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Interview d'une grand-mère chrétienne

Par Le 19/08/2019

INTERVIEW D'UNE GRAND-MERE CHRETIENNE

 

 

 

 

       A l’âge d’onze ans et demi, j’ai posé pêle-mêle des questions à ma grand-mère sur sa religion, et, les gardant précieusement dans ma tête, j’ai pu inventer et reconstituer une interview, d’une façon très journaliste :

       Dieu existe-t-il ? C’est une question que beaucoup de gens se posent. Nous avons demandé l’avis d’une chrétienne, Mme P., 65 ans. Voici les réponses aux questions posées :

« Mme P., pourquoi croyez-vous en Dieu ?

-Parce que je crois aux Evangiles. Ce sont les apôtres de Jésus-Christ qui les ont écrits. Ces manuscrits sont la preuve qu’ils ont rencontré Jésus, et que les faits relatés dans le Nouveau Testament sont vrais.

-Croyez-vous à l’Ancien Testament ?

-J’ai des doutes à ce sujet. Tellement d’évènements fantastiques sont cités dans ce livre ! Certains me semblent toutefois plausibles.

-Faîtes-vous des prières ? Sans indiscrétion, avez-vous demandé à Dieu d’exaucer un vœu ?

-Effectivement, je prie tous les soirs, ou pendant la journée. C’est-à-dire que je reprends les prières des livres de messes. La seule chose que j’ai demandée à Dieu, c’est que la bonne vie que je mène continue.

-Avez-vous, de votre côté, une preuve de l’existence de Dieu ?

-Pas vraiment. Mais je tiens à raconter une histoire que je n’oublierai jamais. J’avais huit ans, et mon père, très croyant, était atteint d’une tuberculose pulmonaire. Je m’étais éloignée de lui pour ne pas attraper la maladie, et je demeurais chez mes cousines, à Paris. Mon père a fait venir ma mère et lui a dit : « Appelle notre fille pour qu’elle rentre de Paris. Je veux la voir avant de mourir. »

Mon père était malade et répétait depuis bien longtemps qu’il mourrait le 11 novembre. « Saint Martin viendra me prendre dans son manteau ce jour-là », disait-il. Je lui ai rendu visite une dernière fois, puis il a demandé à ma mère que je dorme chez la voisine cette nuit-là où il allait mourir.

-Ainsi il est mort le 11 novembre, comme il l’avait prévu ?

-Oui, c’est exact.

-Croyez-vous que Dieu y soit pour quelque chose ?

-Je n’en sais rien. Cependant, Saint Martin est le Patron des soldats (mon père en était un[1]). Selon la religion, il déchirait une partie de son manteau et l’enroulait autour du soldat blessé et démuni pour lui éviter d’avoir froid. Il est arrivé un peu la même chose à mon père, le jour de l’armistice. Dieu appelle ceux qu’il aime.

-Pourtant, dans la Bible, il est dit que celui qui aime et respecte Dieu aura une longue vie. Pourquoi votre père, si croyant, est mort à 36 ans ?

-C’est un mystère. Dieu n’a pas dévoilé tous ses secrets aux hommes. Beaucoup de questions restent sans réponse. Mais il y a, c’est vrai, deux versions de la mort : celui qui aime et respecte Dieu aura une longue vie ; et Dieu appelle ceux qu’il aime.

-Comment expliquez-vous les paroles de Jeanne d’Arc qui prétendait entendre des voix ?

-Sur ce fait, je pense qu’elle s’imaginait des choses. Elle était si croyante que c’était une obsession.

-Avez-vous l’impression que, ces temps-ci, Dieu se manifeste dans le monde des humains ?

-Non. Et il est vrai que les hommes ne respectent pas les paroles de Dieu. Dieu a dit que les hommes se puniraient eux-mêmes.

-Une dernière question : croyez-vous que Dieu est parfait ?

-C’est ce que l’on dit. Mais il me semble que personne, même pas Dieu qui est unique, n’est parfait.

       Tel est le dialogue que nous avons eu avec Mme P. Est-ce que des enquêtes encore plus approfondies peuvent nous donner un indice, une piste pour savoir si Dieu existe ? – Notre avis dans le prochain journal. »                              

                                                                                                      

1990.

 

 


[1] Elle veut dire qu’il a combattu pendant la première guerre mondiale.

VOYAGE EN GRECE, partie II

Par Le 01/08/2019

GRECE

 

 

Athènes, Delphes, un demi-cahier.

 

 

Samedi 27 juillet 2019

 

      J’ai voulu prendre un bain dans la mer Egée. Au terminus du métro, à Pirée, je me suis promenée dans un quartier un peu souillon, coloré par les graffitis, sale et plein de vie, où j’ai pris une glace à la vanille. J’eus peur de m’égarer. Sur huit stations, on découvre ce corps d’Athènes très étendu – cinq millions d’habitants – plein d’immeubles, de tags, de maisons abandonnées, d’usines rouillées, de couleurs et d’arbres, d’arbustes à fleurs, qui donnent leur chaleur exotique à l’ensemble. Il faisait un vent tiède dans lequel le corps se pâme.

Athènes est sale, les peintures ne sont pas finies, les murs ne sont plus rénovés, les immeubles ne sont pas entretenus, certains à la façade délabrée sont complètement vides, on les couvre d’inscriptions, autant de signes de pauvreté. Sauf les ruines et les rues typées du centre, ce n’est pas une très jolie ville.

Sieste. Je suis facilement fatiguée, hier j’ai eu plusieurs sursauts et cauchemars avant de m’endormir.

Chaque soir, dans ma chambre, je regarde la télévision. Il y a beaucoup d’émissions politiques. Et des feuilletons dont l’intrigue se déroule dans des intérieurs de maison. Je n’ai pas vu de documentaire. Les publicités sont rudimentaires, sans technique cinématographique – juste des séries de plans. On se lasse du tout assez vite.

Sauf à Monastiraki, dans de nombreux restaurants et cafés, peu de monde. La nourriture populaire grecque n’est pas très chère, et bonne : un soir je dinai pour 7,50 euros le chiken souvlaki (frites et brochettes de poulet) et 3,50 euros le vaklava, un gâteau plein de sucre frais. Néanmoins, compte tenu des petits salaires, les prix en terrasse restent assez élevés.

Pour les Grecs, il parait que c’est comme de penser : « J’aimerais tant faire du deltaplane ! » et c’est sans arrêt ainsi, j’aimerais tant faire ceci, j’aimerais tant faire cela, et je ne peux pas !

 

 

Dimanche 28 juillet 2019

 

      « Parakalo, orange juice ! »

« S’il vous plait, un jus d’orange ». Je commence ainsi chacune de mes journées. J’achète ma boisson à un guichet désert en face de mon hôtel. Cela coûte deux euros.

