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Les demandes en mariage

Par Le 20/11/2018

LES DEMANDES EN MARIAGE

 

 

 

 

          Il y eut ma première demande en mariage – j’avais vingt-trois ans. Mes voisins à Paris, un couple kabyle, recevaient chaque jour à leur table un neveu : Kamel remarqua singulièrement ma personne. C’était un trentenaire fraîchement débarqué en France et qui travaillait durement en attendant sa régularisation. Il avait un sourire charmant et je me souviens d’une soirée où, assise à côté de lui sur le canapé, j’en eus un grand frisson de désir.

Ayant repoussé plusieurs de ses invitations, je dus me résoudre à le suivre dans une pizzeria où une partie de sa famille travaillait. Je n’aimais pas le ton insistant avec lequel il annonçait avoir quelque chose à me dire. Il s’assit en face de moi, les yeux brillants et son joli sourire fuyant sur les lèvres.  « Voilà, fit-il, je t’ai vu, j’ai pensé : elle, c’est une fille sérieuse, elle me plaît et je veux l’épouser. »

J’avais sous les yeux un homme incapable de lyrisme, et qui était aussi amoureux qu’il lui serait permis de l’être au cours de son existence. Une fille sérieuse, argumenta-t-il vaguement, c’est une fille qui ne zigzague pas, qui ne va pas dans la rue avec les hommes « faire des zigzags », reprit-il, en dessinant des courbes, et des chemins dans l’air. « J’ai dit à mon père : il y a une fille qui me plaît, et il m’a répondu : je te donne mon accord. 

-Ce n’est pas ainsi qu’on se marie.

-D’accord. On discute, on fait connaissance, et on y va. »

Il me montra une lettre qu’il avait rédigée pour solliciter la nationalité française auprès de la préfecture ; c’était bref, apocalyptique, enflé et tourmenté, il se présentait comme réfugié politique, parlait de menaces pour sa sécurité, d’islamistes qui le persécutaient, etc. Je lui demandai s’il n’avait pas exagéré le trait ; il éclata de rire. Il détestait l’Islam et travaillait dans la boulangerie d’un Arabe musulman. Ce dernier, pratiquant rigoureux, fermait le vendredi, et, pour toute musique d’ambiance, diffusait dans sa boutique des cassettes chantant les sourates du Coran.

Le patron : « Pourquoi tu ne fais jamais ta prière ? Pourquoi tu vas jusqu’à manger du porc ?

Kamel (il se lève pour enlever la cassette et met la radio) : Je suis Algérien, pas musulman. Mon grand-père et mon père, peut-être, mais moi, jamais !

Le Patron (il remet la cassette, rageur) : Tu es quoi, alors ? Tu es un Juif, hein, c’est ça ?

Kamel : Oui, je suis un Juif ! J’ai vu assez de gens comme vous en Algérie, assez de religieux, et j’en ai jusque là. Pour moi, un Arabe, c’est un poison ! »

Ils conclurent par un arrangement : le patron tient la boutique en journée, Kamel y sera de nuit.

Un matin, je trouvai une peluche et un petit mot dans ma boîte aux lettres. C’était B., un autre travailleur fraichement débarqué, de la même famille, qui m’avouait ses sentiments avec une simplicité émouvante. Il me disait vouloir être renseigné très vite sur les miens afin de ne pas nourrir d’illusions.

B. a disparu mais j’ai gardé sa peluche, longtemps pelotonnée, par souci de place, dans le tiroir de mes sous-vêtements. Elle est laide, et je ne la jette pas ; je la retrouve avec un petit pincement de cœur, en songeant aux innombrables cartes qu’on pourrait tracer avec tous les sentiments qui se trompent de chemin. 

 

 

                                                                 2003, texte abrégé.

 

 

 

 

PRAHA : Journal de voyage à Prague

Par Le 06/11/2018

Bonjour,

Je reviens de République Tchèque. Vous trouverez ci-dessous mon journal de voyage à Prague.

