AUTOBIOGRAPHIE DE MES CHATS, 3
Je termine ici ce parcours dans la psyché des petits êtres qui peuplèrent ma vie, avec le plus original d’entre eux.
J’étais désormais en couple et il nous manquait, à nous trentenaires, un bébé dans la maison. Mon compagnon n’avait eu que des chiens ; je raffolais toujours des chattes tigrées ; nous allâmes à la Société Protectrice des Animaux de Gennevilliers.
Parmi les caisses où étaient enfermées les bêtes, je remarquai une chatte qui me parut très jolie, mais la vétérinaire nous annonça avec véhémence qu’elle avait des problèmes de dents. Je pensai que je ne saurai pas prendre ses soucis médicaux en charge, et, moins généreusement, je rabattis ma décision sur une chatte voisine, qui n’était pas mal non plus. Elle s’appelait Lisette, avait cinq ans et venait de Thionville.
Quand nous débarquâmes la petite chatte dans notre appartement, elle courut se réfugier derrière le frigo, et y resta dissimulée pendant quatre jours. Désireuse de prononcer un nom sucré, amusant, je l’avais surnommée Caramel. Elle était sauvage comme un océan. Seul son maître avait la force de rester près du frigo et de lui parler sans arrêt ; de sorte qu’il finit par l’amadouer un peu et la faire dégager de son antre. Il reproduisit ensuite ce même effort vers l’armoire.
Notre nouvelle chatte avait un tempérament fort. Elle possédait un miaulement vieux, éraillé. Elle était vite colérique, et pouvait pousser des braillements tels, quand elle souhaitait manger, que son maître s’en indignait ou, le plus souvent, en riait à gorge déployée. C’était également une petite coquine qui adorait jouer : à son âge, elle y passait un temps considérable. Nous avions des petites souris en peluche pour la divertir.
Nous avions de nombreux arrêts maladies et, dans le petit appartement parisien, nous étions sans doute des maîtres très présents. Mais, quand nous partions en vacances, nous laissions des amis garder Caramel : la plupart du temps, nous la retrouvions traumatisée.
Quand, six ans plus tard, je me séparai de son maître, ce dernier refusa de remettre le pied chez moi. Il ne devait jamais revoir son chat. C’est au bout de plusieurs mois que Caramel prit la parole, comme un petit être humain doué d’une voix grave et drôle : « Mon père, me dit-elle, m’a abandonnée. J’ai le cœur brisé. » Un an plus tard, elle ne se souvenait plus de lui. Je l’interrogeai plusieurs fois à ce sujet, lui parlai de nombreuses fois de son maître, sa réponse était invariablement non.
Caramel, l’enfant du couple dont nous riions vite, sur laquelle nous composions des chansons, avec la joie infantile propre aux trentenaires, dissimulait derrière ses habitudes de chat tigré très ordinaire un petit être humain. Elle était déjà un amour, je devins sa maman.
Même si elle parlait assez rarement, Caramel pouvait le faire dans des circonstances drôles et à but informatif. Un soir, près de chez moi, un homme voulut se suicider parce que sa copine l’avait lâchée ; cette ex appela le SAMU. « La tigresse a appelé », m’informa Caramel, en passant sur le lit. Je raffolais d’elle rien que pour ce genre de phrases.
Elle avait conscience d’être un « chat tigré », et répéta même l’expression : elle avait voulu être un être humain, elle rejetait l’animalité, mais être un chat la satisfit. Elle avait conscience des débordements d’amour que le mot chat suscite.
Sa mort à l’âge de presque seize ans, me laisse vide, blessée, démunie. Pourtant, deux semaines et demie après son décès, je la vis dans un rêve : elle m’avait suivie dans un village, plein de maisons à balustrades, de restaurants, avec un talus d’herbe, sans se perdre ni s’égarer ; le village était construit autour d’un petit lac, dans lequel elle nageait ; elle faisait tout parfaitement, comme un carré qui rentre dans un carré, et, malgré mon anxiété, elle était bien là. J’interprétai ce rêve comme le signe que tout allait là bien pour Caramel, qu’elle était entrée au Paradis et que je ne devais plus me faire de soucis pour elle. Je rêve sans cesse pour elle, mon amour, d’un ciel empli de fleurs et d’herbes au vert pommelé.