MOI, TOXICOMANE

MOI, TOXICOMANE

 

 

 

 

De vingt-huit à trente-trois ans, j’ai été toxicomane. Mais ma drogue ne fut pas de celles qu’on voit à la télévision. Il s’agissait, comme pour ma divine Elizabeth Taylor, de médicaments prescrits par les psychiatres.  L’immovane, un somnifère, et le tercian, un  lourd antipsychotique permettant de réguler les angoisses, furent mon festin. - Il est par ailleurs ahurissant que mon psychiatre de l’époque ait pris le risque de me donner ce deuxième médicament, car je n’étais pas encore psychotique. - Une sensation de manque, des insomnies tenaces, la recherche hédoniste du plaisir et de la détente, tout avait fait de moi la cible idéale pour une croisière en toxicomanie.

Mon généraliste, qui cédait à toutes mes demandes, me dit un jour : « J’ai l’impression d’être votre dealer ». Il arriva que je le voie deux jours de suite pour renouveler l’ordonnance, tant j’avais consommé. Sans craindre d’extrapoler, il me semble que j’allai une fois jusqu’à engloutir quarante médicaments en une journée.

Cependant, je minorai ma dépendance auprès des proches. Je n’avais pas conscience d’être malade. Quand je me réveillais le matin, je me disais que j’allais prendre un énième arrêt maladie, et mon compagnon, qui m’aimait trop pour me contredire, partait au travail sans moi. J’étais devenue complètement apragmatique et je ne voyais pas l’intérêt de travailler, puisque je continuais à être payée. A sept heures du matin, il m’arrivait alors de foncer au café du coin pour boire du champagne, et je pleurais s’il n’y en avait pas. Pour me rendormir, pour me détendre, pour planer, pour rêver, j’avais toujours besoin de mes médicaments à portée de mains. Les rares fois où je retournais au travail, c’était pour être convoquée par le rectorat car on me trouvait « lente » ; mes supérieurs me rédigeaient des rapports déplorables, et j’avais perdu toute confiance en moi.

Mon physique avait été métamorphosé par ces abus médicamenteux. De très mince et jolie, j’étais devenue méconnaissable. Je pesais entre soixante-dix et quatre-vingt kilos. Mon visage, flanqué de longs cheveux jaunes et d’un menton gras, avait perdu sa belle expressivité. Ma grand-mère et ma mère devinrent odieuses du jour au lendemain. Elles me lançaient des phrases comme : « Tu as gonflé, gonflé, gonflé… Avant tu étais menue, tu étais bien… Ce n’est pas en mangeant une banane que tu vas maigrir… Tes jambes ressemblent à des poteaux, j’ai trop honte de me promener à côté de toi. » C’était un harcèlement incessant, comme si j’étais désormais réduite à mon physique. Tout ce qu’on disait et pensait de moi dans ma famille était dévalorisant.

Le psychiatre qui m’avait prescrit le tercian et l’immovane à petites doses se mit en colère contre moi quand je finis par lui avouer ma surenchère irresponsable, et cela me poussa à conclure ma thérapie avec lui. Heureusement, les parents de mon compagnon, qui étaient très présents dans ma vie, firent le parallèle, que j’étais incapable de faire moi-même, entre mon surpoids et les médicaments. Ils m’incitèrent à me désintoxiquer. Aussi me fis-je hospitaliser à la Salpêtrière.

Le soir de mon arrivée, on m’y donna un immovane, ce qui ne suffit évidemment pas pour m’endormir ; je ruminai jusqu’à six heures du matin. La semaine entière qui suivit, les infirmières ne me donnèrent pas un seul médicament. J’étais torturée par le manque, la fatigue, l’insomnie, dévorée par l’ennui.  Même si ce sont des sensations que j’ai à peu près oubliées, je me souviens d’un inconfort sévère et permanent. Je sortis pourtant décidée à ne plus toucher à mes deux psychotropes.

Le temps fit son chemin. Claquant la porte au nez d’un autre psychiatre autoritaire qui voulait à toutes forces me remettre sous médicaments sans justifier pourquoi, je me désintoxiquai de gouttes rouges pour dormir sur lesquelles je m’étais rebattue, et qui avaient provoqué une constipation grave, laquelle aurait pu m’envoyer à l’hôpital. Je perdis trente kilos en un an.

Conclusion : on peut s’en sortir ! Mais il faut du cran et de la poigne pour ne pas céder à l’enfer corporel du manque. Le mieux est de ne jamais commencer, et de ne prendre des médicaments que si absolument nécessaire ! Ce que je fais aujourd’hui, mais à dose prescrite et pour la bonne cause.

Date de dernière mise à jour : 23/09/2025

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