A huit heures cette fois, je suis près de la place Syntagma, dans le hall d’un grand hôtel pour le ramassage du car qui me mènera à Delphes. Je suis si enthousiasmée de voir autre chose !

Le trajet dure trois heures. Nous avons quitté la plaine pour nous enfoncer peu à peu dans des montagnes silencieuses ; les premiers champs font pousser du coton de très haute qualité, du tabac, des tomates exceptionnelles – je me souvins du format énorme d’une d’elles que j’avais trouvée dans ma salade grecque.  

La guide s’appelle Effi, c’est une archéologue. Elle est polyglotte. Assez petite, brune, elle a un fort joli visage, le nez un peu rond, des yeux bleus vifs avec des cils marqués, la bouche belle, l’expression claire et vivante. « Mon vrai nom est trop compliqué pour vous », précise-t-elle.

Elle parle d’Hésiode.

Notre groupe fait escale dans un café en pleine nature. C’est bondé de touristes. Je prends place sur une chaise et lâche une banalité digne d’un t-shirt :

« Greece is beautiful ! »

Je suis très profondément heureuse et cette phrase fait sursauter le chauffeur du bus, qui a la crise économique des Grecs, j’imagine, en profonde mémoire. Mais il ne se récrie pas. Nous reprenons la route et il me semble que je vais partir en ballon par la fenêtre tellement je suis heureuse, et exploser dans le ciel.

Nous arrivons au village d’Aracova. C’est couvert de neige en hiver. Lauriers roses et blancs, pins d’hiver et d’été. Cela ressemble à la Provence et sent la même odeur. Il y fait aussi chaud. Les ruines de Delphes ne sont pas loin et nous y montons peu après. Notre guide s’enivre en anglais. Je décroche des explications, me pose contre une pierre et soupire :

« Ce n’est pas possible ! s’exclame Effi en me fixant du regard. Les gens sont superficiels, on ne peut même pas parler de métaphysique, il faut toujours aller voir ailleurs et gambader par-ci, par-là, plutôt que de penser ! »

Elle nous libère et je monte avec un Américain jusqu’au sommet des ruines, le stadium.

« Nous ne sommes pas si superficiels, dis-je à mon compagnon de parcours, à qui je me confie de cet incident. Avant de partir, j’ai lu un peu les lettres classiques. Je verrai après mes connaissances sur Delphes. C’est bien de pouvoir puiser ses références plus tard dans les paysages. »

Il reste huit colonnes d’un édifice. Deux gentils théâtres. Cela a été excavé des roches. Les ravins sont immenses et plongent entre des pics de collines.

 

*

 

      « Tout bacallise » s’exclame en français la guide, après nous avoir laissé roue libre dans deux villages. Elle discute alors de Lauren Bacall avec le chauffeur, et je reconnais dans ses phrases les mots famille, éducation, ghetto. Betty Bacall était une fille belle, pauvre, virée d’un emploi, et qui sauvait les apparences et restait élégante. Doit-on l’imiter ? La question a fait débat dans toutes les conversations et, de fait, jusqu’à mon départ, je n’ai cessé d’entendre « Bacall » dans les lieux publics où je circulais.

 

La misère à Omonia.

 

A un café, un vieux au regard perdu, pétrifiant – j’ai dit : « pauvre vieux ! »

Un homme replié dans la rue, sur un bord de trottoir. Il tient un smartphone et avec son accent prononce rapidement en français :

« Marie-Eléonore Chartier est-ce qu’on est mort ? »

Le soleil fait l’effet du soleil lorsqu’il se découpe sur des fleurs de pissenlit, un soleil vaporeux. Je réponds : « Non » un peu comme une déesse au loin, la voix gambade vers son téléphone, puis je me retourne et je vois qu’il regarde son appareil avec mutisme, sans détourner la tête.

Des hommes jettent leurs saletés dans les poubelles pleines. Quantité de détritus jonchent le sol. Quand je frôle le perron d’un hôtel, une femme assise entre deux hommes me susurre : « Hello » avec une imitation frappante du timbre de Lauren Bacall. C’est la référence haute et populaire de la pauvreté. Cette recherche a ma sympathie.

Sensations de métro, quand je passais des heures entières dans les bas-fonds de Paris, à me fondre dans la foule pauvre et qui avait des yeux intenses. Quand j’étais misérable, dans l’inconscient collectif de tous les pauvres, mêlée à tous les inconscients collectifs. Les sensations de la misère me sont revenues et j’ai aimé – mais je n’étais plus pauvre, je pouvais me faire voler mon sac comme une petite pervenche.

 

 

Lundi 29 juillet 2019

 

      Cette nuit il y a eu du bruit. Les voix de ceux que j’appelle « des internautes » et qui sont plutôt des habitués des réseaux médiatiques, ont fait distinctement leur réapparition. Tout l’hôtel craquait et résonnait. J’ai demandé gentiment à ces voix en présence pourquoi on cherchait à joindre des personnes que j’avais anciennement connues, et qui souhaitait écrire une biographie ? Ils m’ont répondu :

« C’est la Stasi. »

J’étais un peu retournée .

« Quoi, la vraie Stasi ? La suite de celle d’autrefois ? »

Je reconnus les voix de plusieurs célébrités, qui paraissaient déférées ou froides à volonté.

Je pensai à quelque chose et l’on me rapporta que le Président de la République avait été traumatisé par le film montrant Saddam Hussein, le dictateur irakien, avant sa mort, parlant tout seul et délirant face à la caméra. Or, comme on m’avait introduite à la Stasi, je m’imaginai dans la même situation.

« Elle se voit déjà comme Saddam Hussein, commenta une fille.

-Cette scène m’a traumatisé, avoua un homme dont la voix ouvrait des souvenirs.

-Vous n’êtes pas le chef de l’Etat ? demandai-je.

- (Silence…) Si.

-C’est normal alors. Quand il a été filmé avant son exécution, j’étais petite et j’ai été aussi choquée. Ma mère aussi, qui a dit : « Oui… C’est dégradant. »

-Eh bien qu’en penses-tu Emmanuel Macron, cette éducation ça fait de beaux enfants ?... « Pour élever seule ».

Je rigole.

« C’est quand même bizarre d’avoir cet ancêtre, repris-je en revenant à l’Antiquité. Macron a étranglé Tibère, l’a étouffé entre deux matelas. Il a failli m’arriver la même chose quand j’avais dix ans. Un garçon dans la cour de récréation a mis ses mains autour de mon cou et a serré. J’avais très mal, j’étouffais. Il faut absolument s’en sortir car il est impossible de souffrir plus. J’ai dit au garçon : arrête, je t’en supplie ! Il a desserré les mains. Il y a un moment atroce à passer quand on se dirige vers la mort. Pascal Quignard a tort d’y voir de la musique. Il n’y aucun rapport entre cet acte et une mélodie, même dans la pomme d’Adam[1]. »

L’un me raconte une horreur, Emmanuel Macron se met à rire.

