORANGE ETRANGE

Par Le 21/10/2018

 

 

Orange étrange

Ronde et Insouciante

Le ver bleu se balade, folie démente

Au milieu des siens et rampe dans la fange

 

Noire prairie

Au milieu de quartiers

Décharnés

Par la crainte et l’envie

 

Le ver devient rouge

Et l’orange s’affole

La fange se noie dans l’alcool

L’orange se gonfle et plus rien ne bouge

 

Le ver vert dévore la pomme

Et aime le ver bleu

D’un mouvement des yeux

Les vers dévoreurs de monde ont l’esprit de l’homme

 

Le trognon de la pomme dévorée

Rejoins dans l’abîme

L’orange décharnée

Est-ce le sort ultime ?

 

Utilité, les vers se sont accouplés

Le mur de l’insolence se dresse

Et condamne l’entrée

De l’ultime monde de caresses

 

            (VINCENT MARCHIONINI, date inconnue)

 

 

 

Né en 1981, l'auteur est chargé d'études documentaires.

Après des études d'archéologie, il vit et travaille en Ile-de-France.        

 

 

Argentan, rencontre avec une habitante

Par Le 13/10/2018

 

Voici des notes sur Argentan (2 pages). La population âgée : rencontre et petit dialogue avec une habitante. 

 

Argentan rencontre avec une habitanteargentan-rencontre-avec-une-habitante-1.pdf (381.25 Ko)

 

Marie Pra.

LE HAVRE

Par Le 12/10/2018

LE HAVRE

 

 

 

      J’aime marcher en Normandie. Au matin, il s’y dégage une très jolie odeur, venue des eaux des ports. Je découvre l’air marin, le vent qui porte les voiles, l’odeur des algues, de l’iode, tout grandit et ressuscite en mon for intérieur…

Les mouettes ont des sons emportés, elles sont gavées par le bruit des hommes et le régurgitent, telles des bouées à musique.

Le Havre est une ville fauchée qui ne cesse de souffrir, décidemment tous les gens en reviennent mécontents.

Je sors du train, quand il est dix heures du matin. Ce n’est pas la bonne heure, et le soleil est froid. J’erre dans cette ville émiettée, quadrillée, jetée en tous sens, dure à traverser. Trois visiteurs me croisent sur l’un des grands quais déserts. Une femme me confie :

« On a du mal à s’orienter ! 

-C’est comme d’être à l’étranger ! »

Même impression. Un canal bouché, comme un bras coupé et laissé pourri au sol, est ce qui me reste de la mer. J’aperçois un paquebot métalleux. Il y a des morceaux, des bouts partout sur les rebords du canal, c’est de la ferraille, des saletés. Je traverse le pont qui daigne être là.

Un entrepôt attire mon attention. Une porte de hangar, en fer frisoté, à moitié rabattue, m’attire. Je glisse mon visage en-dessous, on dirait un marché couvert : la peinture en est jaune, le plafond élevé.

Au centre, un bassin. Il n’y a pas d’eau. C’est pour faire flotter des poissons vivants ! Des filets trainent sur le sol. Ce sont de grands filets de pêche, des cordes longues. « C’est là que les poissons meurent », pensai-je. Il me semble que cet entrepôt n’est pas un marché. Pour la première fois, je ressens la mort des poissons comme concentrationnaire, c’est en cet endroit qu’on les traine, en paquets. Et sur le sol, ils crèvent monstrueusement car il y a tellement de monde qui agonise ensemble !

Un employé était là. Tout seul. Il tournait le dos à la porte d’où je l’observais. L’homme me jeta un regard lugubre. Il était muet et paraissait sans aucune motivation. Je laissai cet entrepôt vide – peut-être un lieu de tragédie piscicole. Quand je mange, je pense aux couleurs.

 

 

CHARMES DE BRETAGNE, la couleur au Moyen-Age

Par Le 11/10/2018

CHARMES DE BRETAGNE, la couleur au Moyen-Age

 

                                                        

Vacances, août 2018.

 

     Ma famille bretonne m’a menée à Léhon. C’est une commune au bord d’un pont, dont il est dit sur une enseigne :

« Petite cité de caractère »

Le nom est écrit en deux langues.

« Tu entends souvent parler breton ?

-Non, jamais. Cela a dû arriver autrefois, quelques vieux. Ici à Léhon, ils parlaient le gallo. »

     La verdure qui colore la rivière, bordant quelques maisons, dessine un joli effet. Le temps est gris, il y a des matelas dans le ciel. Dès que nous montons la côte, un restaurant aux tables blanches, dont la présence est déjà un attrait. Les maisons sont toutes grises mais les murs, de petites pierres, composent au village un visage architectural où tout a l’air délicat. La Rance avec son pont arrondi, autour, des versants boisés, presque sauvages. Puis cette rue pavée qui monte à l’abbaye, elle est du XII siècle.

