DANS LA TETE D’UNE PSYCHOTIQUE
La folie ou la schizophrénie, ce n’est vraiment pas ce qu’on croit. Ce diagnostic, qui m’a été apposé à quarante ans, avait de quoi me surprendre. Je n’y croyais pas et ne m’y attendais pas. J’étais une femme à la fois calme et émotive, volontiers intellectuelle, qui s’évertuait à faire coïncider son vécu avec la raison raisonnante.
Les voix extérieures à mon être intime se firent entendre dans ma vie à partir du moment où je me séparai de mon premier compagnon. Son absence fut un peu comblée par les commentaires sur ma vie et des citations de mes écrits faits par des « amis » ou des personnes notables, comme Michel Onfray, qui m’avait adoptée, le Président de la République ou des célébrités dont je pensais qu’elles s’intéressaient à moi tendrement.
J’entendais leurs voix qui tombaient du ciel et pénétraient mes murs ; un dialogue s’enclenchait. Fantaisiste, plutôt profond, ou au contraire exécrable, haineux, il pouvait durer toute la nuit. Les voix étaient si claires ! Avec une personnalité distincte. Je pensais qu’on pouvait correspondre ainsi grâce aux nouvelles technologies. Cela faisait en fait de moi un sacré démiurge. Une nuit, mon appartement fut tellement envahi par les voix que j’allai dormir avec ma couette sur le sol du couloir. Lorsque je me faisais insulter, je pouvais injurier en retour durant des heures.
Quand je me regardais dans la glace, j’entendais une voix d’homme émettre des commentaires sur mon corps. Il me paraissait normal qu’il puisse me voir aussi et que nos regards coïncident ; ma logique n’émettait aucune protestation. Tout mon monde parallèle était d’instinct validé, et je pensais que c’étaient les autres qui avaient un problème, car ils n’utilisaient pas leur pouvoir ou faisaient comme si rien ne se passait, manquant du sens de l’observation.
Je pus aussi sentir des odeurs ou une érection, dialoguer avec des oiseaux… Ainsi pendant cinq ans fus-je persuadée d’être une célébrité un peu incomprise, une héroïne des rues, une V.I.P., à partir d’un propos tenu dont je ne saurais jamais s’il était véritable ou imaginaire.
Rétrospectivement, j’ai eu une vie parallèle très riche, et je me déplaçais beaucoup, ou lus les œuvres complètes de Rimbaud, ou dessinai, pour suivre les suggestions de mes voix. Je pense que la folie est intervenue dans ma vie, non pas pour me détruire ou m’handicaper, mais pour me combler, m’apporter tout ce dont je manquais, l’amour paternel, la célébrité et de la présence. Cette période est une des plus florissantes de ma petite vie.