CAPHI, FEMME TRANSGENRE

CAPHI, FEMME TRANSGENRE

 

 

 

 

Je l’ai rencontrée dans la rue, car nous vivions dans le même quartier. Elle adressait facilement la parole aux gens. Très tournée vers les autres, intéressée par leur vie, elle m’emmena sur le marché à ciel ouvert où elle s’arrêta pour discuter avec tout un chacun. Nous allâmes aussi au parc. Elle aimait marcher. Née Philippe, elle préférait le prénom de Caroline. N’étaient sa voix grave et son nez fort, je n’aurais jamais pensé qu’il fût s’agit d’un homme. Coquette, maquillée, en robe, elle prenait soin d’elle et de son rayonnement. Son âme était féminine. Quand elle pensait, écrivait, on sentait le parfum d’une femme. Cela ne faisait aucun doute.

Elle me parla du peintre, Philippe Pasqua, pour lequel elle avait posé pendant des années, du fait qu’elle avait été journaliste dans de grands journaux de gauche. Elle s’intéressait à tout, menait une vie culturelle intense, avait rencontré Taslima Nasreen pour ne citer qu’elle, et tourné jadis dans des films, mais dans des rôles de prostituée, les réalisateurs étant incapables de donner à des femmes transgenres un rôle consistant, non caricatural.  

Elle m’avoua qu’en tant qu’homme, elle avait donné son sperme à un couple de lesbiennes : je lui retirai alors ma sympathie, et lui dis que j’éprouvais du mépris pour les gens qui font des enfants sans s’en occuper. J’ignore comment elle réagit au fond d’elle-même ; mais, quelques minutes plus tard, elle sembla perdre sa féminité, gagner en gaucherie, parler avec une voix plus grave, et sous Caroline je découvris un peu Philippe. Je lui avouai alors que je la trouvais bien mieux en tant que femme qu’en tant qu’homme : cela lui causa un vif plaisir qui m’émut. De toute façon, je devais apprendre deux ans plus tard qu’à cette période de sa vie, Caphi souffrait d’une dépression importante et n’avait plus goût à l’existence.

Sa santé psychique s’améliora, mais elle finit par développer, autour de la soixantaine, un cancer qui ne lui laissait guère de répit. Courageuse, elle continuait de marcher. Comme elle était sur mon compte Facebook, nous reprîmes contact après deux ans d’éloignement. Elle ne se souvenait pas de moi.

Elle partit vivre à Céret dans des camping, au milieu de la nature, avec son chat Arthur, qui lui apportait beaucoup de bonheur. Mais, comme elle ne bénéficiait que d’une allocation adulte handicapée, et que les propriétaires des bungalows haussaient les prix en été, sans scrupule à l’idée de mettre à la rue une pauvre femme gravement handicapée par son cancer, et dépendante des autres pour sa mobilité, elle fut obligée de revenir vivre à Paris. Trop fatiguée pour cuisiner, elle dépensait son allocation dans les restaurants, ce qui était peut-être une dernière façon de profiter de la vie malgré la souffrance.

Elle fit une démarche administrative pour que « Caroline » soit inscrit sur ses papiers d’état civil, et y réussit, au bout de quelques mois. Elle ne fut pas pour autant débarrassée de la bêtise humaine, un homme de son immeuble la hélant : « Monsieur ! » avec agressivité, au point qu’elle songea à porter plainte.

Caphi mourut des suites de son cancer vers septembre 2023. Elle fut fêtée par des amis de longue date. Il était en effet difficile d’oublier quelqu’un comme Caphi. A une époque où le dénigrement des personnes transgenres, et l’incompréhension qu’elles suscitent, atteignent leur apogée, notamment sur les réseaux sociaux, il est peut-être bon de songer à l’âme si féminine de Caphi, réconciliée en Caroline avec sa personnalité véritable.

Date de dernière mise à jour : 14/09/2025

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