     Les jardins sont ouverts, je prends le chemin, nous débarquons dans une cour, un pré – une façade impressionnante de plusieurs étages, s’érige sur la terre. L’espace, autour, est vaste.

« Qu’est-ce que c’est ?

-C’est l’ancienne abbaye.

-Elle est du Moyen-Age ?

-De mille cent et quelques, je crois.

-Oui, cela se sent, qu’elle est médiévale. »

     Pas à l’architecture ; ce pourrait être un dortoir, un collège de l’époque classique. Or je sentis quelque chose de terriblement ancien et déroutant – dans l’aura des lieux.

     Nous continuons sur des chemins pleins de pavés et de beauté, baladés entre les jardins. Une église. Une porte qui donne sur un carré abbatial. Au cœur de la cour fleurie, une pancarte attire mon attention. Il y est écrit que les hommes du Moyen-Age faisaient une lecture symbolique des choses. C’est-à-dire qu’ils procédaient par associations, et non par déductions, ce qui semble plus conceptuel.

     « Les couleurs, les formes, les nombres. »

C’est ce qu’ils associaient pour déchiffrer le monde. Le reste – tout ce qui existait venait de Dieu et retournait à Dieu.

    « Finalement, associations, il ne s’agissait pas de la charité, de la façon de s’organiser en société, mais de la pensée. Les raisonnements tels qu’ils venaient, spontanément, à l’esprit. Je trouve que cela a surtout donné quelque chose pour les formes. Les couleurs, cela a donné la peinture. Il en reste la peinture religieuse – elle est limitée[1]. Ce n’est pas beaucoup. Les chiffres – liés aux mathématiques, cela venait des Arabes.

-Et des Grecs.

-Le développement des sciences, lié aux mathématiques, a été limité. Les formes, en revanche, ont donné l’architecture. Or le patrimoine médiéval est grandiose, des monuments magnifiques ! La pensée associative au Moyen-Age a donc permis une éclosion extraordinaire de formes, pas tant avec les couleurs et les nombres. C’est mon humble avis ».

     Le jeune musée de la commune présente des objets : bouts de sculpture, livres, ustensiles. Le poète Maurice de Guérin, au dix-neuvième siècle, trouva cette abbaye dans un état d’abandon et de délabrement complet.

     Le réfectoire des moines inspire des pensées de modernité. Le plus ludique est un escalier de pierre d’où l’allocution quotidienne était prononcée. Le mur laisse entrevoir des traces de peinture rose. Ma famille insiste souvent sur l’importance de la couleur au Moyen-Age ; à Dinan, elle était partout sur les maisons, les églises, dans les intérieurs.

     « Ce serait intéressant, bien qu’il faille oser, que quelqu’un décide de repeindre une ancienne église pour revenir exactement aux couleurs du Moyen-Age » ; car le réfectoire possédait une fraicheur qui poussait à désirer de simples folies. On peut quitter les lieux avec un désir de peinture abstraite.

 

                                     

 

 


[1] Ici, la personne qui parle a oublié les tapisseries pleines d’allégories, et les adorables enluminures.

Yvonne Jean-Haffen, l'art de vivre en Bretagne

Par Le 25/09/2018

 

 

 

 

 

          La Bretagne est une région magnifique, dont les habitants sont très agréables, et dont l’ambiance évoque le cidre doux. Il y a des villages, des petites villes si jolies qu’on les croirait faites à la main, comme des œuvres de coutures rares.

Au bout du Quai de la petite ville de Dinan, se dresse une maison. Il s’agit de l’endroit où vécut la peintre Yvonne Jean-Haffen (1895-1993). Une surprise, et une découverte, que ce nom-là, qui évoque un rosier noble.

Ce jour-ci, la Rance, la rivière de Dinan, était verte et calme. Elle scintillait doucement entre les herbes. Le soleil rendait tout heureux. Un escalier long et abrupte, bordé d’un mur de pierres grises, menait à la maison de l’artiste inédite.

Le chemin était raide, décidemment ! Sur l’escalier, un travailleur manuel amassait dans un sac des débris de pierre. Le premier coude de cette montée abrupte menait à un four à chaux. Il s’agissait d’une fosse ronde, profonde et remplis de dangers, d’herbes hautes et sauvages.

« A quel âge est-elle venue vivre ici ? Quarante deux ans… Elle devait avoir de très bonnes jambes » ; car cette pente épuisante envahie de jolis feuillages, signalait l’autarcie, le désir d’indépendance, la coupure d’avec la vie pratique, d’où la présence de trois puits et d’une baignoire en pierre. 