En reconstituant certains éléments, il me vint à l’idée que ma petite chatte entendait régulièrement des conversations de la Stasi, qu’elle était embrigadée et qu’elle apprenait des mots de vocabulaire par cet intermédiaire.

« Alors nous, on est par ultra-sons », se plaignit un communiste.

La conversation s’est longtemps poursuivie. J’ai répondu à des remarques et des questions. Ce fut une nuit très agréable.

Je suis à l’aéroport, j’ai absorbé des yeux les derniers paysages grecs. Des lauriers blancs, des oliviers sur la terre orange, les montagnes pelées avec des roches et la base verte, des pins partout, une végétation ample malgré la chaleur.

 

*

 

      « Efaristo » veut dire merci en grec. C’est le mot que j’ai le plus prononcé de tout mon séjour.

 

*

 

      Avant de partir, j’ai visité l’Agora antique.

J’avais lu sur mon guide qu’il y avait des ostraka dans le musée. Ce sont les vases sur lesquels les Grecs appelés à voter écrivaient les noms des personnes que l’assemblée désignait comme étant ostracisées.

Pour sortir du système des oligarques, les Grecs incitaient fortement les pauvres à venir voter en leur remboursant la journée de travail. On arriva à un chiffre nécessaire de six-mille votants, le quorum. Dès -450, le mystos (le monde du salariat), se mit en place pour consolider l’assemblée populaire. Il y avait une indemnité de participation. Quant aux lois d’ostracisme, qui frappaient des citoyens grecs, elles furent importantes en -496, -488… L’homme d’Etat Aristide en souffrit en -482, le père de la démocratie athénienne, Périclès, en pâtit également.

Je songeais que j’avais souffert de plusieurs vagues d’ostracisme dans ma vie parisienne et que cela avait dû venir de réseaux sociaux. Des inconnus me désignaient sous des noms d’actrices, comme Gene Tierney ou Vivien Leigh, et convenaient qu’il fallait tout me refuser, car j’étais « pourrie gâtée » ou m’expédier une insulte par rencontre. Une journaliste se vanta devant moi de ne pas m’avoir interrogée et d’avoir préféré une mère de famille apprêtée.

Au musée, les vases n’étaient pas mis en valeur. Ils étaient entassés comme de simples poteries dont on ferait usage un jour, dans des armoires pleines. Je me dis que finiraient ainsi les souvenirs sur terre de ceux qui ostracisaient, en données entassées.

Le jardin de l’Agora est assez grand et vraiment beau, avec ses pierres jetées à terre, une charmante petite église byzantine et le temple presque entier d’Héphaïstos, le dieu des forges. J’ai éprouvé plaisir à me promener, de la hâte aussi.

L’avion vient de quitter la Grèce en faisant jaillir des larmes sur mon visage.

 

 

                                                                                               Fin.

 

 


[1] Pascal Quignard, La Leçon de musique, 1987, Folio, p.75-77.

VOYAGE EN GRECE, partie I

Par Le 31/07/2019

GRECE

 

 

 

Athènes, Delphes, un demi-cahier.

 

 

 

Jeudi 25 juillet 2019

      « Kalimera », en grec, signifie « bonjour ». En France, « Calimero » est un poussin noir qui sort d’un œuf brisé en geignant : « C’est trop injuste ! » C’est pour aller voir le « c’est trop injuste » de ce pays rudement frappé par l’austérité, la crise économique, disons la pauvreté, que j’ai choisi de ne pas l’éviter et de m’y rendre en avion. Quant aux compreneurs de la Grèce – pour moi surdoués – que sont les philosophes et les lecteurs de lettres classiques, je compte bien les imiter un jour.

Que donne la pauvreté dans une société, non pas du Tiers Monde, mais sur une terre de culture, européenne de surcroit ? Peut-être me souvenir de moi, me comprendre et penser à ce que le dogmatisme français a interdit comme largeur de compréhension.

Quel est le niveau des prix ? La pauvreté se ressent-elle ? Mieux vaut une grande ville pour avoir des éléments – Athènes est cette ville. Bien qu’on m’ait dit qu’en Grèce ne valaient que les Iles.

 

*

 

      L’avion vole au-dessus de l’Albanie. Tous les cours d’eau semblent asséchés. Si ça se trouve, il s’agit de chemins. Un très beau littoral avec des bleus turquoises, des dégradés. Un jeune homme quelques sièges devant fait un énorme rot.

« Le taré ! s’énerve une jeune fille.

-J’ai juste voulu être super…, corrige le jeune homme. Je ris. « Le pauvre type », précise-t-il. Il rit.

 

*

 

      Sur le quai du métro de l’aéroport, un vent tiède, fort et parfumé. Délicieux. Est-ce cela, le zéphyr ?

 

*

 

      Je suis descendue à la station Omonia. C’est presque un pays du Tiers Monde que j’ai découvert. Il y a des rues pleines de petits comme au Brésil, avec des façades noires, des bâtiments vidés, des déchets sur le sol en quantité, plein de graffitis. Rien ne résiste à ce geste incivil du graffiti y compris sur les façades repeintes, belles et propres.

Je devais, à l’origine, dormir à l’hôtel Ikaros, rue Satovrianidou, avec toilettes et salle de bains en partie commune (110 euros les quatre nuits).

« Je ne peux pas encaisser de carte bancaire, me dit l’homme au guichet. Chèque non plus. Je vais vous emmener à l’hôtel à côté où vous aurez le même prix à payer avec une salle de bain comprise, with bathroom inside

-Okay. »

La pièce au guichet était sombre. Nous montons deux rues.

Rue Akominatou, l’homme m’accueille en nouvelle résidence. Le hall de cet hôtel est sombre aussi.

« Spera !, dis-je au personnel, ce qui signifie : bonsoir, en grec.

-Spera ! » répond le patron, un monsieur bien mûr.

Il finit par comprendre que je suis étrangère et se met à l’anglais.

« Nous pouvons vous encaisser ici car nous dirigeons quatre hôtels. Nous souhaitons vous faire plaisir parce que vous êtes une femme. »

Je prends un vieil ascenseur, sans glace, jusqu’au quatrième étage. Ma chambre est assez nue. Une toute petite pièce intermédiaire contenant une armoire et qui débouche sur une salle de bain – douche par le sol directement, avec un rond d’évacuation au centre de la pièce, entre les W.C. et l’évier. S’y baigner est bon comme en Provence, assise à terre.

J’ai la télévision à plat sur le mur de ma chambre, et une glace carrée, au-dessus de la commode qui est à côté du lit.

Des serviettes de bain. Un drap blanc fin, un lit large de deux places avec des contours en ferraille.

Des volets en bois bleu et des rideaux bleus qui se baladent sur la tringle à mi-chemin. De nombreuses lampes, une table de nuit et encore un petit meuble et une chaise pour poser, disposer ses affaires. Je pourrais y tailler des crayons.

 

*

 

      Au centre d’Athènes, les ruines et petites églises, jetées au milieu de la cohue urbaine, semblent à peine résister au monde ; ce sont tant des charmes que des surprises presque de mauvais goût, tant ces petits monuments épars, souvent cernés de grilles, sont livrés à la malpropreté et confondus à la foule. Les ruines sont protégées tout de même et jolies du côté de Monastiraki. Il y a depuis cette place des rues commerçantes luisantes – ou dorées.

J’ai marché trois heures, pour un soir d’arrivée ce n’est pas trop mal, je vais m’arrêter là.

La foule n’est pas extraordinaire.

 

Vendredi 26 juillet 2019

      J’ai fait un dessin.

Devant le tombeau du soldat inconnu se tiennent deux jeunes gardes profondément silencieux. D’un mouvement, un homme en uniforme leur intime d’entamer le cérémonial.

Ce rituel de la garde – deux hommes de côté puis face à face – avec levées de jambe, levées de fusil, suscite de la pitié pour ce pauvre soldat inconnu – son corps légèrement convulsé est représenté dans la pierre, sur le mur à l’arrière des soldats.

Chaque soldat porte un béret rouge d’où pend un ruban de mèches noires. Le haut et la jupe, d’un même vêtement, sont beiges, coupés par une ceinture noire. Sous la jupe, d’épais collants blancs, avec une lanière noire aux genoux. Les chaussures sont rouges et noires avec de gros pompons noirs. On dit qu’il y a un canif dedans.

Je tiens cette information d’une jeune guide touristique française, insensible au pathétique du spectacle, mais présente à son ridicule, insistant aussi sur le mérite des soldats et les compliments qu’il convient de leur faire, histoire de paraître objective – on connait ce refrain, cette lune hexagonale sur les gestes risibles et le caractère « courageux » de ceux qui travaillent.

Les Grecs m’ont l’air retenus, calmes, peut-être tristes en prenant le métro. Il n’y a pas chez les Athéniens d’extravagance propre aux peuples ensoleillés. Ce sont des gens hospitaliers qui sourient doucement, mais qui portent un cœur lourd dans les transports.

Peut-être quelque chose de simple chez les Grecs, en même temps que petit (petite taille, petit rythme, petites forces…) Ils sont propres et bien vêtus. Les gens sauvent les apparences.

 

*

 

      Après la tombe du soldat inconnu, j’ai vu le fameux musée Benaki. Il n’était pas tout à fait dix heures – heure de l’ouverture, quand j’arrivai.

J’y ai surtout regardé les costumes et les vases. J’ai éprouvé un étrange quelque chose en commençant à songer que de tels vases, du fait de leur datation, avaient pu être vus par Eschyle. C’était comme une petite lueur blanche dans le regard.

J’ai également découvert les créations de l’art classique, cette période du Vème au IVème siècle avant J.C, présentée comme le sommet de l’art et de la démocratie athéniens. C’est effectivement la période où l’on voit les visages, très nombreux, fins et d’une grande beauté sur les vases – les corps et figures sont en orange.

Puis je suis allée me promener dans le Jardin National. C’était superbe. Il y avait cette lumière-là éclatant en perles et en tâches à travers les arbres faisant de grands bras, de grands ventres au-dessus des chemins charmants. C’est couvert de branches et un des plus beaux endroits d’Athènes.  

 

*

 

      Grâce à l’autorisation aimable qui m’a été accordée, je suis entrée au Musée des Arts enfantins grecs. Celui-ci n’a rien à voir avec ce qu’indiquait mon plan. Il s’agit d’une petite garderie pour enfants. Un bureau pour les monitrices, une pièce où les enfants dessinent et deux petites salles d’exposition. L’éducation à la différence, à la tolérance, au non-racisme, fait partie de la charte de ce centre culturel pour bambins. Dans les dessins on peut voir des illustrations assez nombreuses sur le thème : « se moquer de », « faire pleurer », mais surtout de nombreuses histoires fantastiques et quelques portraits.

Dehors c’était le quartier Plaka. Jolies rues typiques et riches. Colorées. Me suis glissée entre les splendides maisons blanches qui montent, « many stairs » a dit une touriste, vers l’Acropole, comme l’indiquent des panneaux en bois dans les arbustes. Un joli point de vue sur une ville déconcertante d’immensité – une croûte blanche depuis l’avion -, très étendue, dont les matériaux de loin font penser à Jérusalem, bien à tort, et d’où on entend le roulement de la mer.

 

*

 

      Enfin au temple de Zeus. Il y a de l’herbe sèche autour, quelques arbres. Ces colonnes en partie ruinées, et la porte d’Hadrien, me font toutes pousser des exclamations d’affection.

 

Samedi 27 juillet 2019

      Ce fut très beau. Je ne m’attendais pas à autant de beauté pâle et rose, à dix ou onze heures du matin, sous un soleil qui écrase à peine, fait perdre les yeux comme à Homère et promène au son familier des grillons. En bas, des pins. Plus haut, des sentiers parallèles à l’Acropole. Là apparaissent un petit théâtre, l’Odéon d’Hérode Atticus qui est beaucoup plus grand et déjà refait. Les bancs en pierre sont lisses. Des choses recouvertes de papier noir sont disposées sur la scène. Une indication au dos, sur le mur : Camelias camelias.

-« Les Romains méprisaient ce lieu d’une façon dont on n’a pas idée, commente un monsieur, c’étaient des propos du style : c’est là où on va faire la queue. Il a fallu trois mille ans ».

La montée n’est pas si compliquée. Le Parthénon m’a attendrie. Il me semble que ses colonnes sont toujours photographiées de façon à être agrandies. Il est un peu plus petit, court des jambes, court des colonnes, crème, toujours plein d’échafaudages, un vrai bébé malade. Peint, il devait un peu ressembler à un centurion romain. Il m’a beaucoup plu. C’est un monument adolescent.

En face, sur l’ancien temple de la déesse Athéna subsistent quatre statues, d’où l’attractivité du spectacle.

C’est un des plus jolis endroits du monde que cet Acropole.

La vue sur Athènes et la mer est merveilleuse.

 

*

 

      Ensuite je suis allée au Musée de l’Acropole. Où donc Cyril Lafon, mon ami de jeunesse, devenu cinéaste, avec Grèce : les braises de la révolte et Nostos, a-t-il été prendre ses vérités selon lesquelles les femmes grecques se faisaient teindre les cheveux en bleu ? Je l’ai crue et il m’a laissée : c’est peut-être ce qu’il ne fallait pas faire, ne rien y connaître. Ces femmes ont toutes les cheveux roux, rouges. Telle est la peinture dont on a trouvé trace sur des sculptures ; une reconstitution les rend fort jolies. Un petit ours en pierre, au museau coupé, m’a attendrie aussi. On s’imagine que l’art grec évoque la divinité, qu’il est séparé de l’humain ou presque, qu’il couve le sacré, moi il m’attendrit sans arrêt. Et si ce qu’on ressent devant c’étaient de rares qualités d’humanité et rien d’autre ?

 

*

 

      Ensuite, achat du Discours sur l’Acropole de Renan, illustré sur un joli papier. Je rentre et finis de le lire dans un café de la place Omonia, le Venedi. C’est un superbe café. En bas, on y vend des gâteaux peu chers – en très grand choix sous les vitres – en haut, il y a des tables. Une plaque indique 1920. C’était un café fameux d’intellectuels ; il a été fermé par la crise économique. On en a conservé le cadre, m’a dit un serveur, les ornements au plafond, les glaces… La musique d’ambiance est très belle, une fois du xylophone, et porte l’âme. Les jeunes serveurs sont cependant bien ignorants de cette histoire. Je suis la seule à lire à table et dans les transports.

A la sortie de l’Acropole, un vieil homme se manifestait, avec une banderole montrant des dessins, des schémas du cerveau malade ; il criait qu’il avait un cancer du cerveau. Choquée et dégoûtée, je fus soudain émue par l’ampleur de sa solitude et revins en arrière. Je lui ai donné cinq euros. J’ai bien fait de m’approcher : il avait de beaux yeux. Une barbe grise protubérante, un caractère ouvert, affectif et extravagant, le faisaient bien ressembler à un philosophe. Il me donna en effet un papier sur lequel étaient écrits des liens internet vers des citations philosophiques en moult langues. Il m’indiqua avec joie le Musée de l’Acropole.

 

                                                                                                                                                                (à suivre)

LES CARNETS POETIQUES

Par Le 23/03/2019

LES CARNETS POETIQUES

 

 

 

 

 

Pierre Chartier était mon père. Il est né à Beaune en 1953. Il faisait des tournées dans un groupe où il était guitariste et interprète. Il s’est suicidé en Bretagne en 1981.

Il avait appris le grec et, outre un vocabulaire très développé, on ressent chez lui l’influence des lectures de Rimbaud, du Mexique d’Antonin Artaud, de Breton, du bouddhisme, des auteurs américains et des poètes japonais.

Il tenait à devenir un auteur célèbre. Il faisait imprimer ses poèmes sur des cahiers reliés. Ces derniers ont été écrits entre vingt-et-un et vingt-trois ans. Néanmoins, pour les sauver et les proposer à la lecture, il m’a fallu les mettre en extraits.

 

 

 

PETIT ROMAN ESPAGNOL

 

Les joncs du bord de l’étang

De tes yeux ;

Flotte une brume

La petite demoiselle

Va pêcher les citrons de la lune

 

Les grands oiseaux paisibles

Initiés

Au souvenir de la buée, du corail

L’adolescent sourire

De la nuit brune et des semailles (…)

 

 

BALLADE LAIDE

 

Dans un cimetière de Lotharingie

Il y avait un homme qui rêvait la nuit

Et la lune-lèpre sur sa tête blonde

Coulait en pleurant les yeux des colombes

 

Si tous les crétins avaient des fesses

On ne saurait plus où s’assoir

 

L’ombre du laurier frémit dans le soir

Les vents en cadence méditent l’espoir

Dans la fleur qui saigne au long des jours soyeux

Se prépare un soleil pour l’amour de tes yeux

 

Si tous les gars du monde étaient manchots

Les pingouins se donneraient la main.

 

 

VOYAGE

            (extraits)

 

J’avais d’abord marché vers l’Est

Car de l’Est vient tout ce qui est sage.

 

Ils m’apportèrent des colliers de sélénites

Et sur mon front flottèrent la myrrhe et le cinname.

Le second jour vinrent à moi les nobles

Aux robes de soie pourpres brodées de béryls.

 

L’odeur de la fumée était semblable

A celle de l’amande rose au printemps.

 

Et tout cela était beau

Et pourtant n’était rien

Car moi qui voyais danser des polichinelles dans les juqueboîtes

Qui écoutais dans mon théâtre intérieur

Des monologues de l’orient antique

 

            Je reviens…

 

Je reviens dans un petit train paranoïaque

Et inspirateur des bluesmen du Sud

 

Je suis un employé du métro ;

Et je rêve…

C’est ma parole entravée

C’est mon cœur défoncé

C’est mon âme trafiquée

Et le cri des oiseaux qui s’effeuille

 

C’est un cortège de vies, des bulles étonnées

C’est un chemin tranquille qui ne mène à rien

C’est un nuage qui passe sur la lande

C’est parce que etc… la révolte.

 

            Et toi, être de beauté, au regard de pivoine

La Dame à la Licorne, la Nouvelle Hérodiade

Mon sérum de vérité

Tu sais que par l’aube oubliée mon corps est transparent

Où étais-tu quand j’avais besoin de toi ?

 

Nos sœurs au carrefour tendront leurs bras de lait ;

(Tu vois bien, tout s’en va comme vent dans les blés)

Et tes yeux sont paisibles

Et tes lèvres naïves

Viens nous suivre au pays

Des enfants aux corps purs

Et aux âmes tangibles

Dans l’herbe tendre une fille s’éveille

D’un baiser d’arc-en-ciel sur son front d’opaline ;

Et son sourire est un abricot.

            Avec elle mourra la sagesse

                        Où étais-tu quand j’avais besoin de toi ?

 

*

 

Un cygne sur le lac

            Où repose

Un grand sommeil.

            Lotus.

 

*

 

PIERROT’S BLUES

 

Un et deux

Le serpent n’a pas de queue

Et il monte

Il fait fleurir les lotus

Il fait craquer les membres

La croix est sanglante

Maha-Sukha

Pwêt pwêt

Le serpent monte. (…)

 

Comme tu as besoin d’être aimé !

A travers l’encens ou n’importe quoi

Et pendant ce temps

On t’a classifié

Gommé

Trahi sans haine

Et tes yeux brillent.

Qui cherche qui

Fait le trottoir

Une fois de plus

Qui est-ce qui a quelque chose à perdre.

 

 

TROIS HAIKUS

 

Un chant clair dans la forêt d’ardoise :

Les flaques, où tremblent les bruyères.

 

                                 *

 

Les anémones fanées dans le pot de terre ?

Combien d’étoiles qui pleurent à la fenêtre.

 

                                 *

 

Les brindilles givrées

Le long du chemin

Bijoux princiers

Elles fondent dans ma main.

 

 

TEMPOREL

(…)

Un prophète aux yeux sans fond vint chanter des

Odes mystiques et barbares et rasséréner le

Concept de folie.

Le ciel était surréel et dans les forêts celtiques

Ou slaves, les peuples hagards imploraient encore

De froides étoiles.

Un joueur de luth fut trouvé mort dans le jardin andalou

La fumée des sacrifices déserta les autels

Les sens étaient calcinés.

Le voyage était inexorable…

                        Mais cependant au matin, les notes

Du piano s’égrenèrent sur les marguerites d’un

Pré très héraldique, et dans la rosée brumeuse et

Tremblante, on entendit au loin tinter les grelots

Des petits nains rouges ;

On comprit alors que l’amour-phœnix avait connu

Sa renaissance.

 

                        Et l’on retourna le sablier.

 

 

CHANSON

 

Dans le manoir

Il y a longtemps que je t’aime

Il y a des gouttes de brume

Des cartes postales sur le mur blanc

Un tambour anachronique

Des rêves synthétiques

Un grand cirque qui vous attend.

 

Dans le manoir

Jamais je ne t’oublierai

Jamais le temps ne passe

On démolit l’espace

Applaudissez-les

Sur le fil du néant

Les ambulances ricanent en saignant

 

Dans le manoir

Il y a longtemps que je t’aime

Il y a des plages brunes

Un écureuil de septembre

Un « exprès pour t’embêter »

Une raison d’espérer

Un pantin désarticulé.

 

*

 

à Patrick

 

Un chemin de douce menthe                  

            S’est égaré à ton front

Vigne amère

Pâles balbutiements

Ame multicolore percée d’aiguilles vives

            Reflet silencieux d’une étoile nue.

 

 

OMBRES ET CORDES (fin)

 

C’est lui le vieil homme qui consent au malheur

Il nous regarde au fond des yeux

Sur le pas de sa porte

 

Il a besoin de tendresse

Il mourra devant sa télé

Il est comme nous

Comme nous.

 

 

 

 

Pierre Chartier, 1974-1976.

"LA VERITE NUE SUR LE BREXIT"

Par Le 24/02/2019

« LA VERITE NUE SUR LE BREXIT »

 

 

 

 

 

 

Victoria Bateman possède un corps magnifique. Née en 1979, dans une famille de Manchester qui fabrique du coton depuis des générations, elle est surtout économiste.

Dans une conférence filmée d’une trentaine de minutes, tournée à Cambridge, Victoria Bateman résume sa pensée. Elle se déshabille rapidement. Le striptease, harmonieux, doux, dure deux minutes. Ensuite elle est nue. Et elle parle. Elle bouge un peu – part de profil, revient, fait plutôt du sur-place, comme pour montrer que sa liberté de mouvement se situe dans un champ réduit.

Pourquoi se déshabille-t-elle ? « Le temps est compté pour les habits que je porte ». A peine marquée par l’âge – les lignes d’affaissement, sur son corps, sont rares, mais elle est à l’âge où on les repousse – la mobilité du visage, le talent, la légère pente des seins, tout cet effort vital la préserve, rayonnante.  « Ce qui arrivera demain, accord ou pas accord, le Brexit passera sur mon corps. »

Ce qui l’attend si la famine gagne l’Angleterre, peut-on imaginer, c’est un corps qui a faim[1].

Le Brexit a le contrôle de sa vie et lui impose moins de liberté – c’est sa thèse ; aussi a-t-elle fait écrire sur son corps : « Brexit / Leaves / Britain/ Naked. » Une faillite économique génère un climat liberticide. Cette réalité quotidienne, elle la refuse sur scène.

Elle parle en jouant des mains. Pareille attitude la rend démonstrative et un peu vulnérable. Elle serre les poings avec douceur, assure une prise douce sur le public. Elle reste une enseignante, une conférencière, et pour la première fois à ma connaissance, cela fonctionne.

Le public de Victoria Bateman est cloué. Elle a rendu inutile les formules comme : « Elle n’est pas qu’un corps, elle est aussi intelligente » et toutes ces phrases du féminisme habituel.

Les gens aiment la regarder, elle suscite la curiosité, puis un respect étonnant. Ses jambes rappellent celles d’un film perdu de 1926, American Venus. La taille fine et découpée, les hanches bosselées, d’une forme très sensuelle, les épaules douces, la peau délicieusement rose, la toison pubienne intacte, elle résume ce que son travail d’économiste l’a menée à conclure sur le Brexit.

Le Brexit est mauvais pour l’économie de la Grande-Bretagne. Elle dit en substance qu’il réduit la liberté de circulation, une des libertés fondamentales de l’économie de marché.

« En tant que féministe, dit-elle, je suis passionnée par la liberté. »

Elle insiste sur le fait qu’une population puisse être constituée de gens en bonne santé, et créatifs. Ecouter ses arguments permet de comprendre le niveau réel, les pensées et les hésitations, le désarroi réel, le climat réel de l’Angleterre à laquelle elle s’adresse.

Dr. Victoria Bateman cite la technologie et la science comme des moteurs de prospérité économique. Ils permettent d’avoir une vie plus longue et de mener une vie plus productive. Les partenariats internationaux ont part au développement des sciences. Cependant, la prospérité économique, ce n’est pas que la recherche scientifique – ou la technologie : il y a l’immigration. Les immigrés ont un niveau d’éducation plus élevé que la moyenne. Ils apportent une contribution plus élevée aux « taxes », participent d’avantage aux services publics du pays. Où est l’histoire positive de l’immigration ? Avec le Brexit, elle n’a plus d’utilité, car il n’y a plus d’immigration.

Ma liberté de mouvement, précise-t-elle, a joué un rôle essentiel dans le fait que je puisse avoir des opportunités en termes d’éducation et de travail. Si je ne peux pas sortir des frontières, ni le talent, ni l’expérience, ne servent dans le pays où je suis née, car je suis incapable de tirer parti des avantages et des opportunités qu’il offre ; il me reste à exister pour construire ce pays, sans plus.

Elle donne des exemples très simples : « : les consommateurs vont exporter les produits à travers l’Europe. » Le problème n’est pas l’Europe, selon elle, qui est une hightly successfull area (« une surface de haute réussite. ») « Si l’économie est faible, il n’y a pas d’affaires, et nous ne pouvons rencontrer des personnes dans le monde. »

« Si je mets de l’argent de côté (save money) je peux acheter un billet, je peux prendre ce billet pour partir. Je peux acheter plus de livres. »

Elle reconnaît qu’économiser se fait dans un climat difficile : « Les gens qui gagnent plus d’argent sont suspects. »

« Il y a une révolte des classes laborieuses. » Celles-ci sont décontenancées par le capitalisme. Et le Brexit est un combat contre le capitalisme. Ce combat est opposé à une issue économique. Dès lors, quelle issue peut-il y avoir ?

La jeune femme possède un charme extraordinaire. Des traits classiques, une harmonie charnelle, une santé intellectuelle qui constituent une bravade, une exception dans le paysage médiatique et esthétique anglo-saxons.

Ses apparitions sur scène, sa voix un peu aigue, aux consonnes précises, font immédiatement songer à l’admiration que suscitent des femmes célèbres du vingtième siècle, quand celles-ci étaient inventrices, innovatrices, séductrices aussi[2], et provoquaient le remous, les mouvements de foule, ce que l’on appelle le scandale mais qui emplissait les salles comme du jazz.

D’ailleurs elle a un corps de la Belle Epoque et les années vingt sont venues après.

« Quoiqu’il arrive demain, aucune justice ne mettra fin au Brexit. »

 

 

 

 

 

 


[1] Selon Philip Aston, rapporteur de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme, la sortie du Royaume-Uni de l’Europe augmentera la pauvreté des Britanniques. (source internet).

[2] Florence Montreynaud, Le XXème siècle des femmes, Nathan, 1995.

UN BEAU-PERE SOUS UN TOIT

Par Le 13/02/2019

UN BEAU-PERE SOUS UN TOIT

 

 

 

 

 

        Je me souviens du jour où j'ai rencontré Alain B. C'était dans un petit village de Saône-et-Loire, les Varennes. La scène se déroule dans une vieille maison. Le soleil mordait la terasse en haut des escaliers de pierre. (Quelques années auparavant, mon père m'y avait donné le biberon, ce dont témoigne une photographie).

Alain B. était assis à côté de moi, sur un long banc de bois. Les coudes sans doute posés sur la table, il souriait. Il avait un grand sourire allongé. Il écoutait la conversation et y semblait immergé. Je levais les yeux vers lui et me disais, en mon for enfantin :

"Qu'il est beau ! Qu'il a l'air sympathique !"

Il y a peu, j'ai revu ce visage à Alain B. Plus de trente ans ont passé, mais il n'a pas tellement changé. En regardant le fils de mon cousin, je lui ai vu le même sourire, le même attrait, la même sympathie. Dès qu'un môme joue, il s'approche de lui et lui tend le jouet. Alain B. est un être disponible aux sourires des petits, aux amusements, aux défis, c'est pourquoi il leur plait et devient un copain de jeux.

Ma mère a eu une liaison amoureuse durable avec lui, et j'ai passé plusieurs vacances avec lui. Quand j'ai eu six ans, il m'a appris à nager sans couler. Je ne me souviens pas ensuite qu'il m'ait appris telle ou telle chose, mais nous avons partagé d'assez bons moments ensemble. Enfant, il m'a amusée grâce à des anecdotes de sa vie, menée à Lyon, dans un petit appartement célibataire, presque vide, dans lequel il gobait des oeufs crus. Il avait, aussi, cuisiné une tête de renard. A dix-sept ans, il avait perdu une de ses amies de classe, enlevée par une méningite. Il y avait quelques histoires comme cela, qui sentaient l'original.

Alain B. n'a jamais voulu donner la vie. "Je n'ai jamais voulu sortir du ventre de ma mère, a-t-il dit. J'avais déjà des rides sur le front en sortant car je voulais retourner dans le ventre. Vivement que je sois entre quatre planches."

"Ces enfants à la PMA, ce sera une suite d'abonnements au chocolat", a-t-il dit. Sur les lacunes d'une vie sans père, il a déjà le bagage possible.

Son père et une de ses soeurs ont fait les Beaux-Arts. Je me souviens de sculptures rocailleuses, épaisses, pierrales, dans un ou deux greniers de Saône-et-Loire. Il vit au-milieu des peintures, des toiles, des projets, des bricoles. Il a peint Don Quichotte sur le mur de l'escalier qui mène à la cave. Sa famille a toujours été gentille avec moi, mais je m'y suis toujours sentie assez mal-à-l'aise, sans jamais pouvoir en témoigner.

J'avais dix ans, nous nous promenions dans un grand magasin, Alain B. m'a offert un cadeau, une figurine de combattant d'un dessin animé japonais, lui qui détestait ce genre. Oh ! Cet acte désintéressé m'a vraiment réjouie.

Il ne s'est jamais occupé de mon travail scolaire, de mes lectures, de mes apprentissages, il n'était pas trop au courant de mon monde d'amis, il se trompait parfois sur mon âge. Il n'y a jamais eu d'amour, de petits gestes, de câlins entre nous et une fois seulement, j'ai voulu faire semblant de l'appeler "papa", pour voir ce que ce mot faisait. Je me suis jetée sur lui et j'ai dit : "Papa !" Il a paru surpris, le visage illuminé. J'ai ensuite éprouvé de la gêne, des remords, une honte... Ce genre de proximité avec un homme m'évoquait des queues qui se lèvent. C'est sans doute à des choses comme cela qu'on sent que ce n'est pas le père.

 

J'avais dix ans, ma mère a atteint un salaire mensuel de dix-mille francs. Je me disais qu'on allait passer chez les riches. J'étais fière d'elle.

Un an plus tard, elle a acheté une maison. J'ai eu le coeur crevé de devoir quitter mon appartement d'enfance.

Un an passa encore, et Alain B. déménagea chez nous. Il me semble avoir accueilli cette nouvelle avec une indifférence positive. En vérité, les relations qui se développèrent entre une enfant de douze, treize ans, et celui que je me mis à appeler "mon beau-père", furent catastrophiques. Il se montra dur et je me souviens avoir passé des mois dans mon lit, le soir, en pleurant et en imaginant des conversations meilleures avec lui. Je me mis à écrire des dossiers de synthèses et de recherches sur des sujets enfantins, pour remplacer un de ces interlocuteurs que je n'avais pas, puisque les vrais me rejetaient. Les gens de mon entourage proche, le voyant charmant et en sourires, comme je l'avais vu moi-même à l'âge de cinq ans, ne soupçonnaient pas le moins du monde à quel point il pouvait être difficile à vivre quand la maison fermait ses portes.

 

En première, j'eus une camarade de classe, Mlle M. Son père était mort, elle avait dix ans.

"Je l'adorais, il était l'homme de ma vie, me raconta-t-elle. Il s'est irrité un grain de beauté. Il est mort d'un cancer."

Au lycée, l'angoisse, la peur, la solitude mangeaient mon espace comme un placenta. Sentimentalement, je recherchais les hommes vieux. C'était une suite de trains bleus qui foutaient le camp. Cela stupéfia Alain B. Il était convaincu d'être l'homme idéal, qu'allais-je voir ailleurs ? Il était d'une dureté sidérante.

La mère de Mlle M., s'était remariée avec un homme qui travaillait aux éditions Verdier. La jeune fille, en mauvais termes avec lui, l'évoquait chaque jour d'un air narquois et distant : "Avec mon beau-père... mon cher beau-père... ce cher monsieur... toujours aussi agréable." En parler avec elle a dû me faire du bien.

 

Elle est bien jolie, cette maison d'adolescence, à Talant ; j'y suis heureuse enfin. Le dimanche après-midi, sur une table de la terrasse, mes yeux se jètent dans le Lac Kir, bordé de plages et d'un lacet gris. Je vois le petit New-York d'en face, la série d'immeubles blancs de Fontaine-d'Ouche. Chaque année, les feux d'artifices éclatent dans le ciel. Un plateau vert s'étend à droite. Le soleil vient border la table où je lis le recueil d'une poétesse américaine, où je travaille ma dissertation. Un voisin circule, une voisine passe, je dis bonjour. C'est un pâté de maisons collectives, il n'y a quasiment pas de grillages. D'une nature routinière, je vis des doux moments de lectures et de connaissances.

 

Il n'y a jamais eu de discussions entre Alain B. et moi. Bien qu'il soit doué du sens de l'humour, être en élocution devant lui m'est toujours difficile et demande une importante doigtée. C'est une habitude, pour nous, d'avoir été côte à côte dans la même maison, sans savoir quels étaient au juste nos liens. Il semble m'avoir très longtemps regardée de haut. A trente-neuf ans, je sens toujours chez lui un grand plaisir à m'infantiliser et à hausser la voix. Quelques épisodes sont allés trop loin.

On m'a donc demandé d'écrire sur mon beau-père, mais il n'y a rien à dire sur Alain B. Ecrire une histoire demande un peu de bonheur. L'écriture exutoire, comminatoire, relève de la chambre psychanalytique. Une proximité gênante, pesante, le sentiment de passer près d'un couvercle de cocotte-minute, quand il hante la même cuisine, un ton inadéquat de lui à moi, le fait de préférer une relation superficielle, et de ne rien oser demander, telles sont les dernières conclusions que je peux tirer à la règle, sur une histoire toute en douleurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie :

 

Christine Angot, Un amour impossible, roman, Flammarion, 2015.

Michèle Gazier, Le Nom du père, dessins de Juliette Lemontey, les éditions du Chemin de Fer, 2018.

Christiane Olivier, Les Fils d'Oreste ou la question du père, Flammarion, 1994.

REZA SARRAFI, LE PEINTRE DONT LES TOILES SE MANGENT

Par Le 05/02/2019

LE PEINTRE DONT LES TOILES SE MANGENT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est une jolie ville. Cabourg est faite de larges avenues, c’est un quadrillage résidentiel avec des villas aussi hautes et diverses de forme que des palais chinois, mais les poutres brunes verticales, extérieures, sont normandes ; les jardins se touchent ; les maisons demeurent variées, les quartiers se ressemblent – allées jolies, mais larges, mais plates, avec, sur chaque côté, une rangée d’arbres. Très verts (le vert normand). Il y a une richesse et une propreté qui font que la balade est pleine de charme.

Au centre culturel, rencontre avec le peintre Reza Sarrafi. Il peint depuis vingt-cinq ans, et possède un tel métier qu’il dit :

          « Oui, j’ai une photographie, mais je finis par ne plus m’en servir. Je n’en ai presque plus besoin, tellement j’ai l’habitude et… de la mémoire. Une mémoire prodigieuse. Un cerveau doit être très développé. »

              Il n’est pas vantard, il aime absolument et franchement ce qu’il fait. Il a fini par acquérir un appartement à cinq pièces et la pièce où il peint, de 14 à 15 mètres carrés, il y accroche ses dernières œuvres – puis il les regarde, les contemple :

              « Je suis mon premier fan ! »

            Les gens aiment ses œufs, ses fruits, ses gâteaux, ses bonbons, ses boissons et fromages, natures mortes succulentes qui semblent vivantes, plaisir visuel et gourmand ; et quelques compositions statiques sur le thème de la musique.

              « Ça vous obsède la musique ?

              -J’aurais adoré faire du piano. Le violon… Je trouve l’instrument très beau. »

             Il est moyennement grand, mince et avec des lèvres épaisses, le teint bronzé, les cheveux bruns plutôt ras. Il portait, en ce jour d’août, un pantalon gris, un pull bleu. Il a des lunettes.

              « Je suis myope ».

Reza Sarrafi explique que cette maladie de l’œil lui a permis, si l’on peut dire, de s’appliquer, de réaliser un travail d’une extrême finesse et précision. Quand il a fini, les couches d’huile une fois sèches – une grande nature morte représente, à titre d’exemple, deux semaines et demi de travail, à raison de quatre à cinq heures par jours – il laisse un peu le tableau, l’observe, puis signe en apposant une coccinelle.

Il a décidé de cette signature à coccinelle, minutieuse, car, auparavant – il avait une signature « grossière ».

Passionné par son travail, l’artiste a énormément vendu et précise :

« J’ai fait (ou vendu ?) quatre-mille sept cents tableaux. Mon but est d’en peindre huit-mille, comme Picasso. Après je m’arrête. »

 

Reza Sarrafi possède des toiles dans les tiroirs, des papiers, sans doute des tableaux inachevés ou en route. Tellement d’idées que ça ne termine plus.

Il envisage aussi d’avoir une autre manière, de développer une autre technique, la sienne relevant de l’hyper-réalisme.

Ce peintre n’est pas de l’internationale mais il est allé partout en France.

 

Une jeune vacancière lui a acheté deux toiles, dont l’une, très remarquée par les femmes : une coupe de champagne, fuselée et fraiche, sur fond blanc, posée derrière une tarte aux fraises digne d’être engloutie. Son œuf était parti la veille.

 

Il s’agit d’un peintre de gourmandise, de plaisir visuel et culinaire ; rien de conceptuel. Seules les natures mortes musicales, imposent une lecture intellectuelle. Ses paysages paraissent cartonnés. Mais tous ces travaux font plaisir à voir. Et c’est coloré, jamais triste, vif et fin. Lui possède une belle humeur, une très bonne technique, et ses spécialités le rendent aimable comme un peintre de genre.

 

Quelques mois plus tard, je lui téléphone. L’homme qui me répond est d’une parfaite simplicité, d’une adorable chaleur humaine.

Je lui dis que je dessine, mais que je ne vends rien. Il m’explique que la cote, les ventes, passent nécessairement par l’exposition en galeries. Les artistes doivent chercher « une visibilité maximum sur Internet. Essayer d’être un peu partout. »

Sur son site professionnel, dans un joli texte, il rend hommage à ses parents, Iraniens et cultivateurs de pistaches.

« Il y a, dit-il, pour les peintres, une immense demande d’autobiographie. Les gens veulent savoir ce que vous avez vécu. Ils vous posent souvent la question ».

 

 

 

                                                       

UNE HISTOIRE DE CHOU

Par Le 06/01/2019

 

Ceci est ma première nouvelle que j'ai pris plaisir à écrire, entre quinze et seize ans.

Bien que le thème soit une vraie tarte à la crème, cette fiction a dû me passionner parce qu'elle met l'accent sur une époque de la vie où se pose une démarcation entre les durs et les tendres, le réel et l'imaginaire.

Une histoire de chou avec dessinsune-histoire-de-chou-avec-dessins.pdf (9.67 Mo)     

 

Cordialement, Marie Pra.