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Par atikva Le 15/07/2018
COVOITURAGE
Dans les degrés du ciel
Une grue
Tend ses fils
Le ciel est saumon
Auchan porte un oiseau
Sous les arbres extrêmement verts
Du beurre en herbe
Ces jours où les peintures sont faites,
Combien de carrosseries
Pour les manquer !
Le 08 juillet, en quittant la Normandie.
Par atikva Le 01/03/2018
Voici un récit de voyage en Israël. C’est un journal auquel j’ai apporté quelques corrections. J’en profite car je n’ai plus les moyens de partir à l’étranger. Ce pays était, à l’époque de mon récit, « la seule terre dont je sois folle, que j’ai physiquement envie de posséder et de décrire ».
La guerre vient d’être déclarée entre Israël et le Liban et je pars dans deux jours. J’espère que cela ne perturbera en rien notre voyage. Les Israéliens vivent dans ce climat depuis toujours, pourquoi devrions-nous nous y soustraire ?
Dimanche 16 juillet 2006
Dans l’avion, enfin ! On a d’abord survolé les environs de Roissy, je vis s’aplatir une enfilade de champs à perte de vue, dans les tons beige, cuivre, marron, vert, comme le tissu d’un tapis ; puis peu à peu les zones de forêt se multiplient telles de grandes flaques de mousse sombre, cent petits villages essaiment le paysage ; enfin des vallées se dessinent, la terre se gonfle et se fait escarpée… Apparaissent des nuages roses, un amoncellement de petites boules, une vraie fricassée de nuages, qui recouvrent des massifs rocailleux et coupés aux couteaux en dents de momies.
Encore des nappes de nuages, du rose le plus tendre, comme un lac qui vient caresser les rives des montagnes.
Puis nous survolons la mer et cela a quelque chose de terrifiant, on ne voit que le bleu le plus vide sous quelques nuages sans ombre, on a l’impression de voler au-dessus du ciel comme si l’azur d’en haut se reflétait en miroir.
Des îles jaunes défilent sous nos yeux, puis surgit un long littoral en forme de banane : Israël ! Nous allons atterrir en plein désert, à l’aéroport rudimentaire d’Uvda ; le sol est curieux, des montagnes de pierres hérissées et rocailleuses, passant du cuivré au gris pâle avec des alternances de zones sombres ; le tout sillonné et heurté, craquelé et desséché.
Nous avons fait la queue pour montrer nos passeports qui ont été tamponnés, ce qui nous rendra impossible le voyage dans certains pays arabes.
Une voiture vient cueillir notre groupe, nous sommes douze comme les tribus d’Israël, on roule jusqu’à Eilat, la station balnéaire, et ce n’est que pierrailles, tas de cailloux clairs, touffes et acacias rabougris – deux rapides contrôles effectués par de très jeunes soldats logés sous une tente, et à notre droite la frontière égyptienne délimitée par une barrière en bois et quelques fils de fer. Notre accompagnatrice commente : « Ici, nous avons beaucoup de problèmes sociaux, cent vingt nationalités différentes, mais nous n’avons ni le temps ni l’argent, tout va à l’armée. »
Puis le relief change, la pierre se fait plus chaude, orange, surgissent des dénivellations, et, à un moment, nous voilà en pente face à une énorme masse sédimentaire d’un écarlate sombre, et, derrière, la vue de la Mer Rouge et du golfe d’Akaba.
Dimanche 16 juillet 2006, Eilat, à l’extrême sud d’Israël.
J’ai été avec A… faire une promenade sur la corniche longeant la plage. Ensemble reposant, animé. Nous avons traversé un pont à la bordure colorée en rouge et longé de beaux hôtels, des boutiques, des allées de palmiers… et vu une portée de petits chats Abyssins qui s’amusaient sur l’herbe. Pas mal de chats vivent dans les rues, en liberté, nul ne les retient dans les maisons.