 

Prague journal de voyage convertedprague-journal-de-voyage-converted.pdf (245.51 Ko)                       Fichier téléchargable, 22 p.

 

Marie Pra.

BEAUTE DIVINE !

Par Le 26/10/2018

BEAUTE DIVINE ! [1]

       

 

     En m’évadant d’Argentan, je me suis précipitée directement au théâtre d’Hérouville Saint-Clair, ne sachant où était cette ville de la banlieue proche, ni en quoi consistait la programmation ; j’y courus comme démangée par une crise de magnétisme.

     Si le centre-ville de Caen possède la spécificité des patrimoines nationaux, la majesté tranquille des architectures qui ont fait leur preuve, la traversée du campus universitaire où se situe le théâtre fut un calvaire pour moi – sans boussole, tamponnée par la présence de centaines d’étudiants boutonneux, j’errai dans je ne sais quelle étagère...

     Epuisée, déposant ma valise dans le hall de l’entrée et prenant à l’accueil des tickets verts pour assister à la conférence de Michel Onfray dans le cadre de « l’Université du Temps Libre », je m’assis par accident devant un film – loin d’être excellent – projetant l’image du conférencier sur un écran gigantesque. Il s’y gaussait des envois réguliers de dessins d’une petite fille – moi, semblait-il. 

 

     « Je vous invite à lire les poèmes de Mahmud Darwish », glissa-t-il dans la poche du public.

 

     Un chenapan à la voix extrêmement vulgaire, le tutoya grassement, en lui demandant : « Je suis choqué, je suis gêné ! Puis-je faire une plaisanterie antisémite si j’ai un Juif à côté de moi ? » Une femme, deux chaises plus loin, détourna son regard vers moi et j’ai senti qu’elle avait honte de l’individu...

     La projection finie, me demandant si le responsable de ce montage était toujours en santé, je questionnai une autre femme : « Où est l’auteur ?» Elle me répondit : « Il est dans la salle, en bas ». Le véritable Onfray se tenait en chair et en os dans un amphithéâtre, sur un tapis rouge ; aussi aurais-je mieux fait de me rendre plus tôt sur les lieux réels !

 

     Mon cœur battait atrocement, je dois dire qu’il est très impressionnant physiquement. Des admirateurs au ton prétentieux vinrent lui offrir des confidences et une bouteille de champagne en lui disant, avec un accent exagérément bourgeois : « Nous venons de Saint-Germain-en Laye pour vous veôir... »

Je me suis présentée vers l’estrade en osant :

« Monsieur... »

Il releva la tête étrangement, fronça les sourcils, ses yeux prirent une lueur inhabituelle, et je vis qu’il ne me voyait pas.

« Dorothée... » fit-il, comme une roche grise sortant de sa torpeur.

Je détournai les yeux de l’autre côté de l’amphithéâtre et dis :

« Je ne sais pas où est Dorothée Schwartz... »

De fait, elle était invisible.

Je repris : « Monsieur, puis-je avoir de l’eau ? Je reviens d’Argentan.

–Je n’ai pas d’eau, me dit-il.

–Ah oui, vous avez épuisé la vôtre », fis-je en regardant les deux bouteilles vides sur son bureau.

Je repris :

« Etes-vous intéressé par un récit de voyage à Argentan ? »

Il se leva, se déplia en tapotant les liasses d’un manuscrit dactylographié sur son bureau – il mesurait à peu près quatre mètres de hauteur après s’être levé – et me dit avec arrogance :

« Non, je connais déjà Argentan, cela ne m’intéresse pas. »

Je ne lui demandai pas de dédicace, tous mes livres – je ne parle pas de mes propres récits – mais ceux des autres, dont le sien, Cosmos (essentiellement consacré aux droits des animaux), étaient dans ma valise, et tellement annotés de ma plume qu’il eût été impossible d’y faire une dédicace.

