LOUVECIENNES, SI BELLE

LOUVECIENNES, SI BELLE

 

 

 

 

 

        Au début du premier volume de son Journal, la romancière Anaïs Nin décrit la petite ville de Louveciennes où elle réside et en fait une commune hors du temps. C’est un monde minéral, traditionnel, qui émerge sous nos yeux, un peu compassé : une vieille église, des rues pavées, des grandes propriétés, un château fort, des vieilles femmes, et, pour le monde végétal, une forêt. La grande maison où vit l’écrivain a une façade envahie par le lierre et il lui semble qu’elle est sortie de terre comme un arbre. De là, Anaïs Nin écrit : « La vie de tous les jours ne m’intéresse pas. Je recherche seulement les grands moments. » Sa description de Louveciennes et du terrain qu’elle-même habite, occupe plus de trois pages[1]. Un beau morceau de prose destiné à introduire la vie de la diariste.

C’était l’hiver 1931, il faisait gris à Louveciennes. La prose blanche d’Anaïs Nin a laissé un certain portrait de la ville. Un brouillard est monté à mes paupières de lectrice adolescente. Il y a peu, encore hantée par cette description, j’ai voulu savoir comment était Louveciennes. Et j’y suis allée sous le soleil.

La ville m’a immédiatement séduite. Des maisons neuves avec des petits lacets de rues, une rivière ocre, des espaces d’herbe, c’était un spectacle enchanteur ; et, non loin, la maison fermée d’Anaïs Nin. J’osai frapper à la porte verte. Une femme encore jeune me répondit. Je la priai de m’excuser pour ma curiosité : sa maison avait jadis été occupée par une grande romancière et j’avais envie de l’apercevoir un peu. Je vis donc un grand espace de gravier avec une façade assez conséquente, mais non pas gigantesque, d’une jolie maison sans lierre. A droite, une partie, peut-être plus récente, avançait dans le jardin ; des enfants y faisaient la vie. Tout cela était d’une grande gaieté. Dans le Journal, il n’y avait que le jet d’eau qui éveillait chez la narratrice des pensées joyeuses et lui donnait « le sentiment de faire des préparatifs pour un amour à venir ». J’avais craint une maison un peu morne, sentencieuse, imposante ; je vis une façade de famille riche mais somme toute modeste.

Il était évidemment hors de question de visiter la maison : elle est encore occupée par des particuliers depuis des générations et est loin de devenir un musée.

La littérarité du style d’Anaïs Nin a peut-être un peu maquillé le charme des lieux où elle vivait, du moins en été ; il se peut aussi que Louveciennes se soit modernisée. Quoiqu’il en soit, c’est dans un cadre très séduisant, comme elle, que la romancière est venue s’établir. L’emprunte poétique trahit ensuite le réel : je préfère ma visite à ma lecture, qui s’engourdit dans la majesté de l’hiver. Ma promenade a été plus dynamique, et pourtant le style d’Anaïs Nin, en ces pages feutrées, est lui-même un ruisseau qui court. Il est amusant de vérifier les écrivains.

 

[1] Anaïs Nin, Journal 1, 1931-1934, Le Livre de Poche Biblio, p.15-18.

Date de dernière mise à jour : 07/04/2020

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