Eilat n’est pas une oasis, mais une ville qui a été bâtie grâce à un système d’irrigation artificielle et à l’importation de terre du nord : le sol originel est trop stérile pour que quoi que ce soit y pousse. Furent construits là des hôtels d’une originalité saisissante, comme le splendide Herode’s Palace, avec des arabesques, une teinte brune et des dizaines de balcons en cascade, où les serveurs sont habillés comme à l’époque romaine… Mais tout est loin d’être aussi propre, les toits des immeubles servent de débarras et les arrêts d’autobus ressemblent à des amas de fer.
Le soleil couchant donne une teinte rouge aux montagnes sèches de Jordanie, juste en face, et c’est ce qui a donné son nom à la mer.
« On dit que le Hezbollah a tiré sur Saint-Jean d’Acre cet après-midi, dis-je au guide, un Israélien d’origine américaine, qui a cinquante ans, pas de beauté, une petite taille, mais quelque chose d’attirant et des yeux très doux.
-C’est peu probable », répondit-il, donc nonchalamment.
Il travaille sur un livre de philosophie talmudique et d’histoire moderne.
Lundi 17 juillet 2006, Jérusalem.
Notre groupe a été ravi de se baigner dans la Mer Morte – le lieu le plus profond du monde, quatre cents mètres au-dessous du niveau de la Méditerranée. Le sol y est recouvert de blancs cristaux de sel, l’eau sans vague, chaude à la façon d’une baignoire, est d’un vert tendre, transparent, d’une substance huileuse, et tellement salée qu’on y flotte automatiquement sur le dos, quelque position qu’on veuille emprunter... Il semblait qu’on eût fixé un verre grossissant sur mes jambes, lesquelles renvoyaient sous la surface de l’eau des raies de lumière et des méandres d’ombre.
Nous sommes montés à Jérusalem par les Territoires occupés, au milieu de dunes rose saumon ; j’aperçus là des campements rudimentaires de bédouins. Pareilles habitations, en débris éparpillés le long de l’autoroute, au ras de la falaise, renvoient aux regards filants une gênante impression de pauvreté.
On descend près de Jérusalem. Un chameau mâche un sac en plastique sous les yeux indifférents de son propriétaire. Pauvre toi.
A Jérusalem, la nuit, par la promenade – toutes les lumières de la ville dévalant avec les collines dans la brume, sous les appels musulmans à la prière, semblables à d’envoûtantes sirènes, et, près de nous, une chanson pop venant d’une maison arabe où l’on fait la fête. Il est fréquent de voir des orthodoxes juifs dans les rues, notre bus a filé dans Mea Shearim silencieux : des ruelles étroites recouvertes d’affiches ; deux ou trois hommes en habit qui trottent. Le cauchemar cinématographique déçoit. Et nous nous sommes arrêtés au Kotel – Mur des Lamentations. Pour une fois je me réjouis d’être séparée des hommes. Les femmes se comportent généralement bien dans toutes les religions, et il n’y avait qu’à voir ces Juives suppliantes, se courbant devant le Mur, douces et silencieuses, pour se sentir émue… même, en communion. Malheureusement, un fanatique de l’autre côté de la barrière hurlait sa prière, ce qui me déconcentra.
A Jérusalem, capitale du peuple juif depuis trois mille ans, tous les bâtiments sont construits dans la même pierre blanche, d’une luminosité très pure, car il a été commandé dans la Bible de reconstituer la ville dans une même unité ; et ce revêtement donne à toutes les constructions, y compris les plus modernes, un cachet fort respectable d’apparente ancienneté. Même la borne de l’autoroute est belle ; tout est d’une grande propreté et netteté. Les quartiers de luxe croulent sous la végétation, il y a beaucoup de fleurs et d’arbres dans cette ville ; les maisons vues de loin paraissent pressées les unes contre les autres, alors que de près tout semble aéré, enlacé de dattiers, de cyprès ou de lauriers roses. Rien n’est laissé au hasard, explique notre guide, qui développe avec des références passionnantes en quoi l’Israël antique explique la Jérusalem actuelle ; car pour les Juifs la Bible n’est pas comme chez les Français simples un texte religieux : on le traite, non en preuve, mais en témoin ou compagnonnage historique.