Je ne pus lui poser des questions sur ce qui me surprenait dans son dernier livre. Je suis venue le voir trois fois et j’ai senti qu’il me regardait avec gêne, ou une grave contrariété, le visage jaune.

« Je suis allée à Argentan parce que je voulais savoir si vous vous portiez bien. Etant là-bas, j’ai cru que vous n’alliez pas bien.

– Je vais bien, merci, c’est gentil, dit-il.

– J’ai rencontré Misrahi il y a quelques années au cercle Bernard Lazare, repris-je en revenant à la charge. Vous avez raison concernant le manichéisme. »

Il portait des livres sous ses bras. Il donne l’impression de mesurer deux mètres cinquante et d’être large comme quatre frigos. Sans doute se sentait-il plus à l’aise pour aller dîner avec des gens de sa structure physique.

« Au revoir », m’ordonna-t-il avec soulagement.

Je ne savais pas si cela voulait dire au revoir ou adieu.

Je sortis exprimer ma mauvaise humeur en me remettant devant la glace : « Il est con ou quoi ! » m’exclamai-je, comme son adolescente ; je fus suivie dans le corridor par deux de ses caciques, dont le mélange de français et d’anglais déplut à mon oreille puriste : « Michel est open ! Dans sa chambre l’autre soir, c’était bien ! » Je crus à une plaisanterie et répondis : « Non merci » – et je partis, me sentant humiliée, pleurant, en tirant mon énorme valise.

     Comme je l’affirmai à une gérante de l’Hôtel Saint-Etienne : « Je dois changer de résidence le moins souvent possible le temps de mon séjour. Avec cette valise, j’ai toujours le sentiment d’être un Juif errant. »

Un homme mûr m’avait menée à l’hôtel en voiture, devant la galerie Caen - Art - Culture - France. Une exposition de sculptures était annoncée.

« J’écris sur la sculpture, lui dis-je, mais je n’en fais pas. »

Lui était galeriste : six-cents artistes, ou six-cents toiles chaque année sur Caen, à couronner. « Vous ne les confondez pas tous ? » demandai-je. « Si », m’avoua-t-il.

     A la bibliothèque de Caen, je lus les poésies de Mahmud Darwish (édition d’Elias Sambar). Ce n’est pas seulement un hommage à la condition palestinienne – l’œuvre parle à chaque réfugié, chaque exilé. C’est une œuvre d’amour, de tendresse, de fleurs et d’arômes, comme ces parfums que l’on retrouve au Jardin des Plantes de Caen, où est le Paradis. Là, plus besoin de lectures, juste d’exister dans l’instant. Quelques personnes vont, viennent, avec leurs enfants ou des chiens en laisse. Sans médisances, sans haine, sans chantage, ils viennent dans les entrelacements de roses, de verts, de graviers, de bois.

     Mahmud Darwish secoue et déchire le cœur du lecteur. Il pousse à une empathie inconditionnelle pour la condition humaine. Ses vers, même traduits, sont d’une beauté torturante. C’est le récit d’un Palestinien amoureux, chassé, et triste de sa chasse et de son amour. Il peut être chacun d’entre nous. Je l’ai lu avec un tel degré de concentration qu’il n’eut pas été bon de me déranger. Il parait, par la suite, difficile de supporter un taux toxique de bruits, d’attitudes choquantes, insolentes, lorsque la lecture de ce style d’œuvre –indépassable –  vous a absorbée.

 

                                      Marie-Eléonore en Normandie, 2015.

 

 

 

 

 

 

 

 

[1]Titre d’une exposition au Musée de Normandie.

Interview d un Argentanais

Par Le 21/10/2018

 

Vous pourrez lire ci-dessous l'interview d'un serveur à Argentan (Orne, en Normandie), son opinion sur la ville et les sommités qu'il y a servi.

 

Interview d un argentanais 1interview-d-un-argentanais-1.pdf (122.22 Ko)

Trois nuits à Caen, Château, Garouste et potagers

Par Le 21/10/2018

 

Voici mon dernier récit sur Caen :

 

Trois nuits a caen chateau garouste et potagers 1trois-nuits-a-caen-chateau-garouste-et-potagers-1.pdf (108.19 Ko)

 

Cordialement, 

 

Marie Pra.  

