ISRAEL ET LA PAIX
Ma psychologue, d’origine marocaine, m’a raconté s’être rendue en Israël avec son mari. A un check-point, elle a dû descendre du bus car les soldats avaient tiqué sur sa carte d’identité, portant un nom et prénom arabes… Ils se sont alors mis à l’interroger comme une forcenée. L’entrevue a dû durer plusieurs heures, jusqu’à ce que le mari de ma psychologue s’échauffe :
« Bon, ça commence à bien faire maintenant !
-Mais vous ne comprenez pas, coupa une jeune soldate, qui avait le cerveau lavé, ils veulent nous tuer !
-Je ne suis pas venue ici pour vous tuer, reprit ma psychologue, mais pour visiter votre beau pays. »
Comment réagit la soldate ? demandai-je. Elle paraissait gênée, me confia ma psychologue. Cette scène témoigne du fossé qui existe encore entre Juifs et Arabes en Israël, malgré la proportion importante d’Arabes israéliens dans la population.
De belles histoires d’amitié voient néanmoins le jour, et c’est le cas de Tala, une Gazaouie de vingt ans, et de Michelle, une Israélienne de vingt-quatre. Toutes deux sont étudiantes en droit et vont correspondre grâce à un journaliste du Nouvel Observateur. Les lettres qu’elles se sont échangées durant un an, pendant la guerre de Gaza, ont été regroupées sous le titre Nos cœurs invincibles. C’est un très bel ouvrage, pleins d’élans de sincérité, émouvant, et un document irremplaçable. Tala y dit sa souffrance, y décrit la situation à Gaza, expose ce qu’il subsiste de sa vie quotidienne, et Michelle, qui est une militante pour la paix, lui exprime sa compréhension et lui dit ce qu’il en est dans la population israélienne. Sa connaissance aigue du droit apporte un plus indéniable à leur échange. De façon inattendu, les deux correspondantes tombent souvent d’accord. Elles parlent aussi de leur famille et des livres qu’elles découvrent.
Aimer Israël, soutenir la Palestine, est quant à lui le témoignage autobiographique d’un soldat, Nir Avishai Cohen, qui remet peu à peu en cause le bien-fondé de certaines de ses missions. Il constate que, dans son pays, il n’y a pas de réelle curiosité pour l’Arabe ; les jeunes Juifs subissent un véritable lavage de cerveau, qui leur commande de penser toujours plus à droite et d’estimer que les colonies ont un rôle sécuritaire, alors que les colons pompent l’argent du gouvernement et sacrifient des vies de soldats.
Nir Avishai rencontre des Palestiniens, adhère un temps au parti Meretz, avant d’être déçu par la politique, puis à « Breaking the Silence », une association de soldats israéliens témoignant des crimes de guerre de l’occupation. Il ira jusqu’à se rendre dans une émission de télé-réalité pour partager avec les participants et avec un large public ses convictions politiques.
Son texte est remarquable d’indépendance et de liberté. Il a conscience d’appartenir à une minorité d’objecteurs de conscience, et pourtant, il ose. Le plus flagrant est que son récit, pourtant intéressant d’un bout à l’autre, n’a été publié qu’à compte d’auteur en Israël ! Ce qui montre bien que les individualités rares sont toujours reléguées à la marge, quelque soit le pays.
Ces deux livres nous dévoilent (s’il était besoin de s’en assurer) que certains Israéliens, de gauche, se montrent très critiques vis-à-vis de la politique de leur pays, qu’ils aiment et n’envisagent nullement de quitter. Virulente, lucide, cette critique ne doit pas être confondue avec l’antisionisme qui voue aux gémonies l’Etat d’Israël. Moi-même, c’est parce que j’adore Israël que j’aimerais que ce pays agisse démocratiquement ; que je ne supporte pas de le voir exercer des persécutions contre les civils palestiniens et sombrer dans l’extrême droite à cause d’un gouvernement insupportable. Les objecteurs de conscience israéliens sont des êtres grands, géniaux, courageux, ils méritent toute notre estime et aucune récupération politique de mauvaise aloi. La situation n’est pas facile pour eux, car ils sont facilement accusés de traîtrise.
Tala Albanna / Michelle Amzalak, Nos cœurs invincibles, Flammarion, 2025.
Nir Avishai Cohen, Aimer Israël, soutenir la Palestine, L’Harmattan, 2024.