Dans cette ville une et unique, les gens se sentent parfaitement chez eux, ainsi qu’à Eilat, et cela coupe court à ceux qui persistent à voir en Israël une colonie : c’est là une vision « eurocentriste », de gens habitués à vivre dans des frontières établies depuis des siècles, et n’ayant jamais connu de diaspora ni nourri de nostalgie. Habitude simple d’avoir. Ces Européens-ci ne peuvent pas concevoir que les Juifs aient un lien historique et émotionnel véritable avec la terre d’Israël. Ils n’y voient qu’une intrusion coloniale, une grappe d’imagination, ayant eux-mêmes l’habitude de vivre dans de grands pays aux frontières sûres et de coloniser les autres.
Sinon, ruines de Massada – je n’aime pas beaucoup. Un campement au sommet d’une montagne élevée à quatre cents mètres, orange – tout est plat, et des ruines, mais reconstituées, des bains publics surtout. Il fait quarante degrés.
Mardi 18 juillet 2006
Nous sommes allés à Bethléem, chez les Palestiniens. Le mur de sécurité, dit de la honte, vient d’être construit là voici trois mois, il est plus petit et plus fin que je le pensais. Côté palestinien, plein de slogans hostiles à ce mur sont écrits dessus en anglais, voire en espagnol.
Il fallut franchir un check point, passer des couloirs à ciel ouvert, traverser une sorte de hangar clair et neuf. Déposer nos affaires sur un tapis roulant – les hommes doivent défaire leur ceinture. Le geste met mal à l’aise. Tout ce qui est métallique est susceptible de réveiller les radars. En ressortant nous avons vu une longue file de Palestiniens faisant la queue pour rentrer chez eux. Aux heures de pointe pour aller travailler cela doit être l’enfer.
Bethléem est construite dans la même pierre blanche que Jérusalem, sans en avoir la propreté ; des murs garnis d’affiches d’un bleu clair délavé par le soleil, à moitié arrachées. Nous venions voir la Basilique de la Nativité, qui n’est pas non plus dans un excellent état, sauf une très belle mosaïque sous le sol entrouvert. Les piliers, modelés dans une pierre rosée, sont devenus bruns. Le chœur croule sous les icônes, les lustres, les dorures. Un prêtre barbu à soutane noir et rouge circulait en balançant un encensoir ; l’office était chanté en grec et en arabe et, niveau tonalité, cela ressemblait exactement aux chants d’un culte séfarade.
J’ai été marquée, et déçue, par la froideur des regards à Bethléem. C’est quelque chose qu’on ne comprend pas spontanément. Nous pensons venir dans une ville délaissée... La place du marché était déserte. Les habitants ne manifestent aucune envie de rendre un regard, d’échanger, ni même d’apparaître. Il est des gens qui n’ont pas envie d’être « réchauffés » par la venue, la curiosité, la compassion des Occidentaux. Nous avons une bonne image de nous-mêmes, de nos intentions, de notre chaleur humaine – mais ça ne prend pas. Ce ne sont pas des yeux d’Arabes ou de chrétiens dépressifs, c’est vraiment qu’il n’y a rien – qui concerne notre allant.
Notre guide palestinien – car les Israéliens ne peuvent plus venir dans cette zone autonome – était extravagant, et sympathique. Lui échange facilement avec notre guide, un coup de fil et le bus embraye. Il nous a dit que les chrétiens n’étaient plus que quinze mille, face à trente-cinq mille musulmans, les plus riches s’enfuyant aux Etats-Unis, au Canada et en Suède. Je suis la seule du groupe à qui il ait laissé son adresse.
Mercredi 19 juillet 2006
Hélas ! Demain nous restons à Jérusalem car Nazareth a été atteinte par les katioucha – roquettes – du Hezbollah, et c’était une des dernières villes du nord qu’il nous était permis de visiter, cette guerre nous ayant pris Saint Jean d’Acre, Haïfa, le lac de Tibériade… Ils leur restent dix mille roquettes entreposées exprès dans des maisons de civils libanais, de sorte qu’Israël ne peut pas les détruire.
La pierre de Jérusalem est si lumineuse ! La ville est dense, il y fait bon vivre, les voitures roulent doucement. Aujourd’hui, dans ce que j’ai vu, tout était régal. Nous avons fait le Via dolorosa, les quatorze stations du Christ qui, figurez-vous, passent dans les souks, et le Golgotha qui ne ressemble en rien à une colline, car complètement empaqueté par les églises qui le recouvrent. Je n’ai jamais vu d’édifice construit de façon plus extravagante que le Saint-Sépulcre. C’est un amoncellement de cryptes et d’églises de différentes confessions qui se partagent l’espace et les offices, sous mille mosaïques dorées, murs sombres et atmosphères pesantes, luxuriantes ; il y a là les Grecs orthodoxes, les Arméniens, les Syriens, les coptes… des chapelles sombres et désertées comme des caves. Or comment décrire la beauté du chemin de croix, avec ses stations gravées sur les murs ? Des ruelles d’un blanc jaune sur lesquelles le soleil vient s’écraser, construites en escaliers, passant sous des maisons bâties en pont, bordées de magasins, d’où sortent l’odeur des pains orientaux, comme l’odeur du romarin naît des jardins d’ici… jardins d’églises orientales, peuplés de dattiers, d’oliviers et de fleurs. Impossible de décrire le charme de ces bâtiments ébréchés par le temps, ou lisses ainsi que des pierres neuves, ou de forme érodée comme si l’eau avait coulé dessus ; la beauté lourde de la tombe de Marie, que l’on descend comme une grotte, avec ses lustres et ses dizaines de boules d’émail d’où pend un crochet, tendu au mur par une chaîne ; telle église russe avec ses tours pareils à des oignons dorés ; le quartier juif couleur de miel.
Jeudi 20 juillet 2006
Pas pu aller dans les souks ; les autres sont partis voir. J’étais pleine de sang et complètement épuisée. Au lit à l’hôtel – pour moi cette journée était en trop.
Vendredi 21 juillet 2006
Ce matin, visite du site de Césarée, les ruines de la ville romaine, au bord d’une mer bleu turquoise et ses vagues irrégulières, sauvages, mousseuses d’écumes. La pierre, toute rose, est faite de sable collé et consolidé.
Nous avons continué notre exploration en allant sur le mont Carmel. Les lointains étaient, à cause de l’extrême et fatigante chaleur, perdus dans la brume. Le bus prit la route sur des collines couvertes d’arbres provençaux. « C’est le Front National juif qui a planté cela », précise le guide. L’expression gêne, sidère, incommode, mais lui ne l’est pas, il rêvasse puis traduit qu’il s’agit du KKL. Trente ans de pousse. Les collines furent trouvées pelées, sèches, une forêt d’ampleur régulière les recouvre, et fait son travail de nourriture.
A vingt kilomètres de Haïfa nous entendîmes partir, de là-bas, le son d’une sirène – une alarme ; cela dura deux minutes, puis quatre détonations suivirent : les tirs de roquettes du Hezbollah fracassèrent le ciel et tombèrent. Cela gronda, crac, tonna, on est impressionné de réaliser un peu ce qu’est la guerre à une telle distance.
Samedi 22 juillet 2006
Nous voilà à Tel Aviv, la ville israélienne moderne par excellence. Il n’y a rien à voir sinon des immeubles, et la grande plage avec ses vagues élevées et remuantes.
Rapide excursion dans la vieille ville adjacente de Jaffa : ses murs d’un beige doré sont pavés, comme le sol, tout est découpé en rectangles de pierres, et les noms des petites rues sont écrits sur des céramiques d’un même bleu superbe que celui de la mer, avec des dessins zodiacaux. Un chat noir maigrichon s’égare en promenade : « Oh ! Jiji ! » s’exclame une femme du groupe. Elle tend la main ; le félin file.
Dimanche 23 juillet 2006, aéroport de Tel-Aviv
Hier soir en rentrant de promenade, nous avons vu, au pied de notre hôtel, une voiture de police qui arrêtait les conducteurs, les agents ayant posé sur le sol de petites bornes lumineuses. Notre guide demanda à un couple : « Que se passe-t-il ? » Ils répondirent qu’un terroriste avait été arrêté et qu’il s’en cherchait un deuxième. Un hélicoptère tournait au-dessus de notre quartier en fouillant le sol de son rayon lumineux. Rentrée dans ma chambre, j’allumai la télévision israélienne, et j’aperçus notre hôtel, filmé juste sur l’écran !
Les Juifs en tant que peuple renomment leurs propres villes, sur des panneaux en hébreu, arabe et anglais. Même les druzes… – il est étonnant de les voir, sur les balcons, pendre une multitude de petits drapeaux israéliens ; ceux du restaurant qui nous ont accueillis possédaient une guirlande de ces désirs d’appartenir. Je leur ai acheté une spécialité, un chameau en peluche, casqué d’un chapeau blanc.
Avant de venir ici, j’avais des idées de gauche, j’étais favorable à la division de Jérusalem, mais à présent, ayant vu cohabiter là-bas tant de diverses confessions, et cela sous la coupe israélienne, Israël qui incarne la réconciliation des trois religions – le judaïsme est socle commun ; en voyant ceci donc, on ne voudrait pas que cette ville d’une si belle unité fût divisée par un mur ou que les plus riches morceaux passent sous autorité palestinienne. La tolérance israélienne est nécessaire à une telle ville. Ou bien c’est une envie de possession. Car la présence de l’Antiquité signe partout en Israël. Comme une réalité édulcorée, qui s’attache au corps, affame l’âme. On éprouve le désir d’éprouver des textes, la Bible, un grand enthousiasme amoureux, une nostalgie éteinte puis subitement dilatée, rien qu’au souvenir de cette lumière, de ces lampes harmonieuses qui enchantent et colorent les soirées. Les pierres régulières et fines portent une odeur de souvenirs, elles laissent dans l’âme une jeunesse et une vieillerie qui font qu’on a faim, littéralement.
Ainsi fut-il question à Eilat d’un hôtel israélien, lequel plut à tel point aux Egyptiens que ces derniers le reconstruisirent, à l’identique et en double, de l’autre côté de la frontière, après la reddition du territoire. Les volontés de beauté, de patrimoine, de cocon, de bien-être, de continuité, d’éternité, sont ressenties comme une même pulsion légitime. Ce n’est pas le cas en France, où tout est remis en cause. Je savais que chaque jour venant j’aurais une expérience rare à relater, colorée du sable d’Israël.
Marie-Eléonore
Notes manuscrites sur Rabelais
Par atikva Le 09/02/2018
Bonjour, vous trouverez ci-dessous les manuscrits originaux de mon travail sur Rabelais.
rabelais-page-1.jpg (230.78 Ko)
rabelais-page-2.jpg (222.79 Ko)
rabelais-page-3.jpg (252.97 Ko)
rabelais-page-4.jpg (203.83 Ko)
DEUX LETTRES DE SUZANNE BERNARD
Par atikva Le 20/09/2017
DEUX LETTRES DE SUZANNE BERNARD
J’ai reçu deux lettres de Suzanne Bernard.
Comme en témoigne Le Roman d’Héloïse et Abélard, d’une resplendissante beauté d’écriture, Suzanne Bernard (née en 1932) compte parmi les grands écrivains féminins français.
Bien que son œuvre ait déjà été traduite, et que ses plaisants romans médiévaux (La Malevie) aient cavalé jusqu’à dix-mille exemplaires, Suzanne Bernard a écrit de nombreux manuscrits refusés et a souffert en tant que précaire des lettres. En France, s’exprime-t-elle, « 40 écrivains vivent bien, une poignée très très bien, de leurs livres. » Elle vend peu, les médias ne l’invitent presque pas, elle connait les vêtements usagés, l’humiliation – le boucher lui donne la plus mauvaise viande quand elle vient acheter un steak : ainsi témoigne Chair à Papier, son récit, unique, sur quinze ans de misère en marge du monde des Gens de Lettres… et qui connut, enfin, le succès !
Suzanne Bernard aime passionnément la Chine, elle la vit. Ses notations sur les spécificités de l’humour chinois, de la sensiblerie chinoise, d’une poésie dont l’Occident ne veut plus, sur la délation, les filatures menées contre les amants et les intellectuels, mais aussi l’amicale solidarité, dans les métiers de la culture, à l’époque du communisme en Chine, constituent un mélange rare d’empirisme sincère, sentimental, et de parti-pris idéologique.
Première lettre
(Machine à écrire, encre noire)
« Merci pour votre lettre que j’ai aimée.
Merci de m’avoir lue comme vous l’avez fait, et merci d’avoir travaillé sur CHAIR A PAPIER avec vos élèves. J’ai été très intéressée par leurs réactions.
Oui, LE REVE CHINOIS reprend des éléments « personnels » sur la Chine, que j’ai développés dans d’autres livres (« Une Etrangère à Pékin », « Nouveau Voyage au Pays d’Autrefois », etc.) d’où, vous l’avez bien senti, un survol de mon expérience… Il est assez difficile, pour un écrivain, quand il s’attache à un thème (en l’occurrence un thème aussi large et important !) de le traiter à travers plusieurs livres, dans des « tonalités » différentes. Mais c’est aussi l’intérêt du travail.
Mon prochain livre, à paraître en novembre, toujours aux Editions Le temps des cerises : une biographie d’une héroïne chinoise, très peu connue en France, Qiu Jin, dont le centenaire de la mort aura lieu en 2007. C’est une grande figure de la période qui précède la révolution de 1911, féministe, poète, révolutionnaire, elle a eu la tête tranchée à 32 ans. Elle signait ses textes : Qiu Jin, la femme chevalier du Lac du Miroir… Je suis sûre que son extraordinaire destin, et ses magnifiques poèmes (jusque-là inédits en français) vous intéresseront. Le livre est bref, comme le fut sa vie, je n’aime pas les gros « pavés » en matière de bio ou de roman…
Continuez à écrire ! Mais, du côté éditions, montrez-vous très prudente. Je me méfie beaucoup des éditeurs qui vous font « reprendre » un manuscrit. Parfois, c’est une façon d’écarter la possibilité d’un contrat… Ou, pire, une manière pour l’auteur de détruire lui-même son travail ! Il ne faut pas accepter de retravailler un texte sans un contrat, et, dans ce cas, celui-ci est très rarement accepté par l’éditeur… il y a souvent beaucoup de perversité chez celui-ci… (je parle de la chose dans LE REVE CHINOIS). »
(au stylo-bille noir, écriture très lisible, rapide, un peu anguleuse)
Encore merci pour votre témoignage. Tenez-moi au courant de vos travaux !
Très amicalement.
(Signature)
Je connais bien la rue Lacroix pour y avoir vécu… il y a quelques décennies !
Deuxième lettre
(Stylo feutre bleu marine, lettres assez hautes, un peu pointues)
Merci pour tour ce vous me dites et faites pour mes livres et « ma » Qiu Jin. J’aimerais vous écrire plus longtemps. Mais je peine à tenir la plume, car j’ai actuellement de graves ennuis de santé. Voici neuf mois ( !) que je vis recluse (complètement !) avec douleurs, incapacité de me déplacer, etc. J’en parle bien sûr le moins possible (seuls les intimes… !) C’est très dur.
J’espère pouvoir reprendre une vie normale bientôt !
Encore merci !
Amitiés,
(signature)
Paris le 19 avril 2006.
En mai 2007, parait Le Passage, il s’agit d’un témoignage spirituel sur les hospitalisations de l’écrivain, atteinte d’un cancer.
En juillet 2007, de très discrètes notations sur le web, et L’Humanité, annoncent le décès de Suzanne Bernard.