La déception des petits

LA DECEPTION DES PETITS

 

 

 

 

 

       « Pas de réponse de Philippe Lejeune. Ce qui me surprend, et me chagrine… »[1], note l’écrivain Guy Grudzien dans son journal intime.

Admirateurs, nous avons parfois le cœur lourd de déception, si nous avons posté une lettre et que rien, en retour, ne nous est parvenu.

Toute jeune, quand je faisais un stage aux éditions Robert Laffont, consciente de l’univers de mondanités flatteuses où étaient immergés la plupart de leurs auteurs, je m’occupais de transmettre le courrier et j’ouvris la lettre touchante d’une femme qui ne parvenait pas à joindre un écrivain thérapeute. Je pris la responsabilité de lui répondre moi-même, pour la consoler : les auteurs font partie des gens trop occupés… ce que je pensais faux en l’occurrence.

Elle avait de la peine, j’avais déjà souffert de cette même peine, j’allais en souffrir encore : l’humanisme des auteurs que nous admirons ne s’étend pas jusqu’à l’encre des lettres.

Il y a quelques années, je croisai Bernard Pivot dans la rue. Il était un défenseur de la langue française et je me croyais telle également. Il se redressait au-dessus des piles d’un kiosque à journaux. Je lui dis aimablement bonjour. Il ne me vit pas, il ne me répondit même pas.

Quelques jours plus tard, à la mention de mon nom de dessinatrice dans une émission de télévision, il s’y esclaffa avec un air dégoûté :

« Marie-Eléonore Desproges ? Elle est E cette fille…, vraiment E… la fille ! », ce qui signifie, en novlangue de potache : elle est bof, elle n’est vraiment pas terrible. Il ne me connaissait pas mais s’amusait à renchérir sur une mauvaise réputation. Ainsi vit-on de classicisme et de terroir et ne découvre-t-on plus rien. Toute personne consacrée préfère le monde des plumes consacrées.

C’est inadmissible à recevoir, mais nous n’avons plus rien à apprendre aux célébrités qui nous ont guidées. Sauf, peut-être, à garder un peu de courtoisie. Si l’empathie de nous à elles n’est plus possible, dans quel monde vivent-elles réellement ? Peut-être est-ce ceci qui nous manque, de ne rien comprendre à la façon dont est construite une tête de célébrité.

 

 

 

[1] Guy Grudzien, Journals (Dzien, le jour), IV, avril, Editions du Lys, 2000.

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