          De taille moyenne, mais distinguée, la maison actuelle donne à visiter six pièces.

La petite salle à manger possède une sculpture reprenant les personnages du Roman de Renart, fabliau médiéval, jetés tout à foison sur un beignet de statue, en faïence ; ouvrage qui a pris des années ; l’ensemble a un côté très kitsch, un effet de pâte colorée et d’œuvre d’apprentie ; c’est un travail fragile, et d’une sensibilité naïve, malgré le raffinement savant du sujet. Cette patte d’artiste, qui incommode le goût classique, est la même quand Yvonne Jean-Haffen adopte le folklore breton comme sujet de peinture, sur les toiles du salon – un salon de plus, appareillé pour recevoir les élégances et les intelligences de la région.

Ces tableaux de Yvonne Jean-Haffen représentent des paysannes en robes noires, avec des coiffes, lors d’une procession. Le sol et les arbres sont orange, ostensiblement. La peinture est plate, surchauffée, remplie. Les toiles exposées dans le musée sont des œuvres documentaires, comme des vignettes d’époque.

Bien que l’artiste et son ami Mathurin Meheut, célèbre peintre à qui fut commandé des fresques murales, ne paraissent pas des talents d’envergure mondiale, ils émeuvent car ils sont rattachés à des souvenirs régionaux. Dérivés de la tradition des almanachs, un art illustratif, le dessin, le coloris paysans, se sont développés sans l’enseignement des courants esthétiques dominants ; beaucoup de Français en ont eu des exemples concrets chez leurs grands-parents, sur un mur, sur une étagère, dans les maisons de campagne. Ce détachement participe à la qualité du musée, à l’art de vivre qu’on y découvre, à l’émotion étonnante qu’il suscite, à l’excellence des brochures consacrées aux artistes[1].

     Je découvre le salon et, par surprise, j’entends alors Stéphane Bern, animateur de télévision et auteur d’un ouvrage sur les jardins[2], dire d’une voix fâchée :

« On m’a dit : reste gracieux ! »

Il est sur un tournage. Je fais observer à ma tante :

« Ce salon, c’est une classe en dessous des artistes traités dans Secrets d’Histoire. » J’écris alors une petite carte à Stéphane Bern pour lui parler de cette peintre locale, Yvonne Jean-Haffen. Il me répond si aimablement que j’en suis touchée.

        L’étage de la maison est merveilleux. Il n’est pas possible de tout y voir à cause des parties fermées. La chambre de la peintre est riche en documents disant l’énergie, le temps, la dévotion laborieuse que l’artiste doit à sa peinture, malgré les embarras de la famille à recevoir. La pièce comporte une baie vitrée qui apporte beaucoup de lumière et d’originalité à cette chambre.  

A côté, un petit cabinet de bain, en jaune pâle, avec un sabot.

« Les sabots, c’est encore récent, explique ma tante. Ils étaient très pratiques, on se lavait entièrement dans peu d’espace et de façon agréable. »

La chambre voisine, émouvante, presque nue, accueillit des invités, dont Mathurin Meheut. Cet homme qu’elle adorait a laissé un portrait de « Yvonne Jean-Haffen au travail » : elle peint assise au sol, dans une forêt de bouleaux. Il lui a fait un sourire décidé et très moqueur.

        Sa maison est à la fois grande et petite. Elle n’est ni vraiment bourgeoise, ni aristocrate, ni simplement fonctionnelle. Elle possède un plus à l’âme étonnant, qui fait qu’elle n’appartient plus aux catégories de l’abord. Comme dans un monde poétique, à l’arrière, sous cette douce lumière bleue qui fait l’été, il y a une terrasse où j’imaginai Yvonne Jean-Haffen, les soirs tombants, recevant des amies dames pour causer, boire, se détendre. Tout autour est le jardin de La Grande Vigne, qui l’envoûta. Chemins de terre, dénivelés, sous les arceaux blancs, rectangle vert en pente, couvert d’arbres, j’en parcourus un morceau. Je me dis que c’était l’héritage d’une grande travailleuse, arrivée là au premier âge de sa maturité, armée d’une sensibilité volontaire, déjà faite, développée au grand air, et à chaque toile : l'âme a survécu dans cette maison, laissant le visiteur heureux, aimant et curieux de l'artiste.

J’ai écrit ce récit de promenade avec une sensation d’ivresse, sans rien boire.

Quand nous redescendîmes, la Rance continuait de plaire avec son éclat vert.

                                                        

 


[1] Yvonne Jean-Haffen et Mathurin Meheut, Œuvre à quatre mains, livret d’exposition, musée Y.J-H Dinan, exposition présentée du 2 juin au 30 septembre 2018.

[2] Les Jardins préférés des français, Flammarion, 2014.