MA RABBINE DELPHINE HORVILLEUR
« Les êtres humains, et les cerisiers, replantés loin de leur terre d’origine, donnent des fruits qui ont une étrange mémoire. »
(Delphine Horvilleur, Vivre avec nos morts)
La dernière fois où je la vis à la télévision avant notre rencontre dans la vraie vie, c’était après le 07 octobre 2023 ; elle était venue avec un ami islamologue, avait évoqué les mères palestiniennes et la colonisation, mais aussi le silence choquant, l’absence de solidarité décevante qui avaient suivi le pogrom.
Allons la voir ! me dis-je. Et après vingt ans de retrait de ce lieu, je revins à la synagogue Beaugrenelle du Mouvement Juif Libéral de France, située dans un tunnel sous les grands immeubles du quinzième arrondissement.
C’est la magie de Paris, de nous permettre de rencontrer en chair et en os des personnes célèbres.
Delphine Horvilleur n’’est pas qu’une philosophe, ce qui est toujours agréable à écouter quand on recherche une épaisseur aux parasha du judaïsme, elle est une remarquable comédienne et chanteuse. Sa voix cuivrée, sablée, reconnaissable entre toutes, nous fait interpréter des Lekha Dodi sur des airs venus des différents coins du monde, et même, une fois, sur l’air fantaisiste de la célèbre chanson de variété française : « Aux Champs Elysées… », ce qui est un amusant mélange de sacré et de pur profane. Quand, à Pourim, elle nous raconta la Meguila d’Esther, elle nous la fit répéter en nous demandant de placer des exclamations et des huées suivant le nom de tel ou tel personnage évoqué, et cela créa une amusante et stimulante bande dessinée vocale. Pour l’office des enfants, malgré le bruit et l’agitation, elle mime, entraine le groupe, fait des devinettes, c’est une vraie actrice dont le talent rayonne sur l’assemblée. Elle se montre pleine d’humour et il y a de quoi être réconciliée avec la religion.
Meurtrie par le 07 octobre, elle a mis longtemps avant de dénoncer ouvertement la cruauté du gouvernement israélien vis-à-vis des Palestiniens. Mais quand elle l’eût fait, quel esclandre ! Elle fut attaquée par une partie importante de la communauté juive, totalement insensible au sort du peuple ennemi, et par ceux qu’on peut qualifier d’antisémites, qui ironisèrent à tort sur son peu de courage. Elle passa des semaines difficiles.
Quand il fut avéré que les jeunes otages israéliens, les petits Kfir et Ariel Bibas, avaient été étranglés à mains nues par des barbares du Hamas, elle colla leurs portraits sur le mur de la synagogue, ce qui déplut à Yann Boissière, notre second rabbin : tant il est vrai que, normalement, il est interdit de mettre des images dans un lieu de culte juif. C’est dire si l’émotion de Delphine outrepassa son orthodoxie.
Je lui parlai deux fois. Je vins la voir sur l’estrade et lui dit timidement :
« Madame, je lis vos livres qui par les temps qui courent sont ma consolation, et c’est un vrai honneur pour moi que d’être reçue dans votre synagogue ». Elle sourit avec ses petits yeux tirés et épanouis, et me remercia.
Elle sembla m’oublier durant des mois, puis un jour, passant près de ma chaise, m’adressa un vibrant : « Shabbath Shalom ! » comme à une connaissance.
Une chose est sûre, c’est une femme extrêmement intelligente et je me permettrais même de la qualifier de surdouée. Il est difficile, à son contact, de ne pas l’admirer. Née en 1974, elle a un long parcours intellectuel avec, durant sa prime jeunesse, un étonnant détour par le mannequinat.
Comme moi, elle attend avec impatience la fin de la guerre qui se déroule actuellement à Gaza. On souhaiterait que les autres rabbins s’associent davantage à cette envie de paix, mais j’ai été dégoûtée de l’orthodoxie justement parce qu’elle est orthodoxe et ne s’autorise que peu d’audaces, sauf exception.