LECTURES D’ETE : VIVE LA POESIE FEMININE !
L’été est mort, vive l’été ! J’ai profité de mes vacances pour faire une razzia de poésies, et j’ai découvert trois poétesses du vingtième siècle, de divers horizons, toutes trois célèbres, emblématiques de leur pays, qui m’ont enchantée. Je prise la poésie féminine plus que tout. J’y retrouve mes propres aspirations, et, quand ce n’est pas le cas, je me laisse porter par cette surprise que constitue la lecture.
La première fois que je connus la poétesse japonaise Yosano Akiko, ce fut par cet admirable poème paru dans son premier recueil Cheveux emmêlés (1901) :
Le printemps est si court à quoi bon parler de la vie éternelle ?
Murmurais-je en lui tendant mes seins
Dans le livre que j’achetai récemment à un prix prohibitif, la traduction est différente :
Court est le printemps,
Qu’y a-t-il dans la vie
Qui soit immortel ?
Et j’autorisai sa main
Sur la rondeur de mes seins.
On peut se demander comment les seins, de tendus qu’ils étaient, sont devenus ronds, mais mettons. Il y a dans ce morceau de bravoure érotisme, sincérité et audace, tout ce qui caractérise les grands auteurs féminins.
Fleurs de lys blanc, de pruniers, robes chatoyantes, instrument de musique pour dame solitaire, cheveux emmêlés de l’amante, tout enveloppe la poétesse amoureuse, à l’humeur fluctuante, d’un univers de raffinement et de nature où se joue l’épanouissement d’une personnalité observatrice et tendre. Cheveux emmêlés, premier recueil d’une série de vingt-sept que publia Yosano Akiko, qui traduisit aussi en japonais moderne le Dit du Genji, les poèmes et journaux de dame de cour comme Izumi Shikibu, est un sulfureux et merveilleux chef-d’œuvre qui nous dépayse entièrement.
Parallèlement, j’ai lu les œuvres complètes de la poétesse israélienne (la première) Rachel, publiée chez l’éditeur Arfuyen. Rachel est connue pour ses vers simples et musicaux, rimés, mis en chansons et chantés dans les écoles israéliennes. Voilà qui change de la poésie déconstruite ! Son authenticité frémit à chaque ligne. Retenue dans les années vingt dans sa petite chambre de Tel Aviv, à cause de la tuberculose, Rachel se souvient avec nostalgie des rives du lac de Tibériade, où elle voudrait être enterrée ; son œuvre évoque ces temps où le sionisme faisait encore rêver, et un amour profond de la mère patrie :
Jamais dans les longs jours brûlants
De la moisson,
En haut d’un char rempli de gerbes
Ma voix ne s’était mise à chanter ?
Jamais je ne m’étais purifiée dans le paisible azur
Et dans la clarté
De Tibériade, oh… Tibériade, mon Tibériade,
As-tu existé, ou n’ai-je fait qu’un rêve ?
Paysages intérieurs, métaphysique charnelle, dialogues internes, allusions bibliques, constituent le socle de cette poésie inclassable et très personnelle. Les livres de Rachel sont les recueils emplis de richesses et de lumières d’une malade qui se sait condamnée. Son âme juive et universelle décrit son destin comme celui d’une âme ensanglantée qui frappe à une porte où personne ne répond. Ses poèmes sont comme un journal intime élaboré dont chaque page se dévore avec intensité.
Plus étonnante que ces deux premières poétesses, l’américaine Anne Sexton, dont les œuvres viennent d’être découvertes en France, apporte une révolution dans le genre. Primée, elle fut connue aux Etats-Unis de son vivant, mais se suicida. Son Livre de la folie (1972) constitue un chef-d’œuvre dont il me parait difficile de citer des extraits, tant les métaphores sont nombreuses et parfois exagérées, les idées surprenantes et les situations inhabituelles. Aucun lecteur ne s’attend à être cueilli de cette manière. Dans son chapitre La mort des pères, elle évoque de façon originale son enfance, le viol qu’elle a subi et la découverte du fait que son père n’était probablement pas son vrai père, thèmes universels. Elle est éblouissante dans Les papiers de Jésus, où elle ose se confronter à la figure biblique avec une créativité tellement extravagante qu’elle peut paraître blasphématoire. Ouverte vers le monde extérieur, elle dénonce les Etats-Unis qui lâchent des bombes et les féminicides. Lointaine cousine d’Antonin Artaud, elle se découvre miettes par miettes, chaque lecture étant particulièrement intense.
La poésie, comme la musique, ouvre un espace universel qui pousse à laisser entrer en soi l’âme d’une autre âme et d’une autre culture. Aujourd’hui, les femmes ont prouvé qu’elles étaient grandes et qu’elles égalaient largement les hommes dans ce genre, tout en conservant leur voix propre. Reste à tomber amoureux/se de ce genre littéraire magnifique qui n’a plus trop la cote auprès des librairies !