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Lettre d'un éditeur régional
A PROPOS DES EDITEURS REGIONAUX
Le 10 août 1998
« Mademoiselle,
Mon ami et auteur Pierre Poupon me fait part d’un courrier qu’il a reçu de vous au sujet de son « journal », dit, en réalité – Carnet d’un Bourguignon.
C’est à ce sujet que je prends la liberté de vous écrire. Vous semblez trouver dévalorisant de publier en province. Vous ignorez sans doute que dès le début de l’imprimerie ce furent des villes comme Troyes et Lyon qui furent à la pointe de la nouveauté avant Paris.
Ce furent des imprimeurs éditeurs comme Mame à Tours, Privat à Toulouse, Darantière à Dijon ou comme Aubanel qui publia Mistral, qui surent, bien avant Paris, apporter aux lecteurs les œuvres d’auteurs inconnus. Plus près de nous, un Pierre Fanlac fit plus pour la poésie que bien des éditeurs parisiens et se paya le luxe de publier des auteurs extrêmes orientaux !
Avant de créer les éditions de l’Armançon, j’ai fait carrière chez Gallimard et Denoël et j’ai publié des ouvrages de très moindre intérêt que celui de Pierre Poupon ; et ce n’est pas une diffusion nationale qui a fait des ventes supérieures.
Certes, le fait d’éditer en province rend plus difficile une reconnaissance des médias parisiens, mais n’est-ce pas aussi la faute des lecteurs provinciaux (pour moi province et provinciaux sont des titres de « noblesse » bien que je sois un Parisien grand teint !) qui n’osent pas dire le plaisir qu’ils ont eu à découvrir un auteur dont personne ne parle à Paris, quand bien même la presse locale rapporte souvent de belle façon sur les livres parus dans les régions.
N’oubliez pas, même si vous n’aimez pas son style, que c’est par les éditeurs régionaux que Christian Bobin s’est fait un nom, et que tout un cercle de lecteurs fidèles lui ont fait sa renommée sans attendre que Kechichian du journal « Le Monde » lui tresse des lauriers à son premier livre chez Gallimard, pour mieux le trainer dans la boue quelques livres plus tard.
Bien sûr que j’aimerais que l’œuvre de Pierre Poupon soit plus connue, mais sachez que, souvent, la qualité finit toujours par être reconnue, et qu’il vaut mieux au départ mille lecteurs attentifs que cinq mille flagorneurs qui brûlent ce qu’ils ont aimé sans comprendre.
Prenez le temps d’aller en librairie, humez dans les rayons les livres que nous avons publiés, et vous aurez la surprise de trouver un roman de Michel Lucotte, Le Verveux, un récit de Paul Roche, Une Etoile en tête, Sobek de Joelle Brière, bien d’autres titres comme Verger Sauvage de Gérard Calmettes, qui sont nos trésors, qui feront des éditions de l’Armançon et de ses auteurs, une halte incontournable pour ceux qui aiment la belle écriture et la littérature dans ce qu’elle a de plus humain.
Bien sincèrement. »
G.Gauthier
Les éditions de l’Armaçon, créées en 1987 par Gérard Gauthier, sont établies à Précy-sous-Thil, une commune de Bourgogne.