ORANGE ETRANGE

Par Le 21/10/2018

 

 

Orange étrange

Ronde et Insouciante

Le ver bleu se balade, folie démente

Au milieu des siens et rampe dans la fange

 

Noire prairie

Au milieu de quartiers

Décharnés

Par la crainte et l’envie

 

Le ver devient rouge

Et l’orange s’affole

La fange se noie dans l’alcool

L’orange se gonfle et plus rien ne bouge

 

Le ver vert dévore la pomme

Et aime le ver bleu

D’un mouvement des yeux

Les vers dévoreurs de monde ont l’esprit de l’homme

 

Le trognon de la pomme dévorée

Rejoins dans l’abîme

L’orange décharnée

Est-ce le sort ultime ?

 

Utilité, les vers se sont accouplés

Le mur de l’insolence se dresse

Et condamne l’entrée

De l’ultime monde de caresses

 

            (VINCENT MARCHIONINI, date inconnue)

 

 

 

Né en 1981, l'auteur est chargé d'études documentaires.

Après des études d'archéologie, il vit et travaille en Ile-de-France.        

 

 

Argentan, rencontre avec une habitante

Par Le 13/10/2018

 

Voici des notes sur Argentan (2 pages). La population âgée : rencontre et petit dialogue avec une habitante. 

 

Argentan rencontre avec une habitanteargentan-rencontre-avec-une-habitante-1.pdf (381.25 Ko)

 

Marie Pra.

LE HAVRE

Par Le 12/10/2018

LE HAVRE

 

 

 

      J’aime marcher en Normandie. Au matin, il s’y dégage une très jolie odeur, venue des eaux des ports. Je découvre l’air marin, le vent qui porte les voiles, l’odeur des algues, de l’iode, tout grandit et ressuscite en mon for intérieur…

Les mouettes ont des sons emportés, elles sont gavées par le bruit des hommes et le régurgitent, telles des bouées à musique.

Le Havre est une ville fauchée qui ne cesse de souffrir, décidemment tous les gens en reviennent mécontents.

Je sors du train, quand il est dix heures du matin. Ce n’est pas la bonne heure, et le soleil est froid. J’erre dans cette ville émiettée, quadrillée, jetée en tous sens, dure à traverser. Trois visiteurs me croisent sur l’un des grands quais déserts. Une femme me confie :

« On a du mal à s’orienter ! 

-C’est comme d’être à l’étranger ! »

Même impression. Un canal bouché, comme un bras coupé et laissé pourri au sol, est ce qui me reste de la mer. J’aperçois un paquebot métalleux. Il y a des morceaux, des bouts partout sur les rebords du canal, c’est de la ferraille, des saletés. Je traverse le pont qui daigne être là.

Un entrepôt attire mon attention. Une porte de hangar, en fer frisoté, à moitié rabattue, m’attire. Je glisse mon visage en-dessous, on dirait un marché couvert : la peinture en est jaune, le plafond élevé.

Au centre, un bassin. Il n’y a pas d’eau. C’est pour faire flotter des poissons vivants ! Des filets trainent sur le sol. Ce sont de grands filets de pêche, des cordes longues. « C’est là que les poissons meurent », pensai-je. Il me semble que cet entrepôt n’est pas un marché. Pour la première fois, je ressens la mort des poissons comme concentrationnaire, c’est en cet endroit qu’on les traine, en paquets. Et sur le sol, ils crèvent monstrueusement car il y a tellement de monde qui agonise ensemble !

Un employé était là. Tout seul. Il tournait le dos à la porte d’où je l’observais. L’homme me jeta un regard lugubre. Il était muet et paraissait sans aucune motivation. Je laissai cet entrepôt vide – peut-être un lieu de tragédie piscicole. Quand je mange, je pense aux